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Après la traduction : entrevue avec un acteur de doublage pornographique

Le comédien et acteur de doublage pornographique Michael D’Amours1 explique les particularités de son métier.

Propos recueillis par Dominique Pelletier


Circuit 
: Comment les films que vous doublez sont-ils traduits?

Michael D'Amours : La plupart du temps, mon patron, qui a une formation en traduction, et l’une des comédiennes traduisent les films ensemble. On nous propose souvent de traduire notre propre texte pour augmenter notre cachet, mais je ne le fais pas, principalement par manque de temps. Parfois, on modifie la traduction en cours de doublage pour s’ajuster au débit de parole ou pour choisir des mots qui sonnent mieux, mais on change rarement le sens de ce qui est dit.

C. : Comment se passe une séance de doublage pornographique?

M. DA. : Certaines séances se font dans un environnement professionnel, d’autres dans des studios maison. Je ne me prépare jamais; je découvre le texte, le son et l’image au moment où je double. Dans certains studios, le texte apparaît à l’écran, comme dans un karaoké. À d’autres endroits, on se rapproche de la surimpression vocale : j’ai le texte sur papier et je me fie au code temporel pour savoir quand je dois intervenir.

En général, chaque comédien enregistre sa propre piste, seul dans sa cabine. Mon patron, le propriétaire du studio, est à la console pour faire le mixage et s’assurer que le doublage respecte certaines exigences de qualité. Dans une séance d’environ trois heures, je fais en moyenne trois films, si on calcule une ou deux scènes de 20 à 30 minutes par film. Je peux doubler jusqu’à trois acteurs différents en une séance et je ne sais jamais à quoi m’attendre.

C. : Qu’est-ce qui distingue le doublage pornographique du doublage conventionnel?

M. DA. : Dans les films pornographiques, les effets sonores sont d’habitude sur la même piste que les voix. En conséquence, non seulement chaque acteur ou actrice doit doubler la voix et les gémissements ou les grognements, mais il ou elle doit reproduire les sons corporels. Par exemple, je dois faire les sons de pénétration et ma collègue actrice se charge des sons de fellation. Ça facilite grandement la tâche de l’ingénieur du son.

Ce type de traduction non verbale est un standard dans l’industrie, on en voit un exemple dans la scène de doublage du film Jésus de Montréal de Denys Arcand. Je fais les sons avec mes mains, en tapant avec les doigts dans le creux de mon coude, ou avec la bouche, en suçant mon pouce, par exemple. Il ne faudrait pas que je sois filmé quand je travaille! C’est certain que la dimension performative est centrale au doublage pornographique.

C. : Vous concentrez-vous sur la cohésion avec la voix ou avec l’image?

M. DA. : Les deux sont importantes. Je ne double pas seulement ce que j’entends, mais aussi ce que je vois. C’est comme si mon cerveau était séparé en deux. Je dois toujours me concentrer sur les détails les plus importants selon le moment de la scène. S’il y a des dialogues, je mets l’accent sur le texte et la respiration, si c’est un gros plan sur la pénétration, les effets sonores priment. Dans ce dernier cas, la cohésion avec l’image est très importante.

J’essaie d’être le plus fidèle possible à la voix de mon personnage, mais ma voix reste toujours la mienne. Je dois toutefois la moduler, ajuster mon registre, pour refléter l’âge du personnage, par exemple. Il m’est arrivé de ne pas savoir si je devais adopter le timbre d’un garçon ou une voix plus féminine; dans ces cas-là, je tente de rester le plus proche possible de la tonalité de voix du personnage pour respecter son identité de genre.

C. : A-t-on besoin d’une formation spécialisée pour faire ce type de doublage? Ce travail est-il reconnu?

M. DA. : Dans mon cas, tout a commencé lorsque j’ai fait du doublage pour un film conventionnel et que j’ai dû pousser des cris de jouissance. Ça m’a permis de dire que j’avais de l’expérience en la matière, et c’est comme ça que j’ai obtenu du travail dans ce domaine de la porno. La formation, c’est surtout pour la diction, la phonétique et la lecture à première vue. C’est certainement un avantage pour moi d’avoir été formé à l’École nationale de théâtre. J’ai aussi une formation en surimpression vocale qui me permet de savoir comment synchroniser ma voix avec les codes temporels. Il faut aussi avoir de l’expérience avec le micro et comprendre sa dynamique. Toutefois, pour certains aspects du travail, il n’existe pas de formation; il faut être autodidacte.

Si les gens en dehors de l’industrie du cinéma et de la télé sont surtout curieux et veulent savoir comment ça se passe, dans le milieu, il y a de nombreux préjugés. Certains pensent qu’on en est réduit à ça parce qu’on ne trouve pas d’emploi. Je fais du doublage pornographique parce que j’aime doubler, pas nécessairement parce que je suis d’accord avec l’industrie de la pornographie. Je ne mettrais jamais ce type de travail dans mon CV, mais je me considère malgré tout comme un doubleur professionnel, avec une formation et de l’expérience. J’ai déjà assisté à une séance où un acteur pornographique doublait sa propre voix et c’était un fiasco. On pensait qu’il allait faire ce travail avec brio parce qu’il était acteur et qu’il connaissait son personnage, mais on a dû refaire tout le doublage avec un professionnel.

C. : Que pensez-vous des films que vous doublez? Y a-t-il un genre que vous préférez aux autres, ou un que vous aimez moins?

M. DA. : On va se le dire : la qualité du son ou même du jeu de certaines versions originales n’est pas toujours très bonne. Pourtant, la musique et les sons influencent beaucoup le visionnement. La trame sonore de certains films est constituée de musique que j’écouterais dans la vie de tous les jours, ou encore de musique classique, alors que d’autres contiennent plutôt une musique digne d’un clavier jouet. Il y a parfois des bruits parasites : on entend par exemple un avion qui passe ou un chien qui aboie. Nous améliorons les films par un doublage et un jeu de qualité et nos clients nous complimentent souvent pour notre travail.

Pour ce qui est du genre, je préfère les films où on sent le souci du détail. C’est souvent le cas de la pornographie réalisée par des femmes. Elle contient en général moins de gros plans sur les sexes, plus de préliminaires et des scènes beaucoup plus longues. On consacre plus de temps à l’histoire et à la mise en contexte avant la scène sexuelle et on cherche vraiment à valoriser le jeu des acteurs. C’est ce travail de jeu qui me motive. C’est plus intéressant à doubler; passer un film au complet à faire des sons non verbaux, ça m’ennuie, même si ça rend le travail beaucoup plus rapide. J’aime aussi doubler les films de jeux de rôles, car cette pratique permet de raviver la flamme des couples en manque de passion, qui sont, je crois, une catégorie importante de consommateurs de pornographie.

Je double surtout des films américains, russes et brésiliens, mais la langue originale est toujours l’anglais. Selon la provenance, les types de pornographie sont assez différents, mais peu importe la provenance et le genre, la pornographie hétérosexuelle demeure très répétitive et suit toujours le même modèle : rencontre, baisers, fellation, cunnilingus, baisers, fellation, pénétration devant, sur le côté, par derrière, sur le dos, éjaculation.

Les gens me demandent souvent si les films que je double m’excitent. C’est certain que parfois, je vois des scènes particulièrement impressionnantes, mais je dois en tout temps rester professionnel et me concentrer sur le travail, qui demande une attention de tous les instants.

C. : À quel public s’adressent les films que vous doublez?

M. DA : Je double tout autant des films de pornographie hétérosexuelle que de pornographie homosexuelle et, dans les deux cas, les films sont diffusés sur les chaînes câblées. Étant donné que ça passe à la télévision, ça reste toujours assez soft. Au fait, personne ici ne double pour le web, car ce type de contenu n’est pas soumis aux exigences du CRTC (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, NDLR), qui stipule que tous les films diffusés sur les chaînes francophones doivent être doublés systématiquement.

On ne double pas nécessairement pour le public québécois, mais c’est sous-entendu. Je crois que certains auditeurs pourraient être freinés par un doublage qui sonne trop européen. En tant que doubleur, j’essaie toutefois de rester dans un français « international », en ayant une phonétique et une diction irréprochables. Parfois, je relâche un peu mon accent pour certains personnages, mais ça demeure très subtil. J’aime quand même me reconnaître un peu dans les personnages que je double.

 

1. Pseudonyme


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