Comme langagières et langagiers, nous sommes en droit de nous poser une question centrale à l’exercice de nos professions. Cette question touche aussi bien la société dans laquelle nous vivons que notre morale personnelle, voire notre éthique professionnelle. Elle est complexe, tentaculaire et s’exprime ainsi : comment pouvons-nous agir afin de ne pas participer à la désinformation au Québec, au Canada et à l’étranger?
Il va de soi que les traductaires, terminologues et interprètes jouent un rôle crucial dans la communication interculturelle et la diffusion interlinguistique de l'information et ce, peu importe le marché, le territoire, voire l’époque, où ils exercent leur profession. Il est dès lors essentiel de souligner la responsabilité éthique et professionnelle de chaque personne pour lutter contre la désinformation et pour diffuser une information juste et non biaisée. En tant qu’agentes et agents communicationnels, nous détenons en effet le pouvoir de persuader quiconque de par les choix que nous effectuons quand nous transférons un contenu linguistique d’une langue à une autre. Bien sûr, pour exécuter un contrat comme il se doit, nous sommes guidés par la volonté de notre clientèle et par notre éthique professionnelle. Par bonheur, notre chemin est également éclairé par notre formation et notre expérience.
En effet, grâce à la formation contemporaine que nous offrent les établissements d’enseignement, les associations scientifiques de traductologie, les associations professionnelles et l’OTTIAQ, nous possédons des outils théoriques et pratiques mis à jour sans relâche pour évaluer tout discours ou texte qui soulève des doutes sur l’authenticité des assertions qu’il renferme.
Qui plus est, le monde moderne nous invite fortement à nous tenir informés des dernières tendances en matière de désinformation – tendances qui évoluent vite en raison du déploiement de l’intelligence artificielle, en plus des usines à trolls – et des techniques mises au point pour la combattre. Là encore, participer à des ateliers, assister à des conférences, lire des articles et des livres à ce sujet restent des stratégies privilégiées pour rester au fait de l’actualité informative et langagière.
Nous ne pouvons pas passer sous silence l'utilisation responsable des outils d’aide à la traduction et de traduction automatique ainsi que de l’intelligence artificielle. Ces instruments de travail nous facilitent la tâche, certes, mais ils sont impuissants à relever une information erronée. Ils ne font aucun contrôle de la qualité informationnelle, aucune vérification des faits ni examen des sources. Dans le doute, ils n’appellent pas un client pour obtenir des renseignements complémentaires sur l’origine et l’interprétation d’un discours, d’un texte ou d’un message d’apparence tendancieuse. Ils ne s'assurent pas de la légitimité et de l'exactitude de l'information à traduire ou à interpréter. Leur utilité pour lutter contre la désinformation est par conséquent très limitée.
Ce dernier aspect est important, car il y a de plus en plus de contenu généré par l’intelligence artificielle. En effet, un contenu de prime abord solide n’est pas forcément le résultat d’une pensée critique humaine et n’est pas non plus nécessairement relu par une personne humaine. Il peut donc renfermer des erreurs de logique ou des sources inexactes qui sont passées inaperçues avant la traduction. Et nous ne mentionnerons pas les cas de fraudes créés par l’IA ou par un individu mal intentionné.
Dans ces circonstances, nous ne pouvons que souligner l’importance de la révision humaine dans toutes les formes du transfert linguistique et culturel, qu’elles soient traductionnelles, terminologiques ou d’interprétation. Cette révision nous permet de découvrir tout sous-texte occulte et de nous interroger sur sa raison d’être. Contrairement aux outils informatiques, même ceux qui sont qualifiés d’intelligents, les professionnelles et professionnels humains sont capables de détecter et de corriger les éventuels erreurs ou biais introduits par d’autres outils automatisés ou par les gens qui les ont utilisés.
Bien entendu, les langagières et les langagiers ne sont pas omniscients. Il peut donc être utile de collaborer avec des experts du sujet sur lequel un contrat porte pour garantir l'exactitude technique et factuelle de ce qui est traduit ou interprété et de la terminologie qui est employée.
Ces experts peuvent nous renseigner davantage sur le contexte dans lequel s’inscrit un message, un texte ou un discours. Ils connaissent leur discipline, des avancées prévues aux controverses passés ou attendues. Ils font preuve d’une pensée critique qui peut influer sur nos choix lexicaux, terminologiques, stylistiques et de tonalité pour livrer un produit final de très grande qualité et objectif.
Enfin, l'échange d'information et de bonnes pratiques au sein de la communauté des langagières et des langagiers est primordiale pour renforcer la compétence de tous en matière de désinformation. Qu’il soit formalisé dans des articles, des ateliers ou des conférences, ou qu’il se déroule de façon informelle dans une conversation ou une réunion, un tel échange contribue à rehausser l’expertise langagière de toute notre industrie. Il doit donc être encouragé.
Nous nous rendons bien compte que lutter contre la désinformation est l’affaire de tout le monde. Un document ou un discours publicisé qui a comme objectif de transmettre une information fausse ou biaisée peut entraîner des répercussions fâcheuses pour la personne qui l’a traduit ou interprété, comme la perte de réputation, le départ d’une partie de sa clientèle, voire des poursuites judiciaires. Il est par conséquent essentiel de savoir si ce que nous effectuons contribue ou non à la désinformation et de comprendre les retombées possibles si nous signons un contrat portant sur un tel document ou discours. Ultimement, le choix nous revient. Dès lors, nous devons le faire en toute connaissance de cause.