Une entreprise vaut ce que valent ses ressources humaines. Une profession aussi. La transmission des compétences d’une génération à l’autre est la clé de son épanouissement dans le temps. Niveau de formation générale et d’aptitude langagière et rédactionnelle au sein du milieu, provenance et sélection plus ou moins restrictive des candidats, optique et visées d’une formation purement linguistique ou axée sur les domaines de spécialité (droit, gestion, comptabilité etc.), recours à une pédagogie plus dynamique que le sempiternel cours magistral, voilà les éléments qui permettent la montée en ligne de praticiens aptes à poser leurs marques dans un marché où l’on est appelé, d’entrée de jeu, à faire ses preuves en flux tendu.
La formation et la relève est donc un autre grand thème récurrent dans Circuit et, encore une fois, la consultation des dossiers des 30 années d’existence de notre revue donne un portrait assez précis de la situation.
Une question revient sans cesse : comment arrimer formation et besoins du marché ? En 1984, l’Université d’Ottawa innovait déjà.
Juin 1984, n° 5 Comment faciliter le passage du campus universitaire à l’entreprise ?
En alignant le plus possible la formation sur les conditions réelles d’exercice. Ghassan Aris et Jean Delisle décrivent TRADUC et TRANGLIA, deux services de traduction étudiants constitués dans le cadre d’un cours donné à l’École de traducteurs et d’interprètes (ETI) de l’Université d’Ottawa. Le premier, mis sur pied en septembre 1982, offre des services de traduction vers le français ; le second, créé en janvier 1984, des services de traduction vers l’anglais. Initiative de Roda P. Roberts.
Cette expérience inédite en pédagogie de la traduction vise à mettre les étudiants de la dernière année du baccalauréat dans une situation d’apprentissage proche des conditions de travail de la profession tout en leur accordant des crédits normalement rattachés à un cours pratique de traduction.
Tarifs ? Le minimum du marché, 11 cents le mot pour les textes généraux et 13 cents le mot pour les textes spécialisés. Demi-tarif pour les profs et étudiants de l’université. Travail occasionnellement gratuit pour les organismes bénévoles.
Les services sont dirigés par deux traductrices professionnelles, Lorraine Brand et Frances Henderson.
Pour satisfaire aux exigences du cours, chaque étudiant doit participer à la gestion du service et traduire environ 5 000 mots de manière satisfaisante; la plupart en traduisent 6 000 ou 7 000.
Ces deux services de traduction permettent aux étudiants 1) de traduire un nombre appréciable de mots au cours d’un trimestre – beaucoup plus que dans un cours normal ; 2) d’améliorer leurs méthodes de travail ; 3) de rentabiliser leurs recherches documentaires et terminologiques ; 4) d’apprendre à respecter les échéances ; 5) de traduire occasionnellement sous pression ; 6) de s’habituer au fonctionnement d’un service de traduction – fiches de contrôle, comptabilité, etc. ; 7) de négocier des contrats avec des clients.
Plus important encore du point de vue pédagogique, les étudiants se font réviser à la manière professionnelle par des réviseures expérimentées : celles-ci n’accompagnent pas leurs corrections de notes explicatives sur la nature des erreurs commises. La révision n’est donc pas « didactique » mais « pragmatique ». Les apprentis traducteurs peuvent ainsi évaluer la qualité de leurs traductions selon une « norme » professionnelle différente de la « norme scolaire ».
Septembre 1985, n° 10
Sur le vif, Congrès STQ...
La formation universitaire est-elle adéquate ?
Par Betty Cohen
En fait, les universités font de leur mieux, compte tenu des contraintes qu’on leur impose. Elles sont, en effet, de plus en plus à l’écoute du marché et de ses besoins. Mais il leur est difficile d’y répondre, lorsqu’il faut à la fois respecter les restrictions budgétaires et admettre des étudiants dont les connaissances fondamentales laissent à désirer.
On sait d’autre part qu’en traduction, en terminologie ou en interprétation, rien ne vaut la formation pratique, C’est là que se pose de nouveau la question des stages. Peut-on inscrire des stages obligatoires au programme lorsque les employeurs ne sont pas prêts à en offrir ?
Voici quelques conclusions du congrès de la STQ portant sur la question :
Juin 1986, n° 13
À quand les universités à la page ?
L'université montre à traduire. Elle ne prépare pas à exercer la profession de traducteur
On pose la question de l’adéquation de la formation universitaire, au regard des exigences du marché. Débat mené par le Comité des relations avec les universités de la STQ.
Le nouveau diplômé est-il prêt à affronter le marché du travail ? Dispose-t-il du bagage et des aptitudes nécessaires ?
Pour Viviane Julien, présidente de l’Association des conseils en francisation du Québec et diplômée en 1970, la formation universitaire en traduction ne prépare pas suffisamment à d’éventuelles fonctions de gestion de service.
Pour Andrée Lambert et Claude Bédard, diplômés en 1975 et traducteurs indépendants, la formation ne prépare pas suffisamment le traducteur à négocier avec son client.
On constate par ailleurs une lacune dans l’initiation à l’organisation du travail. En effet, si on enseigne très bien l’exercice intellectuel de traduction, on laisse de côté tout l’aspect pratique de la profession. Le traducteur qui travaille seul doit par conséquent posséder ces aptitudes de façon innée ou les acquérir par d’autres moyens. C’est donc, là encore, l’introduction aux méthodes de gestion qui fait défaut. Cependant, alors qu’en 1970, elles devaient servir à créer ou à développer un service d’entreprise, cinq ans plus tard, ce sont les futurs traducteurs indépendants qui en ont besoin.
Marie-Christine Blais, quant à elle, est arrivée sur le marché du travail en plein milieu de la récession des années 1980. Pour elle, c’est le rendement et les connaissances qui prévalent. « La société ne nous attend plus, dit-elle. Il faudrait que le nouveau diplômé ait la même expérience et le même rendement qu’un traducteur chevronné... Ce sont donc ceux qui ont le plus de connaissances et, surtout, le plus d’ambition et d’assurance qui réussissent ». Elle déplore surtout le manque de préparation à la réalité du marché. Selon elle, seuls les étudiants qui ont eu la chance de suivre un stage peuvent s’adapter facilement aux conditions de travail.
La solution ? Les stages ou jeux de rôles, un mode de formation courant à HEC Montréal. Placer l’étudiant en situation de travail réelle ou simulée. L’amener à tenir des délais mieux alignés sur les exigences de l’entreprise, fut-ce au prix d’un concert de protestations. À l’unanimité : tous conviennent qu’il est essentiel d’offrir des cours de gestion en décloisonnant la formation.
Les années 1990 sont des années maigres pour la formation universitaire. Les entreprises, en pleine impartition, ont cessé d’embaucher et les universités, suivant le mouvement, ont contingenté leurs programmes, ce qui a fait craindre une pénurie dans les années 2000. Une étude menée par le Bureau de la traduction et Industrie Canada annonçait le pire. Quoique…
Printemps 2004, n° 83
La relève, un vrai problème ?
Par François Gauthier, trad. a.
La pénurie anticipée de professionnels langagiers est-elle aussi importante que ne le laisse entendre l’industrie de la langue ?
Depuis au moins six ans, il me semble qu’on n’entend parler que de la relève. En 1999, le fameux Rapport final du Comité sectoriel de l’industrie canadienne de la traduction affirmait : « Les cabinets assistent progressivement au vieillissement de leurs effectifs, indiquant ainsi que peu de nouvelles recrues y accèdent. » On indiquait que le professionnel type œuvrant en cabinet avait 41 ans, le traducteur autonome, 45 ans, et qu’au Bureau de la traduction, les traducteurs avaient 46 ans en moyenne. Et les auteurs du rapport d’ajouter : « Nos diverses enquêtes ont révélé que la demande de professionnels […] se situera entre 900 et 1 000 par année pour les trois prochaines années1. »
Plus récemment, le Sondage de 2002 sur la tarification et les salaires de l’OTTIAQ2 révélait que l’âge moyen de ses répondants était de 47 ans, et que 84 % d’entre eux avaient neuf années et plus d’expérience contre 63 % en 1992. En outre, les membres de l’Ordre comptant trois années d’expérience et moins avaient en moyenne 37 ans, ce qui tend à démontrer que les débutants commencent leur carrière plutôt tard.
En 2003, l’Association des conseils en gestion linguistique (ACGL) faisait même de la relève le thème de son programme d’activités de l’année, et l’OTTIAQ inscrivait le sujet au nombre de ses priorités. Pendant ce temps, certains langagiers moins débordés que d’autres levaient le sourcil et se demandaient : « Si le volume augmente et qu’il manque tant de traducteurs, comment se fait-il qu’il m’arrive encore d’avoir des périodes creuses ? »
Les prévisions du Rapport final s’appliquaient à 2000, 2001 et 2002. Or, on sait que les universités canadiennes n’ont pas produit un tel contingent de nouveaux diplômés au cours de ces trois années. Comment a-t-on fait, alors, pour absorber le surcroît de travail annoncé, et comment se fait-il que de talentueux jeunes diplômés aient quand même de la difficulté à trouver du travail ? Serait-ce la rectitude politique qui nous empêche de nous demander dans quelle mesure la pénurie annoncée ne reflète pas des prévisions un peu gonflées ?
1. Les données sont tirées du Rapport final du Comité sectoriel de l’industrie canadienne de la traduction, Stratégie de développement des ressources humaines et d’exportation, publié en 1999.
2. GAUTHIER, François, Sondage de 2002 sur la tarification et les salaires, Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec, Montréal (Québec), 2003. Ce sondage est destiné à l’usage exclusif des membres de l’OTTIAQ.
Cela dit, la demande augmente et les universités doivent répondre à un marché de plus en plus exigeant. Elles innovent, donc, et proposent de nouvelles pistes.
Hiver 2005, n° 86
Une solution d’avenir : la formation plurielle
Par James Archibald
Pour ouvrir les horizons des apprentis traducteurs, certains proposent une formation qui leur permettrait d’acquérir des connaissances dans d’autres domaines que celui des disciplines langagières.
Exemple ? Le projet innovateur proposé en avril 1998 aux membres de l’Association canadienne des écoles de traduction par le Bureau de la traduction, qui a permis d’établir, dès 1999 un partenariat entre diverses écoles membres et le Bureau, au profit des étudiants, des établissements et du Bureau. Comme suite à cet accord, plusieurs universités ont institué un programme de stages en partenariat avec le Bureau, de façon à donner aux apprentis traducteurs l’occasion de suivre un stage surveillé et « crédité » et de travailler en collaboration avec des accompagnateurs sur des textes réels, en situation de travail très proche de la pratique professionnelle.
L’innovation des programmes de stages consiste surtout en l’évaluation de l’attitude de l’apprenti en situation de travail simulée. Aucun cursus universitaire ne comporte de cours sur l’attitude du traducteur en exercice – la souplesse dynamique, la vigilance proactive, la capacité de gestion du stress, la ténacité qui permettent d’assumer avec succès le mandat face à la pagaille des échéances qui se bousculent. Cela s’apprend sur le tas, dit-on. Mais l’attitude fait bel et bien partie des compétences professionnelles.
Par ailleurs, il n’existe pas, dans les écoles de traduction canadiennes, de formation en gestion. Le praticien est conçu comme un exécutant, ce qui réservera quelques surprises à ceux et celles qui deviendront chef de service ou qui se retrouveront à la tête d’une entreprise individuelle. Enfin, plus d’un chercheur souligne que la traduction cède graduellement le pas à la localisation. Or, cette dernière exige également des connaissances concrètes qui vont au-delà des compétences traditionnelles de l’exécutant, aussi doué soit-il.
Vu les contraintes et la pénurie de ressources qu’accusent les programmes de traduction actuels, l’un des éléments de solution est celui de la bispécialisation : la création de mineurs en traduction dans les programmes universitaires de management, d’informatique, de droit, de sciences de la communication ou d’autres domaines de spécialité ; ou encore la création de mineurs dans les disciplines précitées, au sein des écoles de traduction.
Hiver 2013, n° 118
Une formation universitaire en 3D : diversité, dialogue, débrouillardise
Par Danièle Marcoux
En ce XXIe siècle et à l’aube de l’avènement de la « société du savoir », quels défis les institutions d’enseignement universitaire doivent-elles relever dans la formation de nouvelles générations de traducteurs ? Pour répondre à la question, osons un parallèle entre les besoins du marché et l’apport de la traductologie à une vision élargie du rôle d’un traducteur.
Le premier défi que les institutions d’enseignement doivent relever est celui de préserver tout ce qui, dans les programmes de formation (au premier comme au deuxième cycle), contribue non seulement à affiner le jugement et les compétences linguistiques des traducteurs, mais surtout à aiguiser leur esprit critique. La diversité des angles sous lesquels une science comme la traductologie élargit les perspectives sur la traduction, et dont l’éclosion de diverses pratiques professionnelles est en partie tributaire, exige en effet des nouveaux traducteurs qu’ils soient de plus en plus conscients des multiples facteurs – économiques, géographiques, politiques – qui déterminent leurs choix de mots, d’outils, de carrière, etc. En plus des cours de base axés sur le transfert linguistique, beaucoup de programmes universitaires comportent déjà des cours d’histoire de la traduction, d’analyse du discours ou de lecture critique des traductions. Cette caractéristique des programmes doit être conservée, voire enrichie, afin que les traducteurs en herbe continuent d’acquérir un point de vue critique sur leurs propres interventions et qu’ils puissent composer avec la diversité des fonctions qu’ils seront appelés à assumer.
Or, si préserver l’acquisition de l’esprit critique constitue l’un des premiers défis à relever par les institutions d’enseignement, la poursuite du dialogue entre les principaux architectes de la mise en œuvre des programmes de formation universitaire en est sûrement un autre de taille. Pour l’Association canadienne des écoles de traduction (ACET), ce dialogue se tient autour de l’élaboration d’une grille de compétences communes visant à mieux répondre aux défis soulevés par les nouvelles réalités professionnelles.
S’inspirant de la grille ayant servi, il y a quelques années déjà, à l’harmonisation des programmes de premier cycle en traduction, l’ACET travaille présentement à bâtir une grille de compétences qui permettrait aux programmes de deuxième cycle d’être reconnus, entre autres, par le Bureau de la traduction. Fondée sur une réévaluation des besoins en formation, la nouvelle grille de compétences cherche notamment à répondre aux critères de recrutement et d’employabilité non seulement au Canada, mais également hors frontières. Dans cette optique, les responsabilités du traducteur, son rôle actif d’agent social, figurent au cœur même de la prestation du service de traduction.
Les modes de formation changent également. On tire parti des dernières technologies et de l’aisance, à cet égard, de la génération Y. Il semble qu’aujourd’hui, un professeur non joignable par courriel et une copie papier corrigée en rouge soient bel et bien chose du passé. Comme partout, l’avenir est au virtuel. Ainsi, Philippe Caignon écrit :
Printemps 2013, n° 119
Utilisation des blogues dans l’enseignement de la terminologie
Depuis quelques années déjà, le milieu universitaire emploie les technologies de l’information et de la communication (TIC) pour joindre les étudiants de tous les horizons. L’inscription, le choix de cours et les demandes de renseignements peuvent se faire de chez soi, par exemple. Qui plus est, certains programmes de premier cycle, tel le programme de traduction de l’Université du Québec à Trois-Rivières, sont désormais offerts entièrement en ligne.
Pour sa part, la conception des cours fait appel à des plateformes comme WebCT ou Moodle pour aider les enseignants à administrer leurs classes à distance, à gérer les travaux et à diffuser l’information pertinente. Le caractère essentiel de ces outils est manifeste et engendre des réflexions, des recherches et des méthodologies nouvelles qui ouvrent à leur tour des voies nouvelles. L’une de ces voies est formée des médias sociaux.