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Gérer la qualité, c’est aussi gérer le risque

Par Philippe Caignon, terminologue agréé et traducteur agréé

J’ai récemment pris part à une discussion au cours de laquelle une personne de la haute administration d’une grande institution canadienne a soulevé un problème traductionnel auquel elle venait tout juste de se heurter. Elle a expliqué qu’elle avait rédigé un texte argumentatif en anglais qu’elle avait ensuite fait traduire en français. Le texte français ne comportait aucune faute de langue ou de sens, mais la stratégie argumentaire était restée anglaise. Et cette personne de déclarer : « On n’argumente pas en anglais de la même façon qu’on argumente en français : la présentation des idées, l’emplacement des phrases dans les paragraphes et des paragraphes dans le texte doivent être modifiées. » Elle a donc redonné sa version originale au même service de traduction qui lui a remis le « même texte… Plus quelques fautes ».

Après avoir enquêté sur les raisons d’un tel échec, elle s’est rendu compte que son texte avait été retraduit à l’aide d’une mémoire de traduction dans laquelle la première version avait été versée. J’ai alors compris qu’aucune instruction n’avait été donnée aux traductrices et aux traducteurs sur les raisons motivant la retraduction. Il est en effet essentiel de dialoguer avec son prestataire de services pour obtenir les résultats désirés. Cela dit, traduire de façon aveugle, sans égard à la nature du texte de départ, n’est pas non plus avisé. D’ailleurs, dans la chronique Des mots du présent numéro de Circuit, Étienne McKenven déclare qu’il faut « sensibiliser le client au fait qu’une traduction de qualité résulte d’une opération complexe exigeant des compétences spécialisées, et non d’une simple permutation automatique de mots d’une langue à ceux d’une autre ». En d’autres termes, traduire un texte argumentatif exige aussi le déplacement de certaines idées, phrases et paragraphes. En fait, seul un être humain a la connaissance culturo-linguistique et la puissance intellectuelle pour réaliser une telle transposition avec succès. En conséquence, il doit intervenir dans le processus de traduction.

Le dossier qui suit traite de la qualité dans l’ère de la traduction automatique. Peut-on trouver un juste milieu entre l’excellence et le passable? Dans ce continuum qualitatif, la gestion du risque lié à la traduction exige qu’on se pose quelques questions telles : est-ce que le texte traduit sera lu? Dans l’affirmative, qui seront la lectrice et le lecteur ciblés? Quelle est l’importance stratégique de l’information transmise par le texte? Ou encore, quelle est la nature de cette information? C’est dans ce contexte relativiste qu’Anthony Pym prône l’analyse du risque en traduction pour décider de la qualité visée à la fin du processus de traduction. Il tente d’offrir une solution au problème auquel les langagières et langagiers sont souvent confrontés : doit-on investir autant d’énergie et affecter autant de ressources à traduire un texte qui sera tablé sans être lu? La réponse est entre les mains du client ou de la cliente. C’est cette personne-clé qui doit se prononcer et accepter les conséquences de sa décision. Par conséquent, il est primordial d’amorcer chaque fois un dialogue avec sa cliente ou son client pour connaître son opinion et sa décision.


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