Interprétation : de l’analogique au numérique
L’interprétation a été mise à la renverse ces dernières années. Chamboulée. Si on devait émettre un diagnostic, ce serait celui d’un coup du lapin. L’auteur, propriétaire d’un cabinet d’interprétation, examine la question à la lumière de sa propre expérience.
Par Olivier Lepage, interprète agréé
Dans le sillage de la pandémie de COVID-19, l’interprétation a proliféré à la vitesse grand V, aidée en cela par l’adoption de modes de travail en ligne et hybride, autant par nécessité qu’en raison de la facilité avec laquelle on peut tout simplement ajouter des interprètes à des événements se tenant aux quatre coins du monde. La planète a dû se confiner, mais une très petite part seulement de notre marché a réellement ralenti. En effet, le judiciaire, le marché privé des conférences et le secteur parlementaire notamment ont pu continuer leurs activités. Tout cela a mis les responsables de services d’interprétation devant ce fait : nul besoin d’appareils compliqués ou de configurations audiovisuelles nécessitant une longue installation. Il est intéressant de noter qu’en raison de ces changements, il arrive souvent que les interprètes bénéficient directement d’une plus grande part du budget consacré à l’interprétation.
L’internet haute vitesse quasi universel permet la vidéoconférence partout ou presque. Les équipes en satellites peuvent se rencontrer plus souvent, sans avoir à voyager. Les employés n’ont parfois besoin de se rendre au bureau que deux jours sur cinq. Les conférences scientifiques nationales et internationales peuvent se tenir chaque année plutôt qu’aux deux ans. Il suffit aujourd’hui d’un seul technicien audiovisuel pour connecter les interprètes à distance afin que leurs mots se rendent aux oreilles des participants sur place et en ligne. Les interprètes occupent des espaces nouveaux.
Devrait-on sabrer le champagne?
Il vaudrait mieux attendre un peu avant de célébrer.
En effet, le spectre de l’intelligence artificielle plane déjà sur la profession, chose qu’on ne croyait pas vraiment possible avant de nombreuses années (et encore).
Une grande entreprise suédoise cotée à la Bourse de New York a lancé un outil technologique époustouflant : l’interprétation simultanée de baladodiffusions. Par ailleurs, les deux plus gros « fournisseurs » de services d’interprétation sur le web ont lancé presque en même temps leurs modèles d’interprétation simultanée par intelligence artificielle. Et pas en catimini. En page frontispice. Des interprètes prestigieux qui occupaient des rôles de direction dans ces entreprises ont quitté leurs fonctions dans les mois qui ont précédé ce lancement.
Ces entreprises précisent que l’interprétation par intelligence artificielle ne convient pas à tous puisque le système est plus lent (10 secondes de latence en moyenne) et moins fiable que la prestation d’un interprète professionnel. Mais combien de temps cela durera-t-il?