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Enseigner la révision, ou comment communiquer sa passion

Derrière toute réussite professionnelle, derrière toute relève compétente se cache un enseignant passionné, un mentor généreux et motivé. Portrait d’un enseignement tout en images et en métaphores, et pourtant pratique et terre à terre.

Par Danielle Jazzar, trad. a.

Danièle Marcoux est directrice des programmes de traduction du premier cycle, du Diplôme de deuxième cycle en traduction et du Certificat de deuxième cycle en localisation, directrice des stages et du programme coopératif et, surtout, chargée d’enseignement à l’Université Concordia. Ses cours sur les interférences linguistiques en première année et ceux portant sur la révision et la correction en troisième année, dans le programme de traduction, sont très appréciés par les étudiants, et sa popularité dépasse les murs de Concordia.

Danièle Marcoux possède un doctorat en traduction et vingt ans de métier en traduction littéraire, en rédaction professionnelle et en révision. Son métier, dit-elle, c’est tout ce qui est lié à la maîtrise de la langue écrite. Son but, en tant qu’enseignante, est d’apprendre aux étudiants à bien écrire, car « bien écrire, c’est bien penser ». Elle décrit le métier à ses étudiants au moyen d’images et de métaphores telles que : « Si vous étiez chanteurs classiques, la grande qualité qu’on attendrait de vous, c’est que votre voix soit un instrument dont vous pouvez jouer avec beaucoup d’amplitude, comme un éventail, quasiment à 180 degrés; rares sont les chanteurs qui ont ce don-là. Pourtant, il y en a qui, à force d’exercice, y arrivent. Pour nous, langagiers, c’est ça. Notre but, c’est d’être curieux, de lire de tout – du Publisac à la Pléïade, en passant par tout ce qui se déploie entre les deux. »

Un bon réviseur doit avoir une connaissance très poussée de la grammaire, de l’orthographe, de la rédaction, de la traduction, mais il doit également posséder des qualités exceptionnelles de diplomate et de pédagogue. C’est avec cet objectif en tête que Danièle Marcoux bâtit son programme, à partir de manuels classiques de la révision et de la traduction, notamment Pratique de la révision, de Paul Horguelin et Michelle Pharand, qu’elle suit à la lettre, et La traduction raisonnée, de Jean Delisle. Et en réponse à ceux qui lui reprochent de reprendre sans cesse ces manuels anciens, elle dit : « Un marteau reste quand même l’instrument le plus utile qu’on a inventé pour planter un clou, même s’il existe maintenant des marteaux électroniques! »

Une méthode rigoureuse

Pour établir les grandes lignes de son programme, elle a d’abord écouté les critiques des cours passés formulées par les étudiants. Leur degré d’insatisfaction à l’égard du cours de révision était assez élevé, parce qu’ils ne savaient pas quels étaient les critères d’évaluation.

Les étudiants ont besoin de mesurer ce qu’ils apprennent. Danièle Marcoux a donc cherché à répondre à ce besoin et, à partir de ses deux ouvrages de référence, a créé une méthode pour assurer le contrôle de la qualité d’un texte. Elle a établi cinq paramètres ou « voyants », qui doivent s’allumer au fil de la lecture : l’exactitude ou fidélité au sens; la correction (orthographe, grammaire, syntaxe, ponctuation, etc.); la lisibilité (logique, clarté, concision); la tonalité ou niveau de langue; et l’adaptation au destinataire. Pour appliquer ces paramètres, la méthode requiert quatre lectures successives et permet de couvrir de manière très complète tous les aspects dont il faut tenir compte.

  • La première est celle où l’on scrute les conventions d’écriture, en fonction des clients ou des aires culturelles. On applique donc un protocole.
  • La deuxième est l’analyse du lexique (dans la révision bilingue, cette relecture permet de relever les erreurs de transfert, les interprétations).
  • La troisième est l’analyse du style.
  • La quatrième s’occupe de tout ce qui relève de la cohérence textuelle.

Cette méthode sert aussi à évaluer ce qui est de l’ordre de la sous-révision et de l’hyper-révision. L’université, dit-elle, est l’un des rares endroits où on a le temps de lire quatre fois un texte. Mais après avoir acquis le mécanisme d’une bonne méthode de travail, les futurs traducteurs ou réviseurs gagneront du temps et de la rapidité.

Danièle Marcoux tient également à enseigner à ses étudiants les symboles classiques de la révision, même s’ils semblent dépassés. Elle considère aussi que l’apprentissage du vocabulaire de la révision est un atout si l’on veut défendre ses choix de façon professionnelle en tant que réviseur ou que révisé. Les solécismes, anacoluthes et autres zeugmes ne doivent avoir aucun secret pour les futurs réviseurs. Elle consacre tout de même une séance aux outils électroniques d’aide à la révision. Une seule, car à son avis, quel que soit l’instrument utilisé pour trouver les bonnes réponses, l’important c’est la connaissance intrinsèque, c’est de savoir justifier ses choix et avoir en soi tout le savoir. Et la manière dont on choisit d’inscrire sa correction – au moyen d’un code manuscrit, dans une bulle de suivi des modifications ou dans un commentaire – importe peu. Il faut d’abord savoir pourquoi on propose cette solution et de quel ordre relève l’intervention faite dans le texte. Selon Danièle Marcoux, les outils doivent être à notre service, et le danger, c’est que ces instruments fassent écran au jugement linguistique.

Le travail, clé de la compétence

L’aspect humain est une autre facette importante de l’enseignement de Danièle Marcoux. Comment formuler une critique? Quoi dire ou ne pas dire? Au moyen de mises en scène et de mises en situation, les étudiants sont tour à tour réviseurs et révisés; il y a toujours deux équipes qui travaillent sur les mêmes textes et qui se soumettent mutuellement tour à tour aux critères et à l’œil critique. Apprendre à formuler une critique, mais aussi apprendre à être perméable à la critique est un incontournable chez un traducteur et chez un réviseur.

Son souci, c'est aussi de renforcer leur confiance en leurs capacités de futurs traducteurs ou réviseurs à force de travail et d'exercices, bien sûr. Elle leur dit au départ : « Fiez-vous à vos intuitions, fiez-vous à votre trésor linguistique », et ensuite : « Faites des exercices hebdomadaires vraiment liés à la traque aux formes fautives, c'est votre exercice à la barre. Si vous voulez devenir premiers danseurs pour notre troupe de ballet, eh bien c'est le b-a-ba. » Elle leur apprend également à entretenir un certain doute, pour toujours pousser plus loin les recherches et savoir choisir la bonne option en fonction des contextes de communication. Elle tient à ce qu'ils deviennent les sources les plus fiables dans leur domaine parce que, dit-elle, les gens qui ont besoin de services de langagiers s'attendent à la même rigueur que le malade qui confie sa santé à son médecin.

Quant aux mémoires de traduction, c’est le parent pauvre de son enseignement, car son rôle, dit-elle, est surtout d’établir les fondations d’une carrière de langagier au savoir solide. L’industrialisation du métier, qui prend la forme de la nouvelle fonction de paralangagier, est, à son avis, inacceptable. De toute manière, pour réaliser cette vision Walmart, il faut avoir des années de métier. Mais Danièle Marcoux reste optimiste pour la relève si toutes les parties en cause s’investissent à fond dans l’éducation universitaire. Il faut former les étudiants pour qu’ils acquièrent savoir et souplesse, pour que les possibilités s’ouvrent à eux, et pour qu’en plus de détenir des compétences strictes comme interprètes, terminologues, traducteurs, ils puissent vendre leurs services et dire la tête haute qu’ils sont rédacteurs ou réviseurs de première classe afin de redorer le blason d’une profession que l’on tente d’industrialiser.


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