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À la révision!

Est-ce une fausse impression, ou les traducteurs ne se bousculent pas au portillon de la révision? Est-ce par manque d’encouragement? Qu’est-ce qui les retient? Comment les inciter à franchir le pas? Des traducteurs répondent à ces questions.

Par Manon Laganière, trad. a.

J’ai eu l’immense privilège, dès le début de ma carrière, de me faire réviser par trois excellents traducteurs-réviseurs. Qui plus est, j’ai eu l’insigne honneur de les réviser à mon tour. Ainsi, j’ai pu voir très tôt la traduction par l’autre bout de la lorgnette. Mon choix a été vite fait. Vingt-cinq ans plus tard, j’adore toujours la révision.

Au cours des 10 dernières années, j’ai dû recruter des réviseurs pour trois employeurs, et j’ai vite constaté qu’ils sont une denrée rare. Parmi la centaine de traducteurs que j’ai côtoyés de près, peu sentaient l’appel de la révision, du moins, à première vue. Pourquoi? Un court sondage mené en janvier auprès de 230 traducteurs en herbe (université) et en exercice (cabinets) jette un peu de lumière sur la question.

1. Vos employeurs ou vos réviseurs vous ont-ils déjà encouragé à devenir réviseur?

À cette question, sur 42 répondants, 22 traductrices et traducteurs ont répondu oui, et 20 ont répondu non.

Fait intéressant, chez ceux qui ont relevé le défi, certains l’ont fait contre leur gré, parce que c’était le « parcours normal d’un traducteur ». Un répondant dit même « avoir été mis devant le fait accompli ». Dans un cas, « c’était avant tout pour dépanner parce qu’il manquait de relève, et pas tant parce que la révision était ou semblait dans mes cordes ». Et dans un autre, la traductrice a fait de la révision un certain temps seulement, car, dit-elle, sa supérieure savait qu’elle ne souhaitait pas en faire une profession.

2. Envisagez-vous de devenir réviseur un jour? Dans l’affirmative ou la négative, veuillez préciser pourquoi.

À cette question, 18 traductrices et traducteurs ont répondu oui, 20 ont répondu non, et 4 étaient indécis.

Cinq répondants estiment que devenir réviseur est une suite logique dans la carrière d’un traducteur et souhaitent transmettre un jour à la relève ce qu’ils ont appris. Le même nombre envisage de faire un jour de la révision, mais préfère encore, pour le moment, la traduction. À leur avis, il faut beaucoup d’expérience en traduction ou en rédaction pour être un bon réviseur. Combien d’années? Les réponses ne le disent pas.

Quatre répondants mentionnent que la révision permet de varier les tâches, qu’elle évite au traducteur le piège de la routine. Après quelques années de traduction, disent-ils, la révision est une « évolution naturelle ». D’ailleurs, certains jugent que traduction et révision vont de pair, qu’on apprend beaucoup en tant que traducteur en devenant réviseur, en voyant d’autres solutions que celles qu’on aurait soi-même adoptées (par automatisme, parfois). Beaucoup mentionnent qu’ils aimeraient faire de la révision tout en continuant à traduire.

Parmi les raisons invoquées par les traducteurs qui n’envisagent pas de devenir réviseurs, citons le manque d’esprit critique, de confiance (en leurs compétences) et de polyvalence (domaine et nature des textes). Le doute, qui les pousserait à surcorriger, est aussi un frein : ils craignent de manquer de respect envers les traducteurs. Certains disent que la recherche terminologique leur manquerait; d’autres croient que la révision exige trop de recherche, par exemple lorsque le texte porte sur un sujet qui leur est inconnu. Pour d’autres, la révision demande des aptitudes différentes de celles que doit posséder un traducteur.

Certains trouvent la révision passive et ennuyeuse; ils ne veulent pas perdre le plaisir de créer ou d’écrire. Ils ont l’impression qu’en révisant un texte au lieu de le traduire, ils ne feront que survoler le sujet et ne seront pas en mesure de « faire un bon travail ». Ils aiment faire des recherches, acquérir une compréhension parfaite du texte avant de le traduire. Ils préfèrent la découverte et les défis de la traduction à la « relecture haute vitesse » (leur perception de la révision).

La crainte de devoir assumer la responsabilité des textes des autres est aussi présente, surtout lorsque la traduction n’est pas à la hauteur ou que le traducteur a empiété sur le temps de révision.

Plusieurs traducteurs, dont certains ont tâté de la révision, soulignent que le réviseur ne doit pas corriger par caprice : l’erreur doit être flagrante, et une règle précise doit motiver la correction. La révision, selon eux, amène le traducteur à repenser ses méthodes de traduction, pour justifier ses corrections (qui doivent être objectives). Le réviseur doit maîtriser la langue d’arrivée. Il doit être vigilant, il doit améliorer le texte et tendre vers la perfection, mais il doit aussi savoir lâcher prise. Les répondants s’en sentent-ils capables? Là non plus, les réponses ne le disent pas.

3. Si vous souhaitez devenir réviseur un jour, que vous manque-t-il, à votre avis, pour y parvenir? De quel type d’encadrement aimeriez-vous profiter?

La majorité des répondants disent devoir acquérir plus d’expérience avant de s’adonner à la révision, notamment une meilleure connaissance de la terminologie et des préférences des clients. La confiance est aussi évoquée, car l’acte de révision suppose l’explication des corrections au traducteur. Les futurs réviseurs veulent aussi que leur employeur clarifie les attentes : selon le temps alloué, sur quels points devront-ils se concentrer?

Beaucoup mentionnent le mentorat ou un stage. Les traducteurs souhaitent revoir les techniques de révision (apprises, bien souvent, il y a de nombreuses années), puis avoir l’occasion de les mettre en pratique sous la supervision de réviseurs d’expérience. Ils aimeraient commencer par la révision de courts textes, pour acquérir au fur et à mesure de l’expérience et de l’assurance, comme ils l’ont fait lorsqu’ils ont commencé à traduire.

Idéalement, les traducteurs aimeraient travailler avec plusieurs réviseurs, pour être exposés à diverses méthodes. Ils souhaitent que leurs révisions soient revues par un réviseur qui discuterait avec eux des changements, proposerait d’autres solutions, leur rappellerait certaines règles. Le travail d’équipe et le fait de pouvoir poser des questions sur les corrections envisagées semblent importants.

Sur le plan des connaissances, les répondants aimeraient parfaire leur maîtrise de la grammaire, de la stylistique (idiomatie), de la typographie, du vocabulaire et des méthodes de recherche en ligne.

Enfin, une formation complète en révision bilingue, à l’université ou sous l’égide de l’OTTIAQ, est aussi une avenue suggérée. Cette formation devrait couvrir toutes les étapes de la révision, pour rappeler au traducteur comment il doit s’assurer que tous les paramètres de la traduction ont été respectés.

Conclusion

Les traducteurs sont plus intéressés par la révision qu’on aurait pu le croire. Cependant, ils veulent y aller graduellement et avoir la possibilité de revenir en arrière si l’expérience ne leur plaît pas. Beaucoup souhaitent allier traduction et révision. En outre, ils veulent être encadrés par des réviseurs chevronnés et, surtout, ne pas être poussés vers la révision en fonction des besoins de l’entreprise ou du cabinet.

Le réviseur doit avoir confiance en ses capacités et en ses compétences. Il doit tendre vers la perfection tout en sachant qu’il ne l’atteindra jamais. Il doit pouvoir expliquer ses choix la plupart du temps… et assumer les choix inexplicables. C’est à nous, réviseurs d’expérience, de fournir aux plus jeunes tout ce dont ils ont besoin pour y parvenir, et de leur faire partager notre passion pour le plus beau métier du monde.

Manon Laganière, traductrice agréée, est chef d’équipe et réviseure-conseil au cabinet de traduction Idem.


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