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La traduction collaborative

Caroline Mangerel, traductrice agréée et Maria Ortiz Takacs, traductrice agréée

La traduction en mode collaboratif ne date pas d’hier. Elle a commencé, peut-être, avec la Septante et, plus près de nous, comme le rappelle André Guyon, « au début des années 1990, l’Accord de libre-échange nord-américain fut traduit par un groupe de professionnels du Bureau de la traduction en un temps recordi ».

Le crowdsourcing, aussi appelé externalisation ouverte ou active, ou encore myriadisation, est un fait d’actualité, lié à la mondialisation et aux technologies sur le Web, dont la traduction n’est qu’une des manifestations.

La traduction collaborative fonctionne généralement sur le mode de la localisation. Basée sur le principe du crowdsourcing, elle est très souvent utilisée pour des interfaces de sites Web et de logiciels mais peut s’étendre à de nombreux autres types de textes et d’objets, aussi bien culturels comme des romans ou des films que purement fonctionnels comme des modes d’emploi, qu’ils soient sous forme de texte ou de vidéo. Il s’agit d’une activité à laquelle peuvent participer deux ou trois personnes comme des milliers et qui requiert une certaine coordination. Il est à noter que le terme traduction collaborative est générique; s’il renvoie généralement à un travail effectué en parallèle par plusieurs personnes, il peut aussi désigner la collaboration entre traducteur et auteur, par exemple, très fréquente dans certains contextes de traduction littéraire.

L’étude du crowdsourcing présente un grand intérêt pour les chercheurs universitaires, notamment par ce qu’il peut révéler des motivations, des structures et des relations qui se dessinent au fil de ce nouveau phénomène entre ses acteurs, ses bénéficiaires et ses laissés-pour-compte. Tout récemment, d’importants travaux de recherche ont été effectués sur le sujet, donnant lieu à des publications comme celle de Miguel A. Jiménez Crespo, Crowdsourcing and online collaborative translations: Expanding the limits of translation studies (Benjamins, 2017), ou encore l’ouvrage d’Anthony Cordingley et Céline Frigau Manning, Collaborative translation: From the Renaissance to the digital age (Bloomsbury, 2017) ainsi qu’à un grand nombre d’articles et de résultats d’études.

C’est justement une entrevue avec monsieur Jiménez Crespo qui permet d’établir dans ce numéro, autour du recueil qu’il dirige, plusieurs des enjeux essentiels du crowdsourcing et de la traduction collaborative : un éventail de perspectives techniques, éthiques, économiques, historiques et politiques sur le sujet. Au-delà de la recherche universitaire, ce numéro présente plusieurs points de vue et diverses facettes de cette pratique complexe, depuis les avantages du crowdsourcing comme méthode éducative dans la plateforme Duolingo présentés par Gulnara Shaydullina jusqu’à la traduction collaborative activiste qui a accompagné le Printemps érable de 2012 telle que l’explique Raúl E. Colón Rodríguez. Renée Desjardins décrit plusieurs des enjeux professionnels et déontologiques du crowdsourcing dans son texte sur la traduction dans les médias sociaux, et Marian Flanagan explore les motivations des traducteurs qui pratiquent cette activité, parfois sans rémunération. Nous proposons en outre une recherche sur les entreprises qui vendent des services de traduction par crowdsourcing et ce qu’elles exigent de leurs pigistes ainsi qu’un portrait de l’activité de fan subbing – traduction, sous-titrage ou doublage « au noir » de mangas et de dessins animés qui forme tout un pan de la pratique de la traduction à l’échelle mondiale.

Le fil conducteur de tous ces sujets et points de vue est manifeste : par son rapport avec les technologies en développement continu, par son insertion dans le phénomène de la mondialisation et les dynamiques qui croissent et changent dans son sillage, le crowdsourcing redéfinit la notion même de travail. À titre de professionnels, et pour pouvoir continuer à assumer des responsabilités envers notre activité, il devient aujourd’hui essentiel d’entretenir une réflexion à cet égard.


iAndré Guyon, « Grandeurs et misères de la traduction collaborative en ligne », L’Actualité langagière, vol. 7, no 1, 2010, p. 33.


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