Imprimer
Partage :

De l’utilité de la recherche pour l’exercice des professions langagières

Par Philippe Caignon, terminologue agréé et traducteur agréé

L’exercice de la traduction, de la terminologie et de l’interprétation exige une forte concentration mentale qui se doit de perdurer pendant plusieurs heures, même si cette concentration est occasionnellement interrompue par des éléments extérieurs, comme les questions de collègues, les échanges avec la clientèle ou les courtes pauses obligatoires qui permettent d’éviter une fatigue excessive. 

Cogitation et adaptation

Le cerveau humain peut en effet s’adapter à de nombreuses situations au cours desquelles il est sollicité de façon intense malgré les arrêts imprévus. De plus, l’intellect humain est assez puissant pour trouver des solutions aux problèmes auxquels la majorité des personnes sont confrontées. Il va de soi que l’activité mentale disponible et optimale dépend des circonstances sociales, familiales, individuelles et professionnelles avec lesquelles tout être humain doit composer. Elle est donc variable dans le temps et l’espace. Comme pour tous les êtres humains, c’est le cas des langagières et langagiers qui font à la fois face aux obstacles de leur quotidien et aux défis spécifiques de leur profession. 

Dans le cadre de notre pratique, notre matière grise est certainement assez habile pour gérer une pléthore de concepts aux nuances complexes et choisir la meilleure façon de les reformuler selon la langue dans laquelle ils sont exprimés, en tenant compte de leur situation d’emploi spécifique. En revanche, nos neurones ne sont pas conçus pour nager dans les hormones de stress pendant une période prolongée qui peut s’étendre de nombreux jours, à plusieurs semaines, voire à quelques mois. Qui plus est, il faut mentionner que nos professions ne sont pas sans source de stress inhérente. Que ce soient les courts délais qui nous sont impartis, les modifications intempestives des textes, des corpus ou des sujets de discours qui nous sont imposées, ou encore la réception de la rémunération qui se fait attendre, tous ces éléments participent à entretenir un état d’urgence indésirable. En conséquence, nous pouvons occasionnellement nécessiter de l’aide.

Appuis humains

Lorsque nous abordons le concept d’appui ou de soutien, nous pensons habituellement aux personnes qui sont présentes lorsque nous désirons être motivés, recevoir une aide psychologique, bénéficier d’un coup de pouce professionnel ou obtenir un supplément financier – par malheur, les machines ne sont toujours pas capables de nous octroyer de l’argent de façon automatique et immédiate… un jour peut-être? Entre temps, ces généreuses personnes sont cruciales à notre bien-être et à notre équilibre mental. De fait, les liens que nous tissons avec elles sont existentiels, ils doivent être entretenus et sont plus que précieux, car ils peuvent nous sauver.

Appuis technologiques et théoriques

En comparaison, voire en parallèle, aux relations humaines que nous forgeons les uns avec les autres et qui nous renforcent, les relations que nous établissons avec les technologies langagières et les outils mentaux théoriques que nous employons ne sont pas anodines. En effet, si nous étions laissés à nous-mêmes, sans appui technologique professionnel ou outil d’aide au raisonnement, il est peu probable que nous puissions maintenir une cadence de productivité qui nous permettrait de tenir bon, de prospérer et de nous épanouir.

C’est justement la recherche effectuée dans les entreprises, les services publics et les universités qui est à l’origine de nouvelles pratiques et de nouveaux outils qui sont essentiels à l’exercice de nos trois professions. Sans aller dans l’exhaustivité, nous pouvons mentionner deux exemples.

Outils technologiques

Depuis le début du XXIe siècle, les outils d’aide à la traduction et de traduction automatique se sont développés et évoluent rapidement. La capacité de calculer des ordinateurs et l’augmentation de leur mémoire ne cesse de croître. Il ne s’agit pas d’une croissance exponentielle, mais elle s’en approche. En outre, les logiciels d’exploitation des systèmes informatiques deviennent de plus en plus complexes, mais ils se révèlent nettement plus faciles à utiliser de nos jours qu’ils ne l’étaient il y a une décennie, et encore davantage si nous nous reportons au début du siècle.

Les capacités de calcul et les systèmes d’exploitation auxquels s’ajoute l’augmentation de la mémoire disponible permettent à des logiciels lourds de rouler aisément, alors qu’il y a même quelques années de telles performances auraient été impossibles.

Ces outils nous permettent d’accéder à l’information que nous requérons rapidement et avec une fiabilité accrue, si nous envisageons une utilisation pertinente de l’intelligence artificielle (IA). En effet, l’IA pourra probablement prédigérer les données brutes ou complexes que le système affiche et nous faire part de son opinion, de propositions justifiées ou de solutions uniques qui auraient pu exiger un temps non raisonnable à trouver.

Outils théoriques

Par ailleurs, l’exercice de la traduction, de l’interprétation et de la terminologie ne s’effectue pas dans le vide intellectuel. Il nécessite une réflexion complexe s’appuyant sur des constructions mentales servant à décrire, à comparer, à déduire, à induire, à analyser et à trouver des solutions uniques. Ces solutions sont le résultats d’une pensée critique qui est soutenue par des outils mentaux d’aide au raisonnement mis au point après maintes observations, études, hypothèses, théorisations et vérifications. Ces mêmes instruments intellectuels nous offrent alors des options pour lire un texte ou interpréter un discours afin de trouver la solution la plus appropriée à des difficultés de transfert linguistique et culturel.

La plupart de ces outils sont le fruit de travaux universitaires, aussi bien basés sur l’observation de la pratique en entreprise, qui nécessite alors une collaboration étroite entre traductaires et universitaires, que sur l’abstraction conceptuelle, c’est-à-dire la recherche d’un point de vue ouvrant une perspective différente sur la façon d’aborder un texte. C’est notamment le cas lorsque nous nous penchons sur la façon de traduire des textes dans lesquels le genre ne s’exprime pas de la même façon d’une langue à l’autre, comme un texte rédigé dans une langue autochtone qui doit être traduit en français, et que cette différence est porteuse d’un sens ou d’une philosophie existentielle qui influe sur l’argumentation d’un texte.

Apport de la recherche à nos professions

Les outils mentaux d’aide à la réflexion et les outils informatiques d’aide à la traduction, à la terminologie et à l’interprétation sont les fruits de nombreux travaux de recherche effectués par des personnes seules, des équipes ou des entreprises spécialisées. La recherche est essentielle pour l’avancement de nos professions, car les outils qu’elle produit nous offrent une souplesse d’action et de réflexion accrues en plus de nous faire gagner du temps, lorsque nous maîtrisons bien ces instruments.

C’est la raison pour laquelle il est essentiel de valoriser la recherche. Nous pouvons également contribuer à l’effort de recherche en participant à des forums ou à des congrès, en faisant part de nos trouvailles et de nos solutions dans des magazines, des revues et des blogues professionnels, et aussi en discutant avec nos collègues de nos idées, même les plus farfelues, car nous ne savons jamais quand une idée a priori insolite aura un effet de cascade imprévu et fera évoluer nos professions de façon prodigieuse.


Partage :