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L’IA générative, révolution ou évolution pour les traducteurs?

Par Betty Cohen, traductrice agréée
L’intelligence artificielle générative a fait couler beaucoup d’encre depuis le lancement de ChatGPT4. Alors que les avancées technologiques précédentes semblaient ne toucher que les métiers manuels et répétitifs, voilà qu’on nous annonce qu’elle bouleversera, voire remplacera, les métiers du savoir. 

Pourquoi? Parce qu’elle est capable de générer des idées nouvelles, une première dans l’histoire de la machine qui, jusque-là, n’avait fait que reproduire ce qu’on y mettait. C’est ainsi que, à condition de lui donner les bonnes indications ou requêtes, on peut obtenir des textes, œuvres d’art, programmes informatiques, vidéos, etc., troublants de vérité.

Voilà pour le pitch publicitaire. Viennent ensuite les bémols. Sur le plan éthique tout d’abord, on le sait, les inventeurs eux-mêmes craignent que le monstre ne leur échappe et tombe dans les mains de personnes mal intentionnées qui pourraient l’utiliser à des fins dangereuses. C’est pourquoi ils collaborent déjà avec les gouvernements pour établir une réglementation et des balises adéquates. 

Sur d’autres plans, en revanche, les bémols relèvent déjà du réel et ils se trouvent dans ce que les scientifiques appellent les « hallucinations » de la machine. Les exemples n’ont pas manqué, le plus notable étant peut-être celui de cet avocat qui avait bâti sa plaidoirie à l’aide de ChatGPT sans la vérifier pour apprendre par la suite – à la dure, car il s’est fait reprendre par le juge – que la jurisprudence et les références citées étaient simplement inexistantes! Certains chercheurs ont aussi fait l’expérience et demandé un rapport de recherche sur les dernières avancées dans un domaine précis pour n’obtenir qu’un texte truffé d’erreurs, mais par ailleurs très bien écrit.

Au fait, comment tout cela fonctionne-t-il? 

L’IA générative est une application fondée sur les réseaux neuronaux, une technologie qui lui permet, à l’aide de processeurs d’une rapidité inégalée, d’exploiter ce que l’on a appelé des grands modèles de langage, ou Large Language Models, à savoir des bases de données plus que considérables. En termes simples, la machine fonctionne par association statistique et calcule la probabilité qu’un mot figure à la suite d’un autre selon le contexte. Ce sont la puissance de calcul et les modèles de langage qui font la différence. Mais pour en savoir plus, nous avons demandé une explication à la machine elle-même et le résultat figure dans l'un des articles qui suivent.

Donc, l’IA générative utilise les mêmes systèmes neuronaux que… les systèmes de traduction automatique neuronale (TAN). Est-ce à dire que nous, langagiers, avons été les précurseurs dans cette révolution des métiers du savoir? Certains spécialistes l’affirment et disent que la traduction automatique s’est révélée être une première application des modèles de langage et de cette technologie.

Cependant, les tests menés jusqu’ici ont démontré que les systèmes de TAN donnent de meilleurs résultats que l’IA générative. La raison en est simple, du moins sur le plan technologique : la TAN fonctionne à partir de systèmes dits convolutionnels qui parcourent le texte à l’aide de différents filtres pour en repérer les caractéristiques sémantiques et syntaxiques importantes. Ces données sont ensuite transmises à un réseau de neurones récurrent qui les utilise de façon séquentielle pour produire une traduction cohérente. C’est là une explication extrêmement sommaire, dont il faut retenir que la TAN agit localement à partir d’un texte donné. L’IA interactive, en revanche, agit plus globalement et « comprend » le sens de la phrase avant de le rendre dans l’autre langue. Le résultat est donc une traduction plus naturelle que la traduction mot à mot souvent produite par la TAN, mais avec le risque réel que le sens ne soit pas rendu ou, pire, que la machine « hallucine ».

Révolution ou évolution?

Quoi qu’il en soit, la traduction automatique neuronale a déjà changé nos façons de faire, et les traducteurs et interprètes sont déjà nombreux à utiliser l’IA générative pour trouver des synonymes, améliorer le style d’une phrase, rechercher un terme. Alors, révolution ou simple évolution? Finirons-nous par intégrer l’IA dans notre panoplie d’outils ou celle-ci sonnera-t-elle le glas pour nos métiers?

Pour répondre à ces questions, nous avons réuni des groupes de langagiers et gestionnaires d’horizons divers afin de les interroger sur ce qui a changé, ce qui changera encore et ce qui devrait être fait pour adapter nos métiers à cette nouvelle réalité. Nous avons posé les mêmes questions à de jeunes professionnels et étudiants, car ils sont bien sûr les premiers concernés. Et qu’en est-il de la terminologie et de l’interprétation? Carlos del Burgo tire la sonnette d’alarme. Quant à Olivier Lepage, il nous donne un excellent tour d’horizon des nouveaux outils en interprétation. Enfin, nous avons eu un entretien avec Dominic Laporte, PDG du Bureau de la traduction, pour prendre le pouls du premier employeur du Canada sur la question.


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