Quand on pense jeux vidéo, c’est souvent l’idée de violence et de guerre qui nous vient à l’esprit. L’image d’adolescents enfermés dans leur chambre pendant des heures, mitraillant virtuellement des ennemis imaginaires. Mais les jeux vidéo, ce sont des milliers d’univers fantaisistes avec leur propre histoire, où se forment des équipes qui partent en quête d’aventures, que ce soit pour éliminer un dragon ou détrôner un tyran.
Ces jeux sont pour la plupart traduits en au moins six langues. En fait, il s’agit plutôt de localisation, la traduction n’étant qu’une partie du travail d’adaptation. Une définition rapide des différents termes employés dans ce contexte :
L’idéal serait bien sûr de globaliser les jeux, mais comme le concept d’internationalisation n’est que rarement connu des développeurs, l’équipe de localisation fait face à une série de problèmes techniques qui l’empêchent d’opter pour cette solution.
La traduction de jeux vidéo est un domaine particulier. D’un côté, elle se rapproche beaucoup de la traduction littéraire, dans le sens où les dialogues doivent être adaptés, les personnages se développant et évoluant au fil de l’histoire, chacun ayant un style particulier. De l’autre côté, elle constitue un domaine technique, comportant souvent des parties de programmation mêlées au texte à traduire. Cette spécialité hybride présente donc des défis qui lui sont propres.
Dans la jungle des supports et produits de ce marché, le plus intéressant du point de vue de l’adaptation est sûrement le monde des jeux à univers persistant. On parle d’un volume de 250 000 à plus d’un million de mots et de mandats à long terme. La localisation de ce genre de jeux est donc un travail d’équipe, généralement six personnes (quatre traducteurs, deux relecteurs), d’abord pour environ trois mois. Une fois l’équipe rodée, elle peut continuer à travailler au même jeu pendant plusieurs années.
Au début d’un mandat, l’équipe se familiarise avec l’univers du jeu – les types de personnages, le style (fantaisie, science-fiction, univers post-apocalyptique) – et le système de jeu. Un glossaire est créé au fur et à mesure de la traduction. Dans le cas d’une traduction multilingue, la communication entre les équipes est cruciale afin d’assurer une certaine uniformité dans les différentes versions du jeu.
Les défis techniques proviennent généralement du type de fichier fourni à l’équipe de traduction. En effet, il est rare qu’une future localisation soit prise en compte lors du processus de développement d’un jeu. Certains développeurs programment le texte directement dans le jeu, ce qui rend l’exportation du texte impossible. D’autres utilisent des cellules de texte limitées au lieu d’un menu déroulant. Le nombre limite de caractères est fondé sur la version anglaise, ce qui rend la traduction difficile dans certaines langues, notamment le français et l’allemand, qui requièrent plus de mots pour exprimer les mêmes idées.
Les problèmes d’adaptation culturelle peuvent se présenter sous la forme de noms propres qui, phonétiquement, ont une signification différente dans la langue cible que dans la langue de départ. Le degré de violence ou encore le genre de langage auxquels les joueurs du pays cible sont habitués risquent également de poser des difficultés. Par exemple : en allemand, on tutoie généralement le joueur alors qu’on le vouvoie en français.
L’absence de déclinaison en anglais constitue elle aussi un problème; il n’est pas rare qu’un développeur crée un moteur qui combine différents noms et adjectifs à l’aide de fonctions de conquénation. Cette méthode fonctionne rarement dans les autres langues. Il faut donc créer des options qui tiennent compte de toutes les possibilités imaginables : un gant bleu, une botte bleue, des épées bleues, des sacs bleus. Sans oublier bien sûr qu’une phrase peut comprendre deux ou trois adjectifs différents : gants bleus du géant vert.
La partie la plus gratifiante de l’adaptation culturelle se révèle être les dialogues des personnages non joueurs qui s’adressent au joueur. C’est ce qui forme la trame de l’histoire et c’est ce processus créatif qui permet de donner vie aux personnages en question, en leur conférant leur propre style, des tics de langage et des jeux de mots qui leur sont propres.
Une des particularités de la localisation de jeux vidéo est le travail d’équipe. Ce n’est jamais le résultat du travail d’une seule personne. Voir la réaction du public après des mois de travail acharné est absolument gratifiant et donne envie de repasser des nuits blanches à se pencher sur des listes interminables d’objets.
Béatrice Compagnon, spécialiste de la localisation de jeux à univers persistant depuis dix ans, est entrée dans le monde de la traduction après des études de littérature comparée. Après différentes expériences en tant que traductrice, relectrice et gestionnaire de projets dans le monde de la localisation de jeux vidéo, elle a fondé Vienna Group International, une agence spécialisée dans la traduction de jeux à univers persistant.