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L’informatique et nous, au fil des ans

Plusieurs dossiers des 30 dernières années nous permettent de retracer l’évolution de l’informatique dans le monde de la traduction. Au départ simple outil servant à accélérer le travail, l’ordinateur se met bientôt à se prendre lui-même pour un traducteur. Circuit a été le témoin privilégié de cette transformation.

L’informatique fascine autant qu’elle effraie. Saviez-sous que le tout premier numéro de Circuit y consacrait son dossier ? On se demandait : La machine aliène-t-elle? La machine est-elle un facteur de déshumanisation ? Trente ans plus tard, le dossier sur la traduction automatique proposait des articles aux titres révélateurs : « Who’s afraid of machine translation? » « MT Try it…You’ll like it! » Entre ces deux numéros, bien de l’eau avait coulé sous les ponts…

  • 1983

    Dans son premier numéro, Circuit, qui était déjà bien de son temps, ne pouvait passer à côté d’un sujet aussi chaud. Le titre du dossier, « Le langage, dernier défi de l’informatique », laisse tout de même supposer que les informaticiens ont encore des croûtes à manger avant de parvenir à recréer le processus complexe qui s’opère dans la tête des traducteurs de ce monde. Et pourtant déjà les langagiers s’approprient ces technologies qui, ils le voient bien, peuvent drôlement leur simplifier la vie. Agnès Guitard et Pierre Marchand, dans leur article intitulé « Du langage-machine aux machines linguistiques : l'ordinateur a la parole » font un tour d'horizon des applications langagières de l'informatique.

    L'ordinateur traite les textes

    Aujourd'hui, on trouve partout ces petits appareils à écran, clavier et lecteur de disquettes. Tant et si bien qu'on ne se vante plus d'en posséder un ; on est plutôt porté à s'excuser si on n'en a pas ! Le succès a été tel, en effet, que le traitement de textes
    a pratiquement réalisé à lui tout seul la révolution que beaucoup attendaient : faire entrer les machines dans les bureaux.

    L'ordinateur cherche et trouve

    L'une des tâches dont l'ordinateur s'acquitte le mieux est le repérage et la manipulation de données très abondantes et logiquement structurées.

    L'ordinateur communique

    Une des fonctions encore mal exploitées de l'informatique se situe en marge des programmes-vedettes comme le traitement de textes ou la traduction automatisée. Il s'agit de la capacité que possède pratiquement tout système de transférer à un autre système l'information qu'il contient.

    Ils ont su résumer toutes les fonctions de l’ordinateur, qui allaient se perfectionner avec les années. Une autre partie de cet article s’intitulait L’ordinateur traduit. Dans celui-ci les auteurs tentaient de faire la distinction entre traduction automatique, traduction assistée par ordinateur et aides à la traduction. C’était là une excellente description de tout ce que l’ordinateur pouvait déjà faire, et il ne s’est pas passé beaucoup de temps avant qu’on ne le voie, trônant sur un nombre croissant de bureaux et sur la page frontispice de Circuit.

  • 1985

    En effet, le dossier du 11e numéro y était consacré – Micro-ordinateurs : faites vos choix ! Le traducteur se devait désormais de délaisser sa machine à écrire, aussi perfectionnée qu’elle ait pu être, pour se munir d’un micro-ordinateur. L’article intitulé « Une fenêtre sur l'univers », signé Josée Ouellet Simard, faisait le point sur le matériel que le commun des mortels pouvait se procurer et dont le prix avait déjà singulièrement baissé!

    L'évolution de l'informatique ne cesse de surprendre […] Un micro-ordinateur de 256 K […]coûtait environ 6 000 $ il y a à peine deux ans. Aujourd'hui, un ordinateur de 640 K ne coûte guère plus de 2 000 $. Une imprimante à laser capable de produire huit pages de texte à la minute coûtait 150 000 $ il y a six ans ; on peut aujourd'hui acquérir une de ces merveilles pour moins de 5 000 $. Cette chute des prix est certes spectaculaire, mais l'évolution de l'informatique n'est pas qu'une affaire de dollars. […]

    Le reste de l’article est de nature pratique, sur la façon de choisir sa propre machine et de la faire fonctionner avec un minimum de crises de nerfs. Parallèlement au sujet de l’ordinateur, outil du traducteur, on aborde tout de même dans ce numéro, dans un court article, la question de l’ordinateur, substitut du traducteur. À la fin de son article intitulé « Traduction automatique : il y a de l’espoir », l’auteure, Claire Chémird concluait :

    [...] je crois qu'il faut se rappeler que la TA est rentable à condition que le post-éditeur ne perde pas trop de temps à restructurer le produit machine. Force est de constater que le produit fini est de qualité minimale. Deux choix s'offrent alors à nous : utiliser les systèmes de traduction automatique actuels et modifier les normes de qualité, ou attendre la mise au point de systèmes experts qui pourront résoudre de manière satisfaisante les problèmes d'analyse syntaxique. Dans ce dernier cas, le système de TA sera un outil d'enrichissement et non d'asservissement comme il l'est souvent aujourd'hui.

  • 1991

    L’informatique à proprement parler ne refera l’objet d’un dossier que six ans plus tard. Le 32e numéro titre : « Mal de tête ? Abonnez-vous aux bases de données ». On y voit en une la photo d’une jeune professionnelle de la traduction qui a délaissé les lourds ouvrages de référence et qui pose, tout sourire, devant le clavier de son ordinateur. En 1991, les traducteurs sont désormais branchés. Ils ont à leur portée des bibliothèques bien garnies, ouvertes en tout temps. Les bases de données ne sont cependant pas… données. Malgré tout, il est évident que ces outils et les disques optiques ont de l’avenir, et leur utilité semble même faire l’unanimité parmi les auteurs :

    « DATABASES: Is it possible to live without them? », « all this information […] is also available to the translator », « information you probably never dreamed of » « je décide de consulter la banque de données TERMIUM […] Fantastique ! Je trouve à peu près tout ce que je cherchais, et ce n'est pas peu dire ! » « Mais lorsque productivité oblige, y trouverez-vous votre profit ? Aucun doute là-dessus. » « Quel rêve ! Fouiller dans le Grand Robert à l'envers et à l'endroit […] »

    Les maux de la traduction vont dès lors changer – les douleurs au dos causées par le transport des dictionnaires seront remplacées par la fatigue oculaire causée par le trop grand nombre d’heures passées devant un écran… Il n’y a rien de parfait !

  • 1995

    Il s’écoule à peine quatre ans avant l’informatique ne revienne hanter Circuit, le dossier du 48e numéro est ainsi présenté :

    « Qu'on le veuille ou non, la technologie fait maintenant partie du quotidien des langagiers. Certains s'en réjouissent, d'autres s'en accommodent sans plus. Circuit s'est intéressé au phénomène et a recueilli plusieurs points de vue sur le sujet »

    Le numéro aborde tous les aspects des technologies dans la vie des traducteurs, puisque de l’avis de Diane Normand et Marc Drapeau :

    «[e]lles sont partout. Aux endroits que vous soupçonneriez le moins. Ainsi s'offre au langagier un choix binaire : apprendre à les maîtriser pour mieux les exploiter ou tout juste apprendre à vivre avec. Car, au mieux, on ne peut vivre sans. »

    Et voilà, en douze ans l’ordinateur était devenu indispensable. Même les moins « technologiques » dans nos rangs avaient dû l’apprivoiser. Un des articles intéressants de ce numéro est celui de François Lanctôt qui y parle des autoroutes informatiques en disant ne pas croire que le grand public ait une telle soif de communiquer (et pourtant Facebook a connu par la suite un certain succès… mais restons pour l’instant en 1995). Il nous parle ensuite d’Internet et, s’excusant presque d’en parler encore, soulignant que tout a été dit sur ce réseau légendaire, décrit ce qui, après quelques améliorations nous deviendra indispensable.

    Les vrais experts vous diront que c'est la seule autoroute de l'information digne de ce nom. La connexion à l'Internet n'est pas gratuite ! Impossible de s'y relier en composant un simple numéro de téléphone. […] Et qu'est-ce qu'on trouve sur l'Internet ? Le courrier électronique, bien sûr; des groupes de discussion, […]; des outils de recherche par mots clés […]; le World Wide Web […] Bref, un fouillis absolument incroyable qui fait la joie des insomniaques mais se révèle souvent impossible à apprivoiser pour un usage strictement professionnel. Le monde des télécommunications est à l'aube d'une révolution importante, mais, pour l'heure, la fameuse «convivialité » n'est pas au rendez-vous. Quiconque veut explorer le réseau des inforoutes s'engage dans une aventure technologique merveilleuse mais éminemment chronophage, dans laquelle l'informatique impose sa loi, souvent au détriment des résultats recherchés. Sans oublier le risque de tomber dans l'obsession, qui guette tout utilisateur convaincu de la supériorité de l'Homme sur la technique !

  • 1999

    À l’aube du nouveau millénaire, le 64e numéro de Circuit parlait de cyberrévolution. En effet, Internet faisait désormais partie du quotidien du langagier. En 1999, Aline Francoeur donnait la description suivante d’Internet dans son article « Trouver son chemin dans le dédale d’Internet » :

    « … on définit Internet comme un réseau informatique mondial constitué d’un ensemble de réseaux nationaux, régionaux et privés qui sont reliés par le protocole de communication TCP/IP et qui coopèrent dans le but d’offrir une interface unique à leurs utilisateurs. »

    Ah… Internet, quand tu nous tiens ! Si nous avions à nommer la technologie qui a le plus modifié notre façon de travailler au cours des dernières années, Internet se retrouverait immanquablement aux premiers rangs. En moins de dix ans, nous sommes passés de la machine à écrire au traitement de texte sur ordinateur, des fiches terminologiques papier au système informatisé de gestion de la terminologie, des télécopies aux courriels, et des échéances raisonnables à des délais échevelés. Vitesse, vitesse… et sans oublier la consultation d’Internet sur modem 14 000 bauds (vous souvenez-vous du bruit du modem tentant laborieusement d’établir une connexion ?) à un accès haute vitesse. Auriez-vous cru en 1999 pouvoir regarder vos émissions favorites sur une plateforme comme Tou.tv ?

    Dans « La traduction branchée », Marc-André Descôteaux résumait bien la popularité croissante d’Internet :

    « Il y a plus ou moins cinq ans, le grand public entendait pour la première fois le mot « Internet », qui n’avait alors rien du pouvoir évocateur qu’il possède aujourd’hui. »

    « Au commencement, on nous vantait la valeur d’Internet pour l’éducation. Puis ce fut le tour du divertissement. Aujourd’hui, plus qu’un jouet électronique évolué, Internet doit être un outil polyvalent, rapide et omniprésent, supérieur à tous les autres. »

    Déjà à l’époque, on s’interrogeait sur les façons de trouver des renseignements dans Internet. Aline Francoeur décrivait donc ses différentes astuces pour y faire des recherches fructueuses :

    « Internet est une véritable mine d’information, mais il peut être frustrant de tenter d’y localiser des renseignements précis. Une recherche structurée et une bonne connaissance des outils pertinents permettront de transformer la frustration en enchantement. »

    Encore aujourd’hui, cet article pourrait bénéficier à ceux et celles qui n’obtiennent pas toujours les résultats escomptés lors de leurs recherches dans la « grande toile » (oh, ça fait tellement 1999 !!).

    Fait intéressant, dans son article Aline mentionnait les moteurs de recherche les plus utilisés, soit Alta Vista, Hotbot et Lycos. Aucune trace de Google. En effet, la compagnie venait de voir le jour en septembre 1998. Sa réputation n’avait pas encore traversé nos frontières.

    Tout est alors en place pour modifier de façon permanente notre façon de travailler, comme le disait Betty Cohen dans Pour commencer :

    « On a longuement écrit sur les transformations profondes qu’avait provoquées la révolution industrielle du XIXe siècle. On écrira sûrement beaucoup sur les métamorphoses que nous impose la révolution informatique. Car il s’agit bien d’une métamorphose – elle est spectaculaire, instantanée et radicale. Elle nous prend de court par sa rapidité et nous oblige à une adaptation plus rapide, parfois, que nous en sommes capables. »

    Même les terminologues commençaient à y voir une avancée permettant de simplifier un peu leur travail de recherche. Betty ajoutait dans la même chronique :

    « La recherche terminologique est devenue un quasi-plaisir pour ceux qui savent bien manier les moteurs de recherche, et “je l’ai trouvé sur Internet” est devenu un refrain. »

    Est-ce que l’année 1999 aura été notre année heureuse ? Dernière année du siècle, à l’aube de l’an 2000 et de son bogue qui n’est jamais survenu ? Étrangement, ce bogue ne semble pas nous avoir effrayés outre mesure si on juge par le contenu de Circuit de cette année-là !

  • 2002

    Le 76e numéro nous présentait une réflexion sur les nouveaux outils et tentait de répondre à deux questions : Quels sont ces nouveaux outils et à quoi servent-ils ? Quels enjeux recèlent-ils ? Depuis 1994, première année où les mémoires de traduction étaient mentionnées dans nos pages, le concept a gagné en clarté. Une définition plus précise a permis de la distinguer de sa rivale, la traduction automatique, traitée dans Circuit dès 1991.

    Marie-Claude L’Homme traite pour la première fois des applications terminologiques dans « Des outils et des terminographes ».

    « La terminographie actuelle est nécessairement assistée par ordinateur. Cette nouvelle donne a des impacts sur l’enchaînement des étapes d’une recherche, sur la manière d’envisager les termes et, enfin, sur la nature des données recueillies. »

    Les terminologues semblaient accueillir les outils d’aide à la terminologie plutôt favorablement. Chez les traducteurs, toutefois, l’arrivée des mémoires de traduction soulève bien des questions, notamment pour ce qui est de la facturation. L’article intitulé « Mémoires et tarification, un débat à finir » résume bien ce questionnement :

    « Nous l’avons constaté au dernier congrès de l’OTTIAQ et ailleurs, les mémoires de traduction posent un problème concret et réel car elles nous forcent à réinventer notre mode de facturation ou à accepter des conditions… nouvelles! Mais nous y forcent-elles vraiment ? »

    […]

    « Posons-nous la question de savoir si le notaire ou l’avocat qui rédige un contrat n’en facture que la moitié quand il a repiqué l’autre moitié sur un document précédent. »

    Valérie Martineau, dans un billet d’humeur paru dans ce même numéro sous le titre « Un vent de panique », résumait assez bien les avantages des mémoires de traduction. Cependant, comme tout changement entraîne son lot de protestations, l’arrivée de ces outils n’a pas fait exception. Voici quelques citations choisies :

    « C’est avec enthousiasme que je me présentais au dernier congrès annuel de l’OTTIAQ. […] En après-midi, j’écoute deux conférenciers, MM. Simard et Legault, me parler de mémoire de traduction (MT). Le tout est captivant. À la fin de leur présentation respective, on laisse la parole aux gens dans la salle… et tout s’écroule.

    Tout à coup, c’est la tempête. Un véritable vent de panique souffle tout sur son passage, une tornade de méfiance et de peur. L’abréviation MT veut maintenant dire « mort au traducteur ». Le retour du bon vieux mythe qui veut que la machine remplace l’humain. Je suis en chute libre. Adieux nuages ! » […] Les MT sont maintenant dans le camp ennemi.

    Toute évolution demande une ouverture d’esprit, une volonté de changement et une capacité d’adaptation. Pourquoi toujours cette peur, cette résistance initiale ? Pourquoi ne pas accueillir une aide électronique à bras ouverts plutôt que de la rejeter dès sa création et de la voir comme une rivale ?

    Le but premier des MT est l’économie de temps. Elles n’existent qu’à une seule fin : nous permettre de travailler plus rapidement et plus efficacement. Pourquoi ne pas célébrer une telle avancée technologique ? Faut-il toujours se plaindre et se faire passer pour des martyrs ? […] Les MT et autres outils technologiques doivent devenir nos alliés : elles sont le fruit d’une évolution intelligente, impliquent une économie de temps et nous donnent une plus grande liberté. […] On ne cesse d’entendre que la profession de langagier est en pleine transformation. La décision vous revient : vous évoluez avec elle ou vous restez derrière. À vous de choisir ! »

  • 2012

    Il y a moins d’un an, Circuit consacrait son 117e numéro à la traduction automatique, sujet qui suscite de vives émotions. On croyait bien cette technologie morte et enterrée, alors comment expliquer qu’elle refasse surface ? Quelles nouvelles données font en sorte que la traduction automatique renaisse de ses cendres, plus populaire que jamais ?

    Depuis sa première mention dans les pages de Circuit en 1991, la traduction automatique a presque toujours eu mauvaise presse. Ce qui a été le cas des mémoires de traduction à leur arrivée; même peur, mêmes craintes. La fin des traducteurs approche… et si ce n’était pas le cas ? Et si la traduction automatique n’était en fait qu’un outil de plus à notre arsenal ?
    À cet effet, l’avertissement servi par Betty Cohen dans Pour commencer, est tout à fait pertinent :

    « Cependant, allons-nous une fois de plus laisser des non-professionnels s’emparer de ces outils [traduction automatique] pour nous couper l’herbe sous le pied ou serons-nous cette fois plus prêts à intégrer ce changement et à le gérer nous-mêmes, par nous-mêmes pour nous-mêmes et dans l’intérêt de nos clients. S’approprier ou subir ? Là est toute la question. »

    Et pourquoi avons-nous si peur de la traduction automatique ? Une question à laquelle Ágnes Varga a tenté de répondre dans « Who’s afraid of machine translation? »

    « During my PhD research, I came across opinions of professional translators directly and indirectly and, with very few exceptions, they were apprehensive and cautious about MT. I think one reason is that professionals have higher expectations of quality; another might be that they are afraid that MT will take away their jobs and their livelihood. »

    Elle nous met aussi en garde contre toute « mauvaise utilisation » de la traduction automatique :

    « Translators and professional linguists have a special responsibility concerning MT. If MT is not used properly, it can negatively affect translations, the translation industry, as well as public opinion. Promoting the correct use of MT and enlightening readers about its usefulness might stop this tendency. My conclusion is that we need to have an open mind about MT, get as familiar with is as possible, use its merits whenever possible, and always keep our eyes wide open. »


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