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La TAN a toute sa place dans des processus transformés… mais pas toujours!

Propos recueillis par Betty Cohen, traductrice agréée
Les traducteurs indépendants que nous avons interrogés ne se passent plus de la traduction automatique neuronale intégrée à leur outil de mémoire de traduction, et en apprécient les avantages. Sur des textes simples, il semble qu’elle permette parfois un gain de productivité de 50 %. Tout dépend toutefois du type de texte. Si l’efficacité est indéniable sur des textes juridiques, par exemple, elle l’est beaucoup moins sur des textes de marketing ou, comme le résume Dany Gagnon, sur les textes « qui font appel à l’émotion ». 

Le logiciel utilisé et, surtout, la façon dont on s’en sert font aussi une différence. Ainsi, une prétraduction en bloc n’est pas aussi efficace que l’insertion progressive des segments. Par ailleurs, une bonne recherche terminologique préalable permet d’obtenir d’excellents résultats. Enfin, certains logiciels permettent un apprentissage machine, d’autres pas. Le choix de l’outil a donc toute son importance.

Cela a-t-il changé les processus? Bien sûr. Nos traducteurs indépendants sont unanimes : ils révisent plus qu’ils ne traduisent. Mais, comme l’affirme Joachim Lépine, « traduire, c’est toujours traduire ». Si la toute première étape est différente, les autres restent et les compétences requises ne changent pas. Elles sont même plus grandes selon tous nos participants, traducteurs et gestionnaires, car le traducteur doit avoir une maîtrise parfaite de sa langue et une bonne connaissance du domaine dans lequel il travaille afin de détecter les erreurs de la machine. 

Les services en entreprise ont eux aussi intégré la traduction automatique à un processus de traduction déjà transformé depuis l’avènement des mémoires. Et le constat est le même : la combinaison mémoire et TAN est réellement avantageuse pour certains types de textes. Cela vient toutefois à une condition : une maintenance consciencieuse des mémoires et un apprentissage de la machine. 

Les directrices de service que nous avons interrogées tendent à réserver l’utilisation de la TAN aux documents récurrents ou répétitifs et s’accordent pour dire que, dès lors qu’il s’agit de traduire un texte totalement nouveau ou à saveur plus marketing, la machine n’est plus d’aucun secours et la traduction directe, par un professionnel, reste la meilleure solution. Et pour cause, le texte nouveau, en comptabilité ou en droit, est souvent issu d’une nouvelle norme ou d’une nouvelle loi qui ne se trouve forcément nulle part dans les bases de données. Il faut aussi penser que lorsqu’un texte revient périodiquement avec des modifications d’une période à l’autre, il est parfois beaucoup plus rapide de faire une comparaison et de modifier la traduction précédente. 

Bref, à la question « La TAN a-t-elle changé vos processus?», la réponse des services de traduction en entreprise est « Ça dépend ». Chaque projet est traité de la façon la plus efficace dans les circonstances. Chez PepsiCo Canada, on a créé un tableau pour choisir le meilleur processus selon le type de texte et le degré de risque. 

Quant aux cabinets de traduction, il va sans dire qu’ils ont rapidement adopté la TAN et font les mêmes constats. Cependant, leur expérience est différente du fait de la diversité des clients qu’ils servent et des contraintes du marché. Le choix de l’outil, par exemple, est plus complexe et il leur a fallu en tester plusieurs et parfois en adopter plus d’un pour répondre le mieux possible à la demande.

Vaincre les résistances

Les cabinets et les services en entreprise ont dû aussi composer avec les résistances du personnel et les craintes existentielles que suscitent toujours les nouvelles technologies dans nos métiers. Adopter de nouveaux outils ou processus est toujours plus difficile lorsque la décision vient d’en haut, et nos gestionnaires en sont conscients. Par ailleurs, si certaines personnes sont très ouvertes à la technologie et n’hésitent pas à l'essayer, d’autres sont plus craintives et circonspectes. Il faut donc convaincre progressivement. 

La solution, souvent, est d’inviter les équipes à participer aux tests et à la sélection des outils, et également de laisser les traducteurs libres d’utiliser ou non la traduction automatique selon leur préférence ou la nature du projet. Cela étant, les réticences disparaissent souvent lorsque les utilisateurs constatent par eux-mêmes les avantages – et les limites – de la machine.

La sécurité, un impératif

Les moteurs de traduction automatique sont reliés à d’immenses bases de données stockées dans des serveurs appartenant au fournisseur, donc aux Google, DeepL, Systran, etc. de ce monde. Il faut savoir aussi que tout texte soumis à ces moteurs peut être réutilisé, surtout si on opte pour la version grand public. Comment, dès lors, assurer la confidentialité des documents de nos clients?

Les traducteurs indépendants prennent des abonnements et s’assurent, surtout, de ne jamais traiter de documents confidentiels dans les outils de TAN. Les services internes, particulièrement ceux dont nos répondantes assurent la direction, doivent passer par les tests de sécurité les plus stricts avant d’acquérir un outil quel qu’il soit. Quant aux agents conversationnels, leur usage est strictement interdit sur les ordinateurs de l’entreprise. On sent cependant que l’IA générative ne tardera pas à faire son entrée dans les autres services. Le cas échéant, il faudra, en ce qui concerne la traduction, être bien informé pour guider le processus et ne pas le subir.

Les cabinets ont les mêmes impératifs de sécurité et doivent mettre en place toutes les protections requises afin de garantir la confidentialité des documents qui leur sont confiés. Quand on est l’unique fournisseur d’une multinationale canadienne, par exemple, la cybersécurité est un facteur primordial dans le choix d’un outil. Mais cela vaut pour tout cabinet, quelle qu’en soit la taille étant donné les lois de plus en plus strictes, notamment sur la protection des renseignements personnels. 

Une révolution certes, mais l’outil reste un outil

Une fois la technologie installée et adoptée cependant, ses avantages sont indéniables. Aujourd’hui, rares sont les traducteurs qui n’ont pas changé leur processus. Tous nos participants, quelle que soit leur fonction, l’affirment : les mémoires de traduction ont été une première révolution dans les méthodes de travail; la traduction automatique neuronale et l'IA générative constituent actuellement une perturbation dans cette révolution. Cependant, quel que soit l’outil, la révision reste le nerf de la guerre et, si une bonne utilisation des mémoires peut la réduire au strict minimum, elle doit être effectuée avec la plus grande rigueur sur une sortie machine.

Il faut aussi savoir quand le jeu en vaut la chandelle, c’est-à-dire quand il vaut mieux laisser la sortie machine de côté, car la révision est trop lourde et prendrait beaucoup plus de temps que la traduction « manuelle ». 

Bref, malgré toutes les avancées, l’outil reste un outil dans la panoplie du traducteur professionnel, seul habilité à déterminer la méthode qui convient le mieux pour un type de document ou un autre. Comme l’affirme François Chartrand, « la clé est dans le contrôle du processus par le traducteur ».


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