Dixon, R.M.W. Are Some Languages Better than Others? Oxford University Press, 2016.
Y a-t-il des langues meilleures que d’autres? Parions que Robert Dixon a choisi le titre de son livre pour piquer notre curiosité. La question a en effet de quoi faire réagir, surtout en cette époque de sensibilité culturelle extrême. Pourtant, au fil de la lecture, on constate que l’auteur tente de la poser en toute objectivité, sans réel a priori. Elle sert en fait de point de départ à une découverte de la formidable diversité des langues.
L’auteur ne peut naturellement pas parler de toutes les langues du monde, mais hormis l’anglais – sa langue maternelle et langue de référence de son lectorat –, il a étudié de façon approfondie le dyirbal, langue parlée par certains Aborigènes d’Australie, et le jarawara, une des langues de l’Amazonie. Notons que ces deux langues sont très éloignées de l’anglais, tant par leur structure grammaticale que par la culture de leurs locuteurs. Il tire également des exemples de nombreuses autres langues que le lecteur est plus susceptible de connaître.
En fait, Robert Dixon nous montre que les façons d’exprimer le quotidien, les pensées et les liens sociaux abondent, notamment en jarawara où le temps du verbe varie selon que le locuteur a été ou non le témoin oculaire direct de ce dont il parle. Par ailleurs, dans plusieurs langues, la première personne du pluriel prend deux formes, l’une inclusive et l’autre exclusive, alors qu’en anglais (et aussi en français), elle peut ou non inclure la personne à qui l’on s’adresse : « Nous sommes invités à souper » peut vouloir dire « toi et moi » ou « moi et quelqu’un d’autre, mais pas toi », ce qui peut entraîner des problèmes de communication.
L’auteur présente tout d’abord les différentes fonctions d’une langue, soit favoriser le sentiment d’appartenance, faciliter la collaboration, refléter l’organisation sociale, exprimer une émotion ou une appréciation esthétique, communiquer de l’information, véhiculer une réflexion ou un argumentaire et soutenir le prosélytisme. Il définit ensuite les caractéristiques des langues qui sont, selon lui, indispensables, désirables, intéressantes ou superflues. Nous découvrons ainsi des caractéristiques linguistiques éloignées de celles des langues européennes à un point tel qu’il faut presque revoir notre conception de la langue. Apparaît alors la réelle complexité de la traduction entre deux langues qui n’ont pratiquement rien en commun, la difficulté ne résidant pas tant dans le vocabulaire que dans les nécessités de la grammaire de chacune des langues. Il devient dès lors plus qu’évident que les langues sont profondément enracinées dans la culture où elles sont apparues, et que la traduction ne peut exister sans une compréhension et une prise en compte de cette culture sous-jacente.
Bref, il n’y a pas vraiment divulgâchage si on révèle ici que la question posée en titre de l’ouvrage reste sans réponse car chaque langue est adaptée aux personnes qui la parlent. Les locuteurs façonnent leur langue à leur image et lui donnent les caractéristiques qui sont importantes pour leur société. L’auteur nous invite à utiliser sa grille d’analyse (dont il reconnaît le caractère arbitraire et imparfait) pour répondre nous-mêmes à la question. Le lecteur qui s’attendait à une grande illumination sera peut-être déçu, mais ce qu’il aura appris en chemin lui fera oublier cette petite déception. En effet, la démarche qui mène à cette non-réponse est captivante et nous permet de nous extasier sur l’incroyable diversité de l’humain et des langues qui sont nées de son besoin de communiquer.