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Où vais-je, où cours-je et en quel état j’erre?

Par Eve Renaud, traductrice agréée


« Ôte tes lunettes! »

C’est sur ce précieux conseil de Manon Bergeron, fidèle collaboratrice du magazine, à l’époque, que j’ai fait mon entrée dans l’équipe de Circuit : on nous tirait le portrait et elle voulait que je fasse bonne figure. J’ai sans doute l’air d’une personne qui ne sait pas où elle va et on félicitera la ou le photographe pour la véracité de la scène.

En fait, François Lavallée m’avait généreusement prêté sa chronique « Des hauts et des bas » à l’automne 1999. J’y vilipendais, avec force pléonasmes, un « service de traduction en ligne sur Internet », à travers l’histoire d’un certain Ned Ludd (Circuit, no 65). Pauvre Ned… Si l’intelligence artificielle anime son marteau, son enclume et son étrier, son squelette doit faire un joli concert au cimetière.

Je suis arrivée officiellement à Circuit au numéro 68, en 2000, l’année du bogue qui a fait pschitt. 

Je bénévolais depuis la Société des traducteurs du Québec (ancêtres de l’OTTIAQ, pour les moins de 30 ans). J’avais rédigé des descriptions drôlettes des sites langagiers recommandés sur notre inforoute. Eh oui… inforoute! Je me suis fait connaître aussi par mes lapsus, dont celui qui a transformé l’examen d’agrément en traduction en examen d’agression au micro du congrès. Rien, apparemment, pour dissuader Manon et Betty (Cohen) de m’inviter à prendre la suite des « Notes et contrenotes », tenues jusque-là par Maité Gonzalez, qui laissait la plume pour la table à langer.

J’ai répondu un oui enthousiaste, rose de plaisir et bouffie d’orgueil. J’allais donc écrire pour un public plus vaste que tante Henriette et mon tiroir… M’évader des textes des autres, que la traduction nous fait consommer jusqu’à plus soif. Être libre d’inventer des mots, d’en dépoussiérer d’anciens, d’entremêler les niveaux de langue. Sortir de mon isolement grâce aux pages glacées du magazine! Et puis, vertige. Mais quelle mouche m’avait piquée?

Au moins trilingue, Maité épluchait des masses de médias et commentait le monde langagier avec un humour fin. J’ai d’abord suivi sa formule, qui remportait les suffrages. Le Courrier international lui doit d’ailleurs mon abonnement. Quelque part en 2003, l’abonnement devenant trop cher, j’ai osé modifier le genre et j’ai commencé à raconter mes petites histoires : polar, mystère, ergonomie… 

Chaque fois, je doutais d’arriver à 700 mots. J’admirais les Dion et Rioux, du Devoir, qui écrivaient mille mots aux trois jours. C’était oublier ma logorrhée naturelle et mon goût pathologique du jeu de mots. Après quatre relectures, cependant, je ne me trouvais plus drôle du tout, et c’est toujours d’un doigt tremblant que j’envoyais mon texte. C’est qu’on s’expose beaucoup, quand on publie! Quand le magazine atterrissait dans ma boîte aux lettres, je découvrais les articles bien savants de mes collègues et j’avais un peu honte du mien. 

Mais un jour, trêve de plaisanterie : comme tous les permanents, je suis passée par le poste temporaire de codirectrice de numéro. Oh la la! Ça, ça veut dire boucler le circuit, littéralement. C’est dresser un plan à deux, le présenter à l’équipe, choisir les angles et les aspects à confier aux contributeurs, trouver ces derniers, leur assigner un nombre de mots, prévoir un remplacement à la dernière minute, faire en sorte que tout se tienne et veiller à obtenir les articles à temps. 

À ce propos, j’aimerais dire que Circuit a fait de moi une contributrice ponctuelle, mais… ça ne passera pas au comité éditorial.

Cela dit, je remercie sincèrement les directions successives de Circuit pour le vertige et les sueurs froides, la patience, la collégialité, le plaisir d’écrire et de penser que je faisais sourire un peu les gens, ainsi que pour ces beaux messages qui sont tombés dans mon courriel : « Tu me fais rire », « Je commence toujours Circuit par ta chronique », « Je voulais vous le dire depuis un moment déjà : j’ai grand plaisir à lire votre chronique », « Mais qu’est-ce que t’as fumé? ». Et les félicitations amusées et compréhensives de la responsable d’un appel d’offres qui venait de lire mes loufoqueries sur les appels d’offres. Oups!

C’est sur l’air de la COVID que j’ai écrit mes dernières notes. Pas que j’aie attrapé le truc, notez bien : moi je n’ai été frappée que par une épidémie de vaccins. « Mes » notes et contrenotes avaient 20 ans! L’âge de mes petiotes a provoqué chez moi un tel choc que j’en ai perdu l’inspiration. De crainte de ne plus faire rire, j’ai tiré ma révérence.


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