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Parler basque comme une vache espagnole

Par Eve Renaud, trad. a.

J’ai commis l’erreur de traiter mon cerveau comme une ressource renouvelable et lui ai imposé 25 heures de catalan puis 25 heures de castillan avant de me rendre dare-dare à Barcelone, capitale de la Catalogne. Bien entendu, ni l’un ni l’autre (cerveau, catalan et castillan) n’était au point. Laissant derrière moi une piste grossière de catañol, j’ai ensuite impudemment visé la côte basque.

L’Espagne compte quatre langues officielles, comme vous le savez (évidemment / sans doute / peut-être / depuis une seconde – prière de biffer les mentions inutiles) : le basque, le catalan, le galicien et le castillan (ce dernier étant généralement celui qui porte le nom d’« espagnol »). Mon GPS en affichait cinq : allemand (sa langue maternelle), anglais, castillan, français et molette. En effet, Consuelo (étant donné sa voix féminine) Becker (quelques réinitialisations intempestives m’ont permis de savoir que tel est son patronyme), Consuelo, donc, a préféré la molette au langage tactile. Quand je lui faisais part de ma destination du jour, je devais donc tourner ladite molette vers la droite et la gauche pour choisir successivement dans l’alphabet affiché à l’écran chacune des lettres du toponyme correspondant. Comme le pays de Galles ne figurait pas dans mes plans, j’ai échappé à Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwlllanttysiliogogogoch.

En trois heures de manipulations de molette et une de vaines recherches dans le mode d’emploi conçu pour une branche différente de la famille,
j’ai réussi à imposer l’unilinguisme français à Consuelo. Ses indications en castillan m’étaient tout à fait compréhensibles, au demeurant, mais
comme, dans cette langue, la gauche et la droite aboutissent à la même voyelle et que je n’ai pas réussi, en deux semaines de fréquentations, de supplications et d’objurgations plurilingues, à la faire répéter quand le bruit de la circulation ambiante masquait l’izquierd et la derech précédant le « a », mieux valait procéder à l’assimilation accélérée. C’est dommage parce qu’ainsi, je ne sais pas quel aurait été son équivalent du très cartésien « Préparez-vous à continuer tout droit » qu’elle m’assenait de temps à autre.

Cela étant, j’avais hâte d’entendre du basque. Au cours de linguistique que j’ai suivi jadis, il y avait deux Basques, qui épaississaient le mystère de leur langue au moyen d’une épaisse barbe noire. Dans mes souvenirs, leur dialogue ressemblait au crépitement d’un télégraphe. D’un télégraphe de cinéma, qui plus est, parce qu’en vous l’écrivant, spontanément, il me revient à l’esprit que je n’ai jamais de ma vie entendu un télégraphe authentique.

Au Pays basque espagnol, les panneaux indicateurs qui jalonnent l’autoroute sont bilingues basque-castillan. J’apprends assez rapidement, mais tout de même pas à 130 kilomètres à l’heure (limite permise, oui, oui, dans ces contrées). Heureusement, le montant des péages est annoncé en chiffres. Toutefois, au premier poste de prélèvement où j’ai jeté mes pièces dans la grande vasque, ce n’est pas un Basque béretté et barbu qui m’attendait mais une jeune femme tout sourire qui m’a saluée et remerciée d’un hochement de sa tête glabre et découverte et m’a semblé me presser de porter un casque… La ceinture de sécurité, je veux bien, mais le casque ?

Au premier magasin de souvenirs venu, j’ai tenté de resquiller le vocabulaire de base auprès de la vendeuse. J’aurais dû savoir que si la politesse n’a pas de prix, il n’en va pas de même de la traduction. Quelques instants plus tard, j’étais donc l’heureuse propriétaire d’un/une (le genre n’existe pas, en basque, « sauf attaché au verbe pour le tutoiement », précise Wikipédia) hiztegia euskara frantsesa soit, comme chacun sait, un dictionnaire basque-français et inversement. J’ai pu reconstituer les paroles de l’aimable fonctionnaire, qui devaient être à peu près « Kaixo ! Eskerrik asko ! » (bien l’bonjour et merci !).

Dès que l’on quitte l’autoroute pour rejoindre la corniche ou la campagne basque, on emprunte des départementales et des chemins creux qui prônent l’immersion. Si vous ne savez pas que Saint-Jean s’appelle Donibane, vous devez faire aveuglément confiance à votre avatar de ma Consuelo parce que les panneaux ne diront rien d’autre que Donibane. Vous comprendrez en vous garant sur le seuil de l’hôtel de ville (Udaletxe) que aldea quelque chose ou quelque chose aldea, c’est centre-ville, et si vous reniflez soudainement une odeur d’encens, vous saurez que l’Eliza annoncée, ce n’est pas le nom d’un hôtel mais bien une église.

Par ailleurs, comme on mange fort bien dans cette région, il est impossible que vous n’entendiez pas bientôt retentir un tabernak. Non, vous n’avez pas encore trouvé de parenté entre le basque et notre langue vernaculaire. Tabernak, c’est bistrot. Au pluriel, bien sûr, comme l’indique le « k » final.

Justement, c’est l’heure de souper alors là-dessus, agur !

img parler basque


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