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Et si on se donnait rendez-vous dans dix ans?

Propos recueillis par Betty Cohen, traductrice agréée


Cette question a laissé nos participants perplexes, comme tout le monde en ce qui concerne l’IA générative puisque les progrès sont très rapides. 

On pense à la génération de textes en plusieurs langues qui éviterait la traduction, mais on se ravise en pensant qu’il faudra toujours quelqu’un pour réviser chaque version. Par ailleurs, si on en juge par le nombre de versions du même texte que les traducteurs reçoivent souvent, il sera difficile de générer une version exactement équivalente dans chaque langue. Et encore faudra-t-il savoir rédiger les fameux « prompts » pour obtenir le résultat souhaité. Par conséquent, plutôt transformation que remplacement de ce côté-là.

Nos participants sont convaincus, par ailleurs, que, loin de diminuer, la demande va augmenter, car on pourra produire encore plus de contenu qu’on le fait actuellement. Les directrices de services, toutes dans des domaines réglementés, doutent cependant que la machine puisse générer des normes ou textes de loi sur des questions nouvelles. L’humain devra être là pour vérifier, réviser, innover.

Les gestionnaires de cabinet, quant à eux, pensent qu’il existe déjà plusieurs marchés et que cela ne changera pas. Celui de la localisation, par exemple, demeurera un important utilisateur des technologies en raison du volume qu’il traite. En revanche, la traduction dans certains domaines très pointus ou celle de documents haut de gamme resteront centrées sur la compétence humaine. Benoit Gariépy et Antoine Raimbert en sont convaincus, il y aura de la place pour tous.

Adieu traducteur, bienvenue expert en communication multilingue

Ce qui changera sûrement, selon nos participants, c’est la nature de notre travail. De plus en plus, le traducteur sera un réviseur, appelé à vérifier les propositions de la machine. 

À cet égard, nos participants sont unanimes. L’université doit d’abord former des langagiers qui devront savoir traduire et surtout réviser judicieusement. Elle doit impérativement continuer d’enseigner les bases du transfert linguistique, ainsi que la recherche documentaire et terminologique. L’avènement des technologies ne doit pas changer cela, tout comme les progrès techniques n’ont pas changé l’enseignement de la médecine, qui commence par l’étude du corps humain. Le savoir-faire technologique doit venir après. En revanche, la révision devrait être enseignée de manière plus systématique.

Les mots « jugement », « esprit critique », « doute systématique » sont souvent revenus dans les échanges. Joachim Lépine, en particulier, insiste : « l’université doit revenir à sa mission première et enseigner la pensée critique ». Les futurs langagiers devront être en mesure de déceler rapidement les erreurs, avoir le recul indispensable pour traduire un message et non des mots, et surtout la compétence et l’assurance nécessaires pour corriger la machine et justifier leur intervention. Benoit Gariépy le résume ainsi : « la traduction automatique est un outil puissant pour des traducteurs expérimentés, capables de faire le tri et d’oser changer le texte ». 

Riches de ces compétences, les langagiers professionnels seront mieux à même de montrer et démontrer la valeur ajoutée qu’ils apportent aux communications d’une entreprise. Seul un professionnel comprend les enjeux, les besoins et la culture de son client. Seul un professionnel assure la cohérence et l’uniformité terminologique dans l’ensemble des documents. Seul un professionnel sait détecter l’erreur du texte source qui aurait pu causer d’énormes dommages. Seul un professionnel peut accompagner son client dans ses communications multilingues, le conseiller et faire équipe avec lui, à titre d’expert dans une relation de confiance.

Cela, une machine qui calcule la probabilité qu’un mot vienne à la suite d’un autre n’est pas encore à la veille de le faire. 


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