Ma première contribution à Circuit remonte au numéro 51, en 1996, à la chronique Des revues que j’ai plus tard eu l’occasion de diriger pendant quelques années. À cette époque, Windows 95 trônait au sommet des SE (systèmes d’exploitation), Internet venait de naître, RDI et ses nouvelles en continu en français n’avaient que deux ans, je venais de terminer la maîtrise en traduction et j’avais décidé de poursuivre au doctorat, quoi qu’il m’en coûte. J’étais peu fortuné et jeune père; aussi, toutes les occasions étaient bonnes pour établir un réseau de contacts, surtout que, comme tous les débutants, je partais de loin et de rien, à part mes études et des valeurs à la bonne place (triumvirat de la lecture, de l’ouverture et de la curiosité). J’ai donc saisi l’occasion généreusement offerte par Michel Buttiens de collaborer au magazine que je lisais déjà avec assiduité. Je souligne au passage la grande ouverture et le formidable accueil de Michel et des autres membres de la cour des grands de l’époque : Solange Lapierre, Betty Cohen, Nada Kerpan, etc. (voir aussi les cartouches de Circuit, nos 51 et environs).
J’ai plus tard été introduit auprès du Comité de rédaction, et j’ai le souvenir d’une grande fébrilité à l’idée de venir m’asseoir à la table de l’équipe de rédaction et de confection du magazine. C’est une expérience marquante, que je recommande à tous et à toutes, débutants ou chevronnés. Les réunions avaient lieu à l’époque dans les bureaux de l’OTTIAQ au centre-ville de Montréal. C’était un exploit que de s’extirper du travail pour arriver à 17 h 30 et parler de la profession avec des collègues tous bien avisés. Longtemps, j’ai été impressionné et admiratif en pensant à ces moments de grâce. Un sentiment qui m’a habité aussi face à toutes les personnes avec qui j’ai collaboré en chemin dans la préparation des numéros de Circuit. Je tiens à les remercier sincèrement de leur contribution. Ils ont fait œuvre utile en nous aidant à faire œuvre utile nous aussi. On l’oublie trop souvent, mais sans elles, le magazine ne serait pas ce qu’il est.
Qu’étais-je allé faire dans cette galère? À part toute l’admiration que j’avais pour ces gens, et les apprentissages que j’espérais faire en les côtoyant (et je n’ai pas été déçu), je voulais aussi, comme mes collègues, contribuer à faire rayonner nos professions qui sont trop souvent méconnues et parfois malmenées sur la place publique. Avec le recul, je vois que je cherchais tout autant, au moins inconsciemment, à m’affirmer et à trouver auprès des collègues, clients, employeurs potentiels, et de la société en général, une forme de reconnaissance que je n’avais encore jamais eue à l’époque (ce qui est le lot de bien des jeunes, et j’étais du lot à l’époque, génération X oblige).
Tout cela est derrière moi, mais j’essaie maintenant de communiquer cette ferveur à mes étudiants et étudiantes. C’est à leur tour de donner vie aux nouvelles et enlevantes activités de Circuit, et d’aller s’asseoir à la table des grands pour se faire connaître. Mais pas que… Car il est question d’engagement aussi. Qu’on se le dise, tout le décorum et cette excellence ont été acquis et sont toujours à conquérir au prix d’efforts importants consentis par l’équipe de rédaction et surtout par la rédaction en chef. Dans la vie, il n’y a rien de gratuit, mais ça, vous le saviez, n’est-ce pas?
La fréquentation des collaborateurs et collaboratrices de Circuit et des membres de son comité de rédaction m’a donné l’occasion de parfaire mes connaissances sur le métier et d’en acquérir de nouvelles. Ce que je ne savais pas encore, et que j’ai compris maintenant, c’est qu’à ce moment-là, je n’étais pas encore tout à fait un traducteur ni un professionnel. Ce n’est que bien des années plus tard, après avoir entrepris une deuxième carrière dans l’enseignement de la traduction et en recherche, que je fais le constat que c’est grâce à Circuit si j’ai pu enrichir et diversifier mes compétences professionnelles, tout en rencontrant des personnes remarquables pleinement investies dans leur profession.
Tout cela pour vous dire, en hommage à Simone de Beauvoir, et peut-être pour renforcer son propos, puisque notre profession est majoritairement incarnée et représentée par des femmes, qu’on ne naît pas traductrice, traducteur, interprète ou terminologue, mais qu’on le devient! Et j’ajouterais que Circuit y contribue de belles façons, autant pour son lectorat que pour toutes les personnes qui y ont contribué.C’est précisément pour toutes les raisons que je viens d’évoquer que des gens comme moi, comme vous et comme d’autres plus tard ont poursuivi, poursuivent et poursuivront la mission de Circuit, et aussi, en passant, que l’on doit continuer de former et d’employer des traducteurs, traductrices, terminologues et interprètes puisque les applications logicielles (gratifiées d’intelligence) ne remplaceront jamais les professionnels, même s’il ne fait aucun doute que leur destin, leur avenir et leurs progrès sont intimement liés.