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2029, l’Odyssée de la traduction

Depuis l’apparition de la traduction automatique, la question de l’avenir du domaine passionne et divise les professionnels.

Par Quentin Poupon
 

Au cours des dernières années, les nombreuses avancées technologiques en matière d’outils d’aide à la traduction ont redéfini le rôle du traducteur. Entre bases terminologiques, mémoires de traduction et autres concordanciers, nous avons à notre disposition mille et une façons de faciliter notre travail. Ces outils ne dénaturent pas le processus linguistique, bien au contraire. Ils assurent l’uniformité des textes produits au fil des traductions ainsi que l’exactitude de la terminologie employée. L’idée de se défaire de ces outils paraît inconcevable tant ils sont ancrés dans la routine quotidienne et apportent un gain de productivité considérable.

Le débat autour de la traduction automatique

Cependant, affirmer que toutes les technologies proposées suscitent l’unanimité parmi les professionnels du domaine serait erroné et bien loin de la réalité : les discussions autour de la traduction automatique (TA) en témoignent. Au sein de ce débat, deux écoles de pensée s’opposent.

Certains n’y voient qu’un simple outil dont les capacités limitées ne remplaceront jamais les compétences linguistiques d’un traducteur chevronné. Certes, la fluidité et le style général des textes produits par des outils de TA laissent encore à désirer, mais les progrès réalisés depuis quelques années sont indéniables. La traduction dite « neuronale » en est un parfait exemple. Bien qu’elle se présente sous une forme semblable à la TA, son processus interne s’avère bien plus complexe que le mot-à-mot ordinaire. Son objectif est de reproduire le fonctionnement cérébral humain avec le plus de précision possible. Elle extrait d’abord le sens global de chaque phrase avant de se concentrer sur la grammaire et la syntaxe. Ensuite, elle analyse le contexte et repère les mots-clés afin de peaufiner la traduction proposée. Par conséquent, face à la phrase anglaise « Yesterday, the dog gave birth. », l’outil de traduction neuronale comprend que « dog » doit se traduire par « chienne » dans un contexte de mise bas. En revanche, à l’heure actuelle, Google Translate le rend encore par « chien ».

D’autres professionnels, bien conscients de ces avancées technologiques, craignent que ce type d’outil atteigne une exactitude telle que le texte traduit ne nécessiterait aucune intervention humaine. Pour reprendre l’exemple de Google Translate, il est aujourd’hui possible d’apporter des corrections aux traductions qu’il produit afin d’obtenir de meilleurs résultats; cette option a considérablement amélioré la qualité des suggestions. D’ailleurs, certains chercheurs visent l’automatisation complète dans certains domaines de spécialité. Par exemple, le laboratoire RALI (Recherche appliquée en linguistique informatique) de l’Université de Montréal a mis au point un prototype de système de traduction entièrement automatisé pour des bulletins et avertissements météorologiques émis par le Service météorologique du Canada. Même s’il s’agit objectivement d’une réelle prouesse, cette avancée ne manque pas de renforcer le sentiment d’impuissance des traducteurs face à la TA. Cela dit, il est important de relativiser la situation : les traductions produites par ce système doivent être révisées en tout temps par des traducteurs humains, car la qualité est loin d’être parfaite. De plus, cette automatisation a été rendue possible grâce au contenu pragmatique particulièrement récurrent du domaine. Dans des textes à saveur littéraire où la stylistique importe, les traducteurs ont certainement de beaux jours devant eux avant de céder entièrement leur place à une machine. Dès lors, plutôt que d’appréhender les progrès de la TA, il serait judicieux de les envisager comme la porte d’entrée vers une évolution de la profession.

La postédition : une discipline prometteuse?

En effet, allier une prétraduction produite à partir d’un outil de TA aux compétences rédactionnelles d’un traducteur est tout à fait sensé. C’est de cette réflexion qu’est née une nouvelle discipline : la postédition. Cela consiste à retravailler un texte prétraduit automatiquement pour le rendre intelligible. Dans le contexte actuel de mondialisation et d’essor d’internet où le volume de textes à traduire ne cesse d’augmenter, la postédition répond parfaitement à la demande du marché. Les textes postédités doivent être livrés rapidement, en grande quantité, le tout à un tarif inférieur à celui d’une traduction classique. Certes, dans l’absolu, tout cela n’est guère accrocheur, mais grâce aux progrès indéniables de la TA, la qualité des textes prétraduits est, dans l’ensemble, convenable et ne nécessite que peu d’intervention de la part du langagier. Par conséquent, le rendement accru compense largement la faible rémunération de la discipline : le postéditeur est censé passer en revue quelque 3 500 mots par jour contre environ 2 000 en traduction, ce qui lui permet de traiter approximativement 30 000 mots supplémentaires par mois.

Le choix de la postédition ne doit donc pas être négligé tant la demande pour ce type de service s’accroît. La profession de traducteur, quant à elle, n’est pas en voie d’extinction, mais plutôt en cours d’évolution : les nombreuses avancées technologiques orientent tranquillement le rôle du traducteur vers une discipline connexe où les outils occuperont une place plus importante qu’auparavant, sans pour autant évincer le langagier du processus.

La traduction « cyborg » dans tout cela?

Pour terminer sur une note de légèreté, le sujet de la traduction « cyborg » utilisée dans la littérature de science-fiction semble tout à fait pertinent. En effet, dans des ouvrages tels que « I’ll Be Waiting for You When the Swimming Pool Is Empty » de James Tiptree, Jr. ou « The Eyes of the Overworld » de Jack Vance, les protagonistes parviennent à entrer en contact avec des formes de vies extraterrestres grâce à des technologies si poussées qu’elles feraient rêver n’importe quel langagier. Par exemple, ces machines seraient capables de traduire instantanément une langue vernaculaire tout en respectant le contexte énonciatif et en décelant la moindre insinuation ou ironie de la part de l’interlocuteur. Cependant, il est important de préciser que le fonctionnement presque miraculeux desdites machines reste un mystère, tant pour le lecteur que pour l’auteur. Après tout, si cela fonctionne, l’histoire peut simplement suivre son cours, n’est-ce pas?

L’idée de machines entièrement autonomes et aptes à traduire n’importe quelle langue instantanément est à la fois fascinante et saugrenue. À l’heure où la traduction automatique nécessite encore le passage d’un humain, il est en effet difficile d’imaginer comment une telle technologie pourrait voir le jour. Mais qui sait ce que l’avenir nous réserve?

 

quentin Quentin Poupon est actuellement dans sa dernière année de spécialisation en traduction, programme coop, à l’Université Concordia. Depuis août 2016, il occupe le poste de chargé outils linguistiques à Lionbridge.

 

Références

Anne-Marie Robert, « La post-édition : l’avenir incontournable du traducteur? », Traduire, 2013, [En ligne] consulté le 20 septembre 2018. URL : http://journals.openedition.org/traduire/460.

Doug Robinson, Cyborg Translation, [En ligne] consulté le 20 septembre 2018. URL : http://home.olemiss.edu/~djr/pages/writer/articles/html/cyborg.html.

Marc Lambert, « Informatisable, délocalisable? Un statut social fragilisé pour le traducteur », Magazine Circuit, no 131, 2016, [En ligne] consulté le 20 septembre 2018. URL: http://www.circuitmagazine.org/dossier-131/informatisable-delocalisable-un-statut-social-fragilise-pour-le-traducteur.

 Philippe Langlais, Simona Gandrabur, Thomas Leplus and Guy Lapalme, The Long-Term Forecast for Weather Bulletin Translation, Machine Translation, Vol. 19, no 1, 83-112, Kluwer Academic Press, 2005.


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