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Le Credo du créneau 

Par Carlos del Burgo, traducteur agréé et terminologue agréé
La terminologie vit son lot de métamorphoses. Depuis l’avènement des grandes banques (Termium, BTQ puis GDT, IATE, etc.), on peut affirmer que la terminologie assistée par ordinateur (TERAO) a atteint son régime de croisière, suivie de près par la révision assistée par ordinateur (Antidote et Robert Correcteur). Elle a, par la création de ces outils reconnus et consultés à la fois par les langagiers professionnels et par le public, grandement contribué au bilinguisme canadien, dans le cadre de la Loi sur les langues officielles; et à la francisation du Québec, au titre de la Loi 101.

L’année 2022 marque l’arrivée d’une nouvelle venue, l’intelligence artificielle, notamment les agents conversationnels. Déjà, avant ce phénomène, certains décriaient la surmécanisation précoce des tâches par la TAO, soit l’extraction automatique de listes de termes à partir de documents LD et LA ou à partir de bitextes et mémoires. Ils regrettent notamment qu’on ne passe plus par le jugement ou par l'appariement de textes semblables et dénoncent le fait qu’on travaille de manière trop traductive, sans plus respecter la nécessité de trouver des définitions ou contextes non traduits, créés en langue de rédaction. On est sous le prisme de la traduction. C'est automatique et rapide, mais pas efficace pour éviter les mimétismes terminologiques ou phraséologiques.

Face à la montée des technologies dites intelligentes, donc, parlera-t-on demain des abus commis au nom de l’IA-tisation de la terminologie, notamment sur les campus? On pourrait peut-être constater : 

  • un repli des travaux qui dépasseraient le simple recyclage bilingue en mode TAO
  • un repli de la recherche méthodique et des chantiers terminologiques 
  • un repli de la maîtrise des concepts propres aux spécialités traitées 
  • un repli de l’attrait envers la terminologie unilingue, même si le « genre » existe bel et bien 
  • un repli de la distinction entre terminographie et lexicographie, devenues parallélographie
  • un repli du savoir étymologique, morphologique, néologique ou néonymique.
On le devine, ce lissage « replié » constitue un nivelage par le bas. Le bas de laine, puisque le facteur dollar y est pour beaux coûts

Perte de maîtrise

Il existe un paradoxe terminologique : les jeunes terminologues pourront de moins en moins s’informer et performer s’ils ne fonctionnent qu’à partir de « partitions informatiques ». Pourquoi se soucier alors de la documentation quand le bagage cognitif semble se trouver tout cuit dans des textes parallèles joliment appariés et alignés? Pourquoi « réinventer la roue » en inventoriant le tout?

Il existe également un souci méthodologique : le traducteur moderne perd la maîtrise de ses choix. Sa priorité allant à l’appariement, apparemment. Or, l’appât est rance, et l’apparence trompe. Voici quelques familles d’outils qui prennent déjà la tangente :

  • dictionnaires bilingues généraux (Robert-Collins, Oxford-Hachette, Larousse, Harrap’s)  
  • dictionnaires de traduction, traitant des pièges du métier (guides pratiques signés Pierre Daviault, François Lavallée, René Meertens et Luc Labelle)  
  • dictionnaires bilingues ou unilingues spécialisés (Ménard, Jane’s, Manuila).  
Pourquoi le terminologue perdrait-il, à son tour, la capacité de consulter ou produire des bases axées non sur des corpus alignés, mais sur des fondements et fondations qui soient unilingues? 

Ne devrait-il pas éviter le copier-coller de traductions parfois douteuses? 

Le terminologue, membre d’une profession libérale, est bien plus qu’un repiqueur. Ce greffier de l’usage, pour reprendre le mot de Robert Dubuc, n’est pas un agent de recyclage, redevable à la pièce.  Sa rentabilité doit être à la fois quantitative et qualitative. 

Il serait toxique de conforter le diktat d’une TAO qui se voudrait seule source d’extraction de vocabulaire. Ce serait farder une peau fanée par l’interférence linguistique, l’équivalence mimétique, le perroquetage phrastique, entre autres tics.

On gagnerait plutôt à collaborer avec les traducteurs et les autres langagiers (interprètes, réviseurs, etc.) de manière complémentaire. 

Les traducteurs générant leur texte font leur terminologie en cours de route puis la consignent en se fondant sur leur bagage personnel et sur la recherche ponctuelle. 

Les terminologues, eux, bâtissent des nomenclatures qui dépassent le texte, et qui peuvent présenter par endroits un certain apriorisme. 

Outre les ponctuelles, les terminologues se penchent sur des dossiers thématiques difficiles à concilier avec la TAO et l’IA. Ils assurent encodage, décodage, transcodage, recherche documentaire, néologie, uniformisation et normalisation. Ils offrent une fonction conseil. 

Avantage : contrairement à l’IA, ils ne feindront pas de savoir ce qu’ils ne savent pas. Il faut préciser que les faux renseignements produits par les agents conversationnels ne sont pas des accidents de parcours étant donné que ces logiciels sont programmés pour inventer lorsqu’ils sont coincés. L’utilisation de plus en plus fréquente de ce type de logiciels place donc les langagiers professionnels devant des erreurs factuelles qu’il sera le plus souvent très difficile de rectifier.  

Pour y arriver toutefois, il leur faut revenir à des lectures systématiques, fondamentales, menées dans les langues de spécialité. Il serait parfaitement viable de recultiver le crochet terminologique à partir de textes rédigés chacun dans sa langue d’origine.  

Or, cette notion de crochet se fait rare dans les cours de terminologie. Pour cause : quand on aspire automatiquement des termes à partir d’une mémoire de traduction, pourquoi aspirer à mieux? Pourquoi se poser des questions sur la qualité du crochetage? Celui-ci se fera sur des extraits complémentaires, comme deux passages d’encyclopédie, et non pas sur des copies conformes issues du tandem original + traduction.

Même les grands pontes de l’informatique évitent de se faire les chantres de principes conjugués à l’inconditionnel.

Ainsi, le chercheur Yoshua Bengio, professeur d’informatique à l’Université de Montréal, fondateur et directeur scientifique de Mila – Institut québécois d’IA, et lauréat du prix Turing (le « Nobel de l’informatique »), est du nombre des quelques centaines de sommités de la technologie qui réclament un moratoire de six mois pour faire le ménage dans le Far-West cybernétique.  

On note aussi les mises en garde faites dans un article du magazine The Economist paru le 28 avril 2023 sous la plume de Yuval Noah Harari, philosophe et historien de renom, auteur de Sapiens, une brève histoire de l’humanité.

Les terminologues auraient tort de mettre tous leurs œufs dans le panier d’une infolinguistique à petits prix, d’une surproduction, à partir de textes traduits pour l'essentiel, souvent sans le moindre chantier digne de ce nom. Travail à la chaîne ne rime pas avec travail de qualité. Parfois, il ne rime à rien. 

Il serait temps de réintégrer l’esprit des professions libérales, soit de revenir à des méthodes de travail moins mécaniques comme les chantiers terminologiques, plutôt que de perpétuer un ersatz de secrétariat bilingue. Le Could you type it in French devenu Please copy-paste it in French. On sait que les paroles s’envolent mais que les écrits restent. Les recherches terminologiques, elles, ne font pas que rester. Elles marquent, se démarquent, se remarquent.  Sont prises, comprises, prisées. Car qualité n’est pas « symmétriqualité ». 

Après le traduitdu, soit l’influence indue de la langue source, évitons la tentation du pompédu. Continuons de bâtir des bases selon les règles de l’art, sans les diluer à la sauce IA-TAO. Soyons vigilants quand le moteur s’emballe. L’informatique fait des miracles, mais on doit s’en servir, pas s’y asservir. Nos outils représentent un moyen de transport, de translation, et non pas une fin en soi. Faisons que l’indispensable ne devienne pas l’impensable : la McDonalisation de la pensée.

Un travail terminologique trop mimétique, découlant d'une surmécanisation précoce des terminologues, jetés en pâture à une IA mal maîtrisée, nous rappelle le mot célèbre de Joseph Hanse : mettre les deux langues sur le même pied équivaut à mettre les deux pieds sur la même langue. Gageons que nul ne souhaite cultiver pareil objectif. Partant, un minimum de garde-fous s'impose. 

Il nous appartient de définir et mettre en place certains « accommodements raisonnables » qui, sans arrêter la marche du progrès, nous éviteront de nous arc-bouter à une politique de l'autruche face à l’exigence du progrès au nom du progrès.

Pareil autruchisme ne peut que s'avérer toxique dans le domaine de la terminologie, à l'instar de ce que nous observons dans le domaine de l'environnement.

Les périls du « progrès pour le progrès » nous forcent donc à moduler une action professionnelle pour que notre travail ne se limite pas à de la visserie-boulonnerie informatique.

Un sujet de réflexion sur lequel devront se pencher d'autres intervenants mobilisés par les virages technologiques de nos professions. 

À suivre donc.

Carlos del Burgo, enseignant auprès de plusieurs universités, est rédacteur agréé membre de la Société québécoise de rédaction professionnelle.


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