« The French Tongue being confessedly an essential part of a liberal education, every attempt to render the study less painful, and the attainment of that fashionable language more expeditious, cannot meet but with encouragement from the judicious part of the public. »
Ainsi commence la préface de cet opuscule trouvé dans les affaires de Tantine, qui s’intitule The Elements of French and English Conversation with New, Familiar and Easy Dialogues, Each Preceded by a Suitable Vocabulary, French and English, Designed Particularly for the Use of Schools. Par John Perrin, révisé et corrigé par C. Preudhomme.
Remarquez le new dans le titre. C’est que la première édition est de 1786 et celle que j’ai récupérée, malheureusement sans date, est postérieure d’au moins cent ans, selon Internet. Mon exemplaire est donc sûrement prototantine, mais il n’en est pas moins très utile; aussi vais-je m’y reporter dans les lignes qui suivent.
D’après les manuels que j’ai à portée de main, l’apprentissage d’une langue commence souvent par les formules de politesse, la boustifaille, les professions et les traits physiques. M. Perrin et son continuateur ont évité les traits physiques. Parler des cuisses, même si elles ne sont pas légères, est sans doute osé si on n’a jamais vu de Rubens.
Le vocabulaire de la première leçon compte 24 substantifs, dont une bonne douzaine de fruits, mais aussi des valeurs sûres comme ennemis, supérieurs, inférieurs, égaux. Pourquoi parler profession pour classer son monde quand on peut y aller aussi directement (« les ducs sont au-dessus des comtes / dukes are above earls »)?
Quand vient son tour de réviser la 35e édition ou à peu près, M. Preudhomme laisse passer ou ajoute, dès la deuxième leçon, un déconcertant « eûmes-nous du dégoût? / had we disgust? ». Puis il nous apprend à nous inquiéter de la collation que servira notre hôte « aura-t-il des avelines / will he have filberts? ». Preuve que les allergies aux noix ne sont pas si récentes. Enfin, de nature belliqueuse, l’auteur nous invite à craindre la réaction de l’hôte à toutes nos questions et nous enseigne un pratique : « a-t-il une épée? / has he a sword? ».
La question de l’épée était sans doute pertinente dans la première édition, mais un siècle plus tard? Vers la fin des années 1800, l’hôte, vexé qu’on lui demandât s’il comptait nous régaler d’avelines, nous eût-il défiés à l’épée? [J’espère avoir bien conjugué. En tout cas, j’ai tenté de suivre ce précieux conseil : « Il y a des lettres alphabétiques, à la fin de chaque verbe, qui indiquent le tems [sic] dans lequel il doit être mis. »]
Je croyais que les 316 pages de Duel au Canada1, d’Ægidius Fauteux (1934), m’apporteraient la réponse, mais non (« je le raconte pour badiner / I relate it in jest »). À partir des années 1830, écrit Fauteux, le duel décline dans le Haut-Canada, mais prend une direction ascendante dans le Bas-Canada. Et dès la fin du régime français, on préfère trouer l’adversaire au pistolet que le pourfendre à l’épée. John Bull(et) (« quel est le nom de votre maître? / what is your master’s name? ») a supplanté D’Artagnan. N’empêche, je retournerai sûrement à cet ouvrage quand je serai venue à bout des vingt livres en jachère dans ma bibliothèque. Comment résister à ce Sabrevois qui se bat au pistolet, à un duelliste appelé Rambau et aux intertitres comme « Procès faits aux cadavres de duellistes », « Corollaire devient bourreau à la suite d’une affaire d’honneur » et « Une balle reçue en duel met vingt ans à tuer le juge O’Sullivan »? Inutile de cracher sur ancestry.ca, je suis certaine de ma parenté avec ce Fauteux de troubles.
Après cette parenthèse, permettez-moi un crochet du droit vers l’article 71 de notre Code criminel, qui dit ceci, en date du 25 février 2018 :
Je n’ai pas le droit de rire : je viens de trouver une cassette huit pistes au sous-sol (« vous ne l’aurez pas à moins de douze guinées / you shall not have it under twelve guineas »).
Heureusement, en juin 2017, le législateur a annoncé son intention d’abroger l’article désuet. Conséquence : il ne sera plus illégal de provoquer votre prochain en duel! Bien entendu, si le prochain en question n’a pas de permis de port de fleuret (« plaignez son malheur / pity his misfortune ») vous pourrez être accusés d’une foule d’autres choses.
Mais fermons crochets et parenthèses et revenons à Perrin et à ses précieux conseils. Pour nous guider au mieux, il précise : « the words of the vocabularies, to make sense in some places, are generally to be asked from the left to the right, which a master will easily perceive. »
Bien sûr. Par exemple :
À gauche :
À droite : « There are likewise alphabetical letters at the end of each verb, which indicate the tense in which it ought to be put. »
Je viens manifestement de trouver dans les archives de Tantine les sources de Google Translate. Jugez plutôt :
They have dipt the cat | Ils ont plongé le chat |
Sign the bargain | Signez le marché [un cas où il faut aller de droite à gauche?] |
Post up your advertisement | Affichez votre avertissement |
Chequer the floor | Bigarrez le plancher |
He has not swallowed the physic | Il n’a pas avalé la médecine |
You did not teach the ignorant | Vous n’avez pas enseigné les ignorans [ils ignorent entre autre leur chance!] |
He is returned empty | Il est retourné à vide |
I have slept quietly | J’ai dormi en repos |
J’espère que vous serez content. | I hope that you will be contented. |
1. http://collections.banq.qc.ca/bitstream/52327/2022971/1/411439.pdf