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Remanier un cours de révision par un partenariat public-privé

Par Stéphanie Brisson, François Chartrand et Danièle Marcoux

Une université montréalaise réfléchit depuis 2019 à la possibilité de créer un partenariat public-privé pour un cours de révision et de correction des traductions. L’idée repose sur deux constats : le manuel utilisé jusque-là avait « mal vieilli »; le milieu professionnel avait de plus en plus recours à la postédition. Il convenait donc de revoir les méthodes d’enseignement de la révision.

Une autre réalité motive, par ailleurs, la nécessité de remanier le cours de révision, soit l’érosion observée des compétences linguistiques de base des étudiantes et des étudiants. Cet élément plutôt inquiétant soulève une question cardinale sur le plan de la formation universitaire en révision : si le texte postédité renferme des erreurs mais que, faute de préparation appropriée en langue, elles passent inaperçues aux yeux des apprenties traductrices et des apprentis traducteurs, n’y a-t-il pas péril en la demeure? Consciente de ce danger – véritable loup rôdant dans la bergerie – mais dans l’espoir de le repousser, l’université a eu l’idée de créer ce partenariat.

Arrêt sur image

On le sait, la traduction professionnelle diffère de ce qui est enseigné en salle de classe. Si la formation universitaire reste essentielle à quiconque souhaite se consacrer professionnellement à la traduction, à la révision ou à la terminologie, il n’en demeure pas moins que les cours — les exercices, les devoirs, les travaux pratiques ou les examens — ne constituent pas une préparation parfaite à la réalité du monde professionnel. À l’université, il y a amplement de temps pour faire les devoirs, les travaux et les examens de traduction, ce qui n’est pas le cas au sortir des bancs d’école. Il est bien connu que, en cabinet de traduction, il faut être capable non seulement de traduire plus rapidement que ce à quoi on habitue les étudiantes et les étudiants, mais qu’il faut aussi prendre le temps de se réviser et de peaufiner son travail. À ce changement de rythme s’ajoute une modification de la pratique en raison de la postédition, qui se répand progressivement. Ainsi, il faut dorénavant non seulement être capable de repérer ses propres erreurs, mais aussi celles commises par un moteur de traduction automatique. C’est ici que la question de départ revient en force : comment détecter les erreurs de la traduction machine (grammaire, syntaxe, anglicismes, style, sens, etc.) si la maîtrise de la langue de base n’est pas au rendez-vous?  Créer un partenariat entre le monde universitaire et le monde professionnel fournit peut-être un élément de réponse.

De l’utilité d’un partenariat

En effet, en misant sur la complémentarité de l’expertise de chacun des partenaires, il sera vraisemblablement possible de contrer le danger du recours à la postédition quand la maîtrise de la langue de base fait défaut. Un cabinet de traduction possède des ressources que l’université ne possède pas et vice versa. Le premier connaît bien les types de textes représentatifs de l’industrie langagière, mais aussi les faiblesses linguistiques des traductrices et des traducteurs qui prennent du service. La seconde a elle aussi une bonne idée des carences en langue des étudiantes et des étudiants, en plus d’une expérience avérée en enseignement et en évaluation des compétences. Par contre, faute de connaître plus précisément la réalité et les besoins de chacun, ni l’un ni l’autre ne sait exactement ce qu’il faudrait faire pour combattre ces faiblesses qui, en bout de ligne, nuisent à l’exercice de la profession. D’où l’utilité d’un partenariat.

Le projet en est à ses balbutiements. À ce jour, seulement quelques rencontres préparatoires ont eu lieu. Elles ont servi à jeter les bases du partenariat, soit le souhait de rapprocher le monde professionnel et le monde universitaire en vue d’assurer une préparation adéquate aux nécessités changeantes de la profession; l’échange de tout matériel utile à l’enseignement de la révision — textes reflétant l’état de la langue actuelle ainsi que les erreurs de révision représentatives des faiblesses des étudiantes et des étudiants, bases de données, logiciels, etc.; la création d’un nouveau manuel d’enseignement de la révision accompagné d’activités de formation continue. Cependant, entendons-nous bien : pas question ici de confier au privé la responsabilité d’enseigner la langue aux futures traductrices et aux futurs traducteurs, pas plus qu’il n’est question de soumettre l’université aux impératifs du marché du travail. Par la mise en commun des expertises, il s’agit plutôt de tirer le meilleur profit possible des sphères en présence. L’exemple de la postédition, son utilisation de plus en plus répandue parmi les outils d’aide à la révision des traductions, nous offre un bon exemple des retombées éventuelles d’un tel partenariat.

Activités d’enseignement possibles

Avant de décrire sommairement les activités qui pourraient faire l’objet de ce partenariat, un pas de recul s’impose. Au printemps 2022, lors d’un atelier organisé par l’Association canadienne des écoles de traduction (ACET), les conférenciers invités ont défini la postédition comme l’action de travailler la traduction brute, crachée par la machine (Enrico Antonio Mion) ou encore comme un modèle raffiné de révision intégrant la puissance de la technologie (Perrine Schumacher). Parmi les définitions possibles de la postédition, celles-ci semblent particulièrement utiles en raison de leurs retombées sur le plan de l’enseignement de la révision. Elles permettent en effet de saisir les principaux défis soulevés par l’intégration en classe de la postédition : comment apprendre à travailler cette matière brute sans se laisser intimider par elle, comment affûter et affiner le jugement critique, comment déjouer l’illusion de la fluidité quand la traduction machine s’offre sous le jour d’une belle infidèle? Dans le cas du partenariat qui pourrait s’établir entre l’université et le monde professionnel, ces deux définitions possèdent aussi une grande utilité : elles forcent une réflexion sur les activités de formation les plus appropriées pour répondre aux besoins des étudiantes et des étudiants et pour bien les préparer à la réalité de la postédition. Cette réflexion implique à son tour de préciser la contribution de la postédition à l’enseignement du cours de révision, son rôle dans la consolidation des connaissances linguistiques. 

À cette enseigne, tout reste pratiquement à découvrir, mais certaines activités viennent déjà à l’esprit. Aux « classiques » à conserver, dont des travaux hebdomadaires visant à revoir des points de langue précis (conventions de rédaction, impropriétés, anacoluthes, épithètes en hypallage, anglicismes, etc.) ou encore aux principes de l’autorévision à inculquer, il conviendrait  d'ajouter des exercices tout neufs axés sur l’acquisition d’une méthode de révision intégrant la traduction automatique, dont la postédition. On pense notamment à la révision de textes pré-traduits par un moteur de traduction automatique et fournis par le partenaire du privé. D’autres activités, destinées à stimuler le jugement critique et la capacité de discernement, pourraient être axées sur la comparaison entre la traduction machine et la traduction humaine : détecter, par exemple, les erreurs (syntaxiques et stylistiques) souvent commises par la première et non par la seconde; réviser une « version humaine » et une « version machine » du même texte pour évaluer les avantages et les inconvénients de chacune des deux méthodes; etc. Dans tous les cas, cependant, quelles que soient les activités de formation qui naîtront de ce partenariat entre la salle de classe et le cabinet de traduction, les partenaires choisissent dès maintenant de parier sur le meilleur des deux mondes. S’ils remportent leur pari, tous les points gagnés compteront double. Le loup? Osons espérer qu’il aura quitté la bergerie. 

Stéphanie Brisson est étudiante à l’Université Concordia, Spécialisation en traduction — option coopérative, et traductrice à temps partiel à Versacom.

François Chartrand, traducteur agréé, est président et chef de la direction du groupe Versacom 

Danièle Marcoux est traductrice littéraire, professeure, coordonnatrice du programme coopératif en traduction et directrice des programmes de 2cycle en traduction de l’Université Concordia.


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