Imprimer
Partage :

Désinformation et traduction : un sujet brûlant d’actualité

Par Isabelle Lafrenière, traductrice agréée

Si l’arrivée d’Internet dans les chaumières vers la fin des années 1990 avait déjà révolutionné les communications et le marché de la traduction, le nouvel essor que connaît l’intelligence artificielle (IA) depuis une vingtaine d’années change encore la donne. Quel bonheur de pouvoir interroger un outil aussi puissant dans le confort de son foyer! Or, comme on peut le lire dans le présent numéro de Circuit, la vigilance est de mise.

Outre la technologie, l’actuel contexte géopolitique constitue un terreau fertile pour les fausses nouvelles, la propagande, la désinformation et la mésinformation. Comment s’y retrouver dans une telle abondance de sources et de contenus?

Dans son article intitulé « Contrer le biais d'automatisation », Émilie Gobeil-Roberge soulève judicieusement la « tendance à surestimer les capacités des machines ». On peut hésiter à remettre en question ce qu’avance un outil d’IA, surtout si on ne dispose pas des connaissances nécessaires pour valider l’information, mais il faut savoir que ces outils sont programmés pour avoir réponse à tout. Leurs hallucinations ou fabulations peuvent véhiculer une désinformation qui risque de passer inaperçue.

Après avoir défini les notions de mésinformation, désinformation et propagande, Renée Desjardins rappelle que la traduction de contenus faux ou faussés accélère la transmission de l’information et en étend la portée. Elle évoque la possibilité d’établir des règles ou des normes quant à l’usage de l’IA et suggère que les langagières et langagiers professionnels pourraient être particulièrement bien placés pour sensibiliser le public.

Pour sa part, Lucie Laumonier nous parle de Pierre Alonso, journaliste français exerçant son métier en Ukraine, qui doit jongler avec un éventail de sources d’information. L’article intitulé « Vérifier et contre-vérifier l'information en journalisme de guerre » porte sur le rôle des traducteurs dans la vérification de l’information, générée par l’IA, provenant de la population locale ou diffusée par les médias ou les autorités gouvernementales, entre autres sujets. 

S’il est une piste insoupçonnée pour détecter la désinformation, c’est la terminologie, comme l’explique Philippe Caignon dans son article. Après une mise en contexte sur le climat géopolitique et la puissance des médias, l’auteur présente le repérage terminologique et l’analyse sémantique comme « des instruments analytiques puissants pour mettre au jour l’idéologie sous-jacente d’un message ». Il donne des exemples d’euphémismes ou d’extension de champ sémantique ayant pour but de modifier les perceptions, voire d’invalider toute dissidence.

Enfin, Sylvie Vandaele témoigne de certains résultats troublants obtenus en interrogeant ChatGPT après avoir constaté que des erreurs s’immisçaient de plus en plus souvent dans les textes à traduire, parallèlement à une détérioration de la qualité des textes biomédicaux traduits ou rédigés en français. Elle sonne l’alarme en ce qui concerne l’effondrement des modèles d’IA générative, alimentés à partir de contenus qu’ils ont eux-mêmes produits, ce qui constitue un danger pour les langagières et langagiers soumis à des impératifs de productivité. S’il semble légitime de se tourner vers des outils comme ChatGPT pour gagner du temps dans le processus de recherche documentaire, la vérification des résultats obtenus reste incontournable. Or, sans les connaissances spécialisées nécessaires, la vérification de l’information peut s’avérer particulièrement chronophage. « Il faut avoir une connaissance d’expert pour pouvoir relever les incohérences générées par l’outil », explique-t-elle. Malgré les avancées technologiques, la méthode classique de consultation de sources fiables garde toute sa pertinence.

En complément du dossier, dans la chronique La esfera hispánica, l’article d’Aura Navarro traite de la notion de protection du public, mission première de tout ordre professionnel comme l’OTTIAQ. Le discernement et la prudence font partie des compétences de base des traductrices et traducteurs professionnels, conformément au Référentiel de compétences accessible sur le site Web de l’Ordre. Nous avons tous et toutes le devoir de vérifier les sources et l’information que nous véhiculons dans le cadre de notre mandat de médiateurs linguistiques et culturels, explique l’autrice.

En conclusion, on ne saurait se passer de la compétence humaine en traduction pour distinguer le vrai du faux et produire des communications de qualité. Le comité de rédaction de Circuit espère que les articles présentés dans ce numéro étancheront votre soif d’information authentique et vérifiée. Bonne lecture!


Partage :