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La traduction au service de la lutte contre la crise climatique : une approche éducative 

Par Renée-Alexandra Marion, étudiante inscrite à l’OTTIAQ

Tandis que le monde industrialisé continue de fixer son regard sur les nouveaux cas de COVID-19 recensés et sur l’état de la chaîne d’approvisionnement, la consommation reste excessive, la pollution demeure alarmante et la crise climatique ne cesse de s’aggraver. 

Heureusement, on note un intérêt de plus en plus marqué pour les questions de nature écologique et environnementale dans bon nombre de disciplines, y compris celles de la traduction et de la traductologie. Cette nouvelle préoccupation arrive à point, puisque les compétences des traductrices figurent parmi les plus utiles pour lutter contre la menace qui pèse sur l’environnement. En effet, au fil de leur pratique, les traductrices modernes (et surtout les pigistes) seront amenées à revêtir divers chapeaux, soit celui de scientifique, d’économiste, de gamer, de poète, d’informaticienne… et la liste s’allonge. Certains de ces chapeaux seront coiffés souvent et régulièrement, tandis que d’autres seront très rarement (voire jamais) sortis de leur boîte. Quoi qu’il en soit, l’un d’eux se trouve dans la garde-robe de chaque personne qui traduit : celui d’éducatrice. En effet, tant lorsqu’elles traduisent très fidèlement du contenu éducatif que lorsqu’elles justifient un choix rédactionnel à un client, les traductrices transmettent des connaissances. Pour ce faire, elles mobilisent évidemment leurs aptitudes en langues et en communication, mais aussi leur empathie, leur capacité à décortiquer une situation complexe et leur sens des priorités : toutes des compétences communes à la bonne traductrice et à la bonne pédagogue. Dans le contexte de la crise climatique, adopter ce dernier rôle est crucial d’autant plus que l’éducation du public est nécessaire à la prise de mesures, et il serait impensable d’y parvenir sans médiation compétente. 

Par où commencer? 

Lorsqu’on se donne la tâche ambitieuse de « traduire l’environnement » dans l’intention d’éduquer le public quant aux moyens de lutter contre la crise climatique, deux questions fondamentales s’imposent : « qui traduit-on? » et « pour qui traduit-on? » La réponse à cette dernière question est simple : pour le plus de gens possible, et le plus rapidement possible, car le temps presse. La première question, quant à elle, appelle une réflexion approfondie sur divers enjeux. 

Tout d’abord, traduire l’environnement, c’est en partie traduire les peuples qui l’habitent. Ainsi, un modèle de médiation axé sur les langues dites majoritaires ne suffit plus : les groupes marginalisés étant les plus durement touchés par la pollution, on aurait avantage à accorder une place d’importance à leurs voix dans ce combat. Cependant, puisque la crise climatique découle de l’action humaine, il serait contreproductif de miser sur une approche essentiellement anthropocentrique. Par ailleurs, l’humain et l’environnement ne s’excluent pas mutuellement : ils font tous deux partie d’un système englobant dont les divers constituants, biotiques et abiotiques, sont en constante interaction les uns avec les autres et s’influencent à différents niveaux. Ainsi, pour comprendre le fonctionnement de ce système complexe et communiquer ses besoins au reste du monde en vue de le rétablir et d’assurer sa pérennité, il faudra se défaire des modèles traditionnels restrictifs qui ne tiennent compte que des préoccupations humaines. Il est maintenant temps de se pencher sur les intérêts et les voix des autres constituants du système. 

Comment traduire quelque chose qui ne « parle » pas?

Guidées par l’empathie, les traductrices devront aspirer à interpréter le monde autrement que par la langue seule en commençant par reconnaître que chaque individu, entité ou force s’exprime à sa manière. Par exemple, une pierre polie par un ruisseau révèle le passage du temps, un chien en colère grogne et montre les dents, le smog témoigne d’une accumulation de polluants dans l’air, et ainsi de suite. Chaque phénomène peut être expliqué par la personne qui s’y attarde, mais une approche interdisciplinaire s’impose. En effet, pour interpréter les messages de l’environnement, les traductrices doivent puiser dans leurs connaissances accumulées en biologie, en écologie, en éthique et en politique, entre autres. C’est une fois le message interprété (et confirmé par des spécialistes), qu’une connaissance approfondie de la langue d’arrivée devient utile et que le chapeau d’éducatrice doit être revêtu : le message doit être reformulé pour un public humain et adapté de manière à être compris par le plus grand nombre d’individus possible, sans égard à l’âge, à l’identité de genre, à l’ethnie, au culte, à la culture… Une tâche ardue, mais réalisable avec les bons outils et une collaboration positive entre les disciplines intéressées. 

La responsabilité sociale de la traductrice : une piste pour l’avenir 

Enfin, pour faciliter la mise en œuvre de moyens de communication efficaces et transparents dans un contexte aussi multifacette que la traduction de l’environnement, les traductrices n’auront d’autre choix que de prendre conscience de leur propre rôle dans la propagation de la crise climatique et d'accepter la responsabilité sociale qui en découle. Pour commencer, on ne peut plus se permettre de négliger le rôle du secteur de la traduction — aujourd’hui essentiellement en ligne — dans l’extractionnisme, la pollution numérique et l’émission de gaz à effet de serre, pour ne nommer que quelques exemples. Ainsi, les traductrices de tous les domaines devront devenir un moteur de changement en réduisant leur propre impact écologique et en aspirant continuellement à trouver de nouvelles manières de pratiquer la traduction de façon intelligente et durable selon les moyens à leur disposition et les nouvelles technologies développées. Par ailleurs, personne n’étant à l’abri de la crise climatique, les traductologues spécialisées en environnement ne peuvent plus se contenter de faire publier des articles denses et complexes, puis de rester dans l’ombre en attendant qu’on tombe sur leur travail par hasard (et qu’on le lise et le comprenne). Elles devront elles aussi se faire pédagogues en s’engageant au sein de leur communauté et en privilégiant l’inclusion et la vulgarisation avant qu’une prise de conscience collective puisse se manifester. 

Renée-Alexandra Marion détient un baccalauréat en enseignement du français au secondaire de l’Université de Montréal et étudie actuellement à la maîtrise professionnelle en traductologie à l’Université Concordia. Ses intérêts de recherche se situent dans les domaines du développement durable, de la consommation responsable et de l’écologie. 


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