La postédition est souvent envisagée comme une étape qui suit la traduction d’un texte par une machine. En ce sens, comme le stipule le Grand dictionnaire terminologique, elle équivaut à une « correction de la sortie machine » et s’apparente à la « révision en traduction humaine1 ». Elle a ainsi pour but de garantir la qualité de la version finale d’un document.
En revanche, la chercheuse Anne-Marie Robert, perçoit plutôt la postédition comme un exercice qui consiste à « repasser derrière un texte prétraduit automatiquement pour le rendre humainement intelligible2 ». Ainsi, selon l’autrice, la postédition cherche à « compléter, modifier, corriger, remanier, réviser et relire ce texte brut2 ». La postédition vise alors la compréhensibilité d’un texte traduit.
Malgré l’angle différent par lequel les descriptions précédentes examinent l’objectif de la postédition, elles s’accordent pour situer la postédition dans un processus traductionnel où des logiciels, armés d’algorithmes puissants et de corpus étendus, transfèrent un contenu textuel d’une langue vers une autre.
De toute évidence, l’ordinateur joue un rôle central dans le processus, car c’est la machine qui effectue la traduction. Cependant, un logiciel de traduction automatique, ou une mémoire de traduction, roulant sur un ordinateur, même puissant, n’est pas autonome. Les deux outils sont tributaires des personnes qui les conçoivent et qui les utilisent.
En effet, qu’il s’agisse d’un système de traduction automatique statistique, à base de règles ou hybride3, ou même d’une base de données où sont enregistrés des segments de texte traduits, ce sont des êtres humains qui créent les modèles de langue, les règles d’interprétation, les décodeurs linguistiques ainsi que les algorithmes informatiques intégrés dans les programmes, et qui réunissent en plus les corpus textuels nourrissant ces programmes.
Ce sont également des êtres humains – analystes, linguistes, spécialistes en programmation, cogniticiens, etc. – qui élaborent entre autres les règles de désambigüisation orthographique et grammaticale durant l’étape qui précède la traduction automatique statistique, notamment la pré-édition4.
La pré-édition permet en effet d’adapter de façon pointue les règles gouvernant le système de traduction automatique à un type de document spécifique et à une discipline, science ou technique particulière. Quand le système est appelé à traduire des rapports industriels, par exemple, les règles servent à identifier les difficultés et les erreurs potentielles qui surviennent généralement dans ces documents et permettent leur reconnaissance ainsi que leur traitement. En conséquence, cette étape facilite et accélère la postédition, car elle réduit le nombre de vérifications à effectuer et de corrections à apporter pour obtenir une version finale de qualité.
Ce dernier point sur la postédition se doit d’être souligné puisqu’il révèle une lacune de la traduction automatique et des mémoires de traduction : la machine ne se prépare pas à traduire un texte, elle ne vérifie pas non plus la validité des affirmations qu’il contient, la justesse des chiffres qu’il présente ou la valeur des raisonnements qu’il démontre. De plus, la machine n’appelle personne à l’aide quand elle ne comprend pas un segment de texte et est absolument incapable d’adapter la structure argumentaire d’une langue à la structure argumentaire d’une autre.
Pourtant, la pensée critique qui pousse à réfléchir sur la microstructure et la macrostructure d’un texte ainsi que l’interprétation de l’information qu’il renferme font partie des actions professionnelles attendues des traductrices et des traducteurs.
Du reste, dans l’article qu’elle a rédigé pour le présent numéro de Circuit, Barbara McClintock5 émet, par exemple, l'idée que la vérification des faits est essentielle dans le processus de traduction humaine. Il s’agit en effet d’une action professionnelle non négligeable qui s’opère pendant la lecture initiale du texte source ou durant la traduction. Les langagières et les langagiers s’interrogent ainsi sur l’authenticité des affirmations qui sont émises dans le document original et se tournent vers la personne qui a rédigé le document original ou avec qui le contrat de service a été signé pour savoir si une correction doit être apportée à l’original et à la traduction.
Qui plus est, les professionnelles et professionnels de l’industrie langagière effectuent la lecture de sources connexes ou parallèles pour augmenter leurs connaissances, leur compétence et leur expérience afin de se préparer à traduire efficacement. La consultation de personnes ressources et expertes d’un domaine, fait aussi partie des outils qui sont employés, voire déployés, par les langagières et langagiers avant ou pendant la traduction.
Or, comme nous l’avons mentionné, un logiciel de traduction automatique, ou une mémoire de traduction, ne s’interroge pas sur la validité des données qu’il doit traduire, ne consulte ni autrice ou auteur, ni cliente ou client, ni expertes ou experts. Ce travail de préparation et de consultation doit donc être effectué après la traduction, en postédition, par des êtres humains.
De fait, on se rend compte que la postédition peut être facilement plus longue et plus complexe que la révision. Là où, par exemple, une réviseure peut entamer un dialogue avec une traductrice pour satisfaire sa curiosité professionnelle, une postéditrice en sera incapable. Aucune conversation ne peut être entamée avec un logiciel de traduction automatique ou une mémoire de traduction. Il faut donc que la postéditrice réalise après coup le travail que la traductrice aurait accompli avant d’envoyer son texte en révision.
Ainsi, on peut conclure que, contrairement à l’idée reçue et répertoriée dans des dictionnaires et articles scientifiques, la postédition n’est pas une forme de révision appliquée aux sorties machines. Elle s’inscrit dans un processus de traduction unique, faisant appel soit à la traduction automatique, soit à une mémoire de traduction. Elle comporte en outre une part importante de gestes professionnels traditionnellement effectués en traduction par des personnes humaines, mais qui restent toujours impossibles aux machines.
Comme le constataient déjà Louise Brunette et Geneviève Patenaude, dans leur article paru dans Circuit en 2014, « ni l’industrie ni la profession n’ont encore déterminé qui sont les personnes les mieux préparées pour la tâche. À ce propos, il convient de signaler que la postédition, malgré ses trente années d’existence, n’a fait l’objet d’aucune norme, tacite ou officielle, et que cette lacune se fait cruellement sentir dès qu’il s’agit de réfléchir sur sa pratique6. » Présenté il y a presque une décennie, ce bilan reste pertinent. Les membres des professions langagières doivent par conséquent se pencher sur la postédition pour la définir, l’encadrer et l’enseigner correctement. Ainsi les postéditrices et postéditeurs seront en mesure d’exercer leur profession avec compétence, compétence qui, espérons-le, leur sera officiellement reconnue par un ordre professionnel.
À la lumière des faits et des recommandations qui précèdent, on s’aperçoit que la postédition, fille de la traduction et de la révision, semble naturellement émerger comme une profession à part entière.
Références
1 Office québécois de la langue française (2000). « postédition » in Grand dictionnaire terminologique. Office québécois de la langue française, Québec. Page consultée le 22 novembre 2022. [En ligne] https://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=8369757
2 Robert, Anne-Marie (2010) « La post-édition : l’avenir incontournable du traducteur ? » in Traduire. No 222. Hors cahier thématique. Open Edition Journal. Page consultée le 28 novembre 2022. [En ligne] https://journals.openedition.org/traduire/460
3 Guyon, André (2010) « Abrégé de traduction automatique » in L’Actualité langagière, vol. 7, no 3, Bureau de la traduction, Services publics et Approvisionnement Canada, page 30. [Texte disponible en ligne] https://www.noslangues-ourlanguages.gc.ca/fr/chroniques-de-langue/abrege-de-traduction-automatique
4 GERLACH, Johanna, et collab. (2013) « Combining pre-editing and post-editing to improve SMT of user-generated content ». In O'Brien, S., Simard, M. & Specia, L. (éditeurs) Proceedings of MT Summit XIV Workshop on Post-editing Technology and Practice. 2013. Nice (France). p. 45-53. [PDF en ligne] https://archive-ouverte.unige.ch/unige:30952.
5 McClintock Barbara (2023). « Changes to your workflow when using technology » in Circuit, no 157, Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec, Montréal.
6 Brunette, Louise et Geneviève Patenaude (2014). « Postédition : tout reste à faire, surtout la norme » in Circuit, no 122, Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec, Montréal. Page consultée le 25 novembre 2022. [En ligne] https://www.circuitmagazine.org/dossier-122/postedition-tout-reste-a-faire-surtout-la-norme