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L’Office québécois de la langue française : la variation et la néologie au profit de la terminologie

Depuis plusieurs décennies, l’Office québécois de la langue française contribue à l’établissement d’une norme terminologique au Québec. Soixante ans après la création de cet organisme et plus de quarante ans après l’adoption de la Charte de la langue française, quel bilan peut-on tirer de ces travaux en ce qui a trait à la diversité des formes du français?

Par Xavier Darras, coordonnateur de la production linguistique, Office québécois de la langue française

En vertu de la Charte de la langue française, l’Office « définit et conduit la politique québécoise en matière d’officialisation linguistique [et] de terminologie ». L’intérêt particulier de l’Office pour la terminologie est toutefois plus ancien que la Charte elle-même, puisque la Loi sur la langue officielle adoptée en 1974 prévoyait déjà la création de commissions de terminologie ayant notamment pour mission de « faire l’inventaire des mots techniques employés dans le secteur qui leur est assigné ».

En effet, dès lors qu’il s’agissait de franciser des milieux de travail, il est rapidement apparu que les dictionnaires de langue courante n’offraient pas toujours des réponses aux questions terminologiques que se posaient les citoyens et les citoyennes. L’évolution de l’économie dans les décennies qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale avait rendu nécessaire l’harmonisation du vocabulaire des langues de spécialité, et l’Office a déployé des moyens considérables pour l’atteinte de cet objectif.

C’est ainsi que la Banque de terminologie du Québec, ancêtre du Grand dictionnaire terminologique (GDT), a vu le jour au milieu des années 1970. L’équipe de terminologues qui y travaillait y a versé des milliers de fiches et a produit des dizaines de publications visant à établir la terminologie française de nombreux domaines, allant de la tuyauterie à l’industrie minière et des assurances aux appareils de levage, en passant par l’industrie automobile et la géomatique. Les domaines ciblés par ces travaux ont essentiellement suivi l’évolution des principaux secteurs économiques, la part du lion revenant, depuis le milieu des années 1990, aux technologies de l’information et des communications ainsi qu’à la santé. Ces lexiques et vocabulaires, largement diffusés auprès des entreprises et de leur personnel, ont contribué à franciser la terminologie de nombreux secteurs.

Compte tenu de l’ampleur de la tâche et du fait que la terminologie constituait, lors de la création de la banque de terminologie, une discipline relativement nouvelle, l’Office avait été amené à établir, avec un réseau de collaborateurs, les grands principes de la méthodologie de la recherche terminologique. Ces méthodes contribueront à faire connaître « l’École de Québec », qui inspirera plusieurs autres organismes à l’étranger dans leurs démarches d’aménagement linguistique.

La langue courante ne sera pas oubliée, cependant, grâce à la création de la Banque de dépannage linguistique (BDL) au tournant des années 2000. Ce répertoire de plus de 3000 articles portant notamment sur des difficultés de la langue française a connu un essor continu, au Québec comme à l’étranger, des millions d’internautes y ayant parcouru plus de 17 millions de pages dans la dernière année, selon les données de l’OQLF.

La question de la variation géographique

Les chantiers terminologiques ont progressivement mis en lumière le fait que le recours exclusif à des ouvrages de référence européens pour statuer sur les termes à employer ne suffisait pas à trouver des réponses à l’ensemble des questions terminologiques des milieux professionnels québécois. 

En effet, on a rapidement constaté que les principaux secteurs d’activité économique, les normes industrielles et l’équipement utilisé pouvaient diverger de part et d’autre de l’Atlantique (sans compter les différences évidentes touchant aux espèces animales et végétales ou à la géographie, par exemple). Confronté à des besoins de dénomination parfois urgents, auxquels les ouvrages européens ne pouvaient répondre, l’Office a notamment opté pour le recours à la néologie pour les combler. Or, du moment que l’on proposait des néologismes sans attendre la décision d’une instance européenne ou internationale, on se retrouvait à valider implicitement une variété de français qui pouvait diverger de la norme européenne, mais qui était néanmoins présentée comme étant valable, officielle.   

Dès 1985, dans un écrit intitulé Énoncé d’une politique linguistique relative aux québécismes, l’Office indiquait que « le moment [était] venu de produire un document définissant des critères par lesquels des québécismes techniques et scientifiques [recevraient] une reconnaissance officielle ». Il posait ainsi un jalon important dans la valorisation d’une langue française plurielle, ouverte à la variation.

Cette ouverture à la variation géographique du français a été affirmée plus nettement dans la Politique de l’officialisation linguistique de 2004, dans laquelle on spécifie qu’« en ce qui concerne les réalités déjà dénommées au Québec par un terme différent de celui en usage en France, mais qui respecte la norme linguistique en vigueur à l’Office, c’est le terme en usage au Québec qui sera privilégié. » Les termes employés en France ou ailleurs dans la francophonie sont alors présentés comme des synonymes. La nouvelle version de cette politique, publiée en 2019, maintient cette orientation.

Plus récemment, la participation de l’Office à des projets mettant l’accent sur la diversité des usages du français, comme le Vocabulaire francophone des affaires et le tout nouveau Dictionnaire des francophones, témoigne de cette volonté de valorisation des diverses variétés de français, qui s’ajoutent au socle commun de cette langue.

L’audace néologique

Le mot « néologisme » n’a pas toujours eu bonne presse. Sous la plume de certains auteurs, les néologismes ont parfois été associés aux abus de langage ou aux barbarismes, voire à une méconnaissance des ressources lexicales du français.

L’Office s’est cependant appuyé très tôt sur la possibilité de recourir à des néologismes de forme ou de sens pour dénommer de nouvelles réalités qui n’avaient jusqu’alors qu’une dénomination anglaise. Cette démarche s’appuie sur le principe du juste-à-temps, c’est-à-dire sur l’idée que plus on propose un terme rapidement, plus il est probable qu’il soit adopté avant qu’un terme concurrent (un emprunt, par exemple) ne s’implante, contribuant de ce fait à la protection et à l’enrichissement de la langue française.

Ainsi, dans les cas où la recherche démontre l’existence d’un terme français adéquat pour désigner une nouvelle réalité, l’Office s’autorise à valider et à promouvoir ce terme, même s’il est très récent, peu connu et absent des ouvrages de référence. Il s’agit, en quelque sorte, de faire le pari qu’un terme, parfois lancé par un seul individu dans un milieu donné, est susceptible, s’il répond adéquatement à un besoin, de s’implanter à l’échelle du Québec et même dans d’autres pays de la francophonie.

C’est ainsi que l’Office a contribué à la reconnaissance officielle de différents termes issus de la population, comme didacticiel, dépanneur, pourvoirie, courriel et bien d’autres, qui ont aujourd’hui acquis un statut qui les rend indélogeables.

Et si la recherche démontre qu’il n’existe aucun terme français adéquat, les terminologues peuvent proposer des néologismes de leur cru, du moment que ceux-ci répondent à certains critères (parmi lesquels la transparence, l’adéquation morphologique, la concision et la dérivabilité).

Cette procédure relativement souple, ouverte à la nouveauté, a permis de produire de nombreux néologismes originaux, parfois audacieux, dont plusieurs ont été adoptés par les médias et la population. On peut penser à clavardage, à hameçonnage, à baladodiffusion, à mot-clic, à infonuagique, à divulgâcheur, à pourriel, à témoin (en informatique) et, plus récemment, à hypertrucage.

Plusieurs de ces néologismes ont franchi l’Atlantique, faisant leur entrée dans les dictionnaires européens ou étant repris par les instances françaises de terminologie. Ces succès ont vraisemblablement contribué à changer la perspective des gens à l’égard de la néologie, au point que de nombreuses personnes interpellent spontanément l’Office lorsqu’elles voient apparaître un nouveau terme anglais, curieuses de connaître le terme qui sera proposé pour le traduire. Le concours de créativité lexicale, dans lequel l’Office invite des jeunes du secondaire et leurs enseignants à créer de nouveaux termes, s’inscrit également dans cette approche. 

Un avenir en mouvement

La langue évolue rapidement, particulièrement dans les domaines de pointe, et les comportements de navigation des internautes également. La modernisation des outils de référence de l’Office demeure donc un enjeu crucial, tant en ce qui a trait à leur contenu qu’à leur ergonomie.

Chaque année, le GDT fait l’objet de milliers d’interventions visant à y ajouter de nouvelles fiches terminologiques ou à enrichir des fiches existantes. Une part notable de ces ajouts découle directement des milliers de questions reçues annuellement par l’Office, par courriel ou par téléphone. Les publications imprimées ont progressivement été remplacées par des publications électroniques portant sur des sujets aussi variés que l’intelligence artificielle, les métiers du jeu vidéo, la cryptomonnaie, la chirurgie ou le télétravail.

Dans les dernières années, le GDT a également subi diverses améliorations visant à rendre le site plus riche ou la navigation plus conviviale, comme l’ajout d’hyperliens et d’illustrations dans les fiches, ou l’ajout de chroniques terminologiques. Par ailleurs, plusieurs changements potentiels à l’interface sont à l’étude et pourraient voir le jour prochainement.

La langue française est en mouvement, et l’Office québécois de la langue française continue de participer, par ses travaux et par ses actions, à sa valorisation et à sa vitalité.

Après avoir travaillé pendant quelques années comme traducteur, Xavier Darras est devenu terminologue à l’OQLF en 2004. Il a participé à la rédaction de divers vocabulaires ainsi qu’aux travaux du Réseau panlatin de terminologie. Il est coauteur d’un guide sur la rédaction de définitions terminologiques. Depuis 2013, il coordonne une équipe qui enrichit quotidiennement Le grand dictionnaire terminologique.


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