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Formation, motivation et productivité dans une « boutique » de traduction

Par Antoine Raimbert, trad. a.

Chez Cartier et Lelarge (cabinet généraliste de 21 employés), les ressources humaines demeurent l’élément le plus important dans le processus de traduction, qualitativement et quantitativement. Nous n’utilisons pas de traduction automatique, et nos clients les plus significatifs statistiquement présentent, selon les données de notre logiciel d’aide à la traduction, des taux de reprise d’au plus 30 %. Il faut donc encore et toujours de la matière grise pour traduire, bien traduire, et à profit! Et pour atteindre notre principale exigence, qui est de livrer des textes de « qualité » (c’est-à-dire conformes aux attentes du client), de la manière la plus productive possible, nous devons compter sur des langagiers qualifiés, ce qui nécessite un recrutement efficace et de la formation continue, et motivés, ce qui nécessite des conditions et des relations de travail favorables.

Qualification

Nous recrutons généralement des titulaires d’un baccalauréat, avec l’expérience requise, préférablement agréés ou en voie de le devenir, et susceptibles de s’intégrer à notre équipe et de partager nos valeurs. Sauf à avoir besoin d’un réviseur ou d’un traducteur d’expérience, nous privilégions le recrutement à l’issue de stages effectués dans le cadre d’un programme coop. Aujourd’hui, plus de 40 % de nos langagiers proviennent de cette filière. Les avantages de ce type de recrutement ne sont pas négligeables : 1) les étudiants ont déjà une expérience pratique (trois stages) dont un ou deux chez nous; 2) nous avons déjà eu le temps d’apprendre à nous connaître et de nous évaluer mutuellement; 3) ils débutent au bas de notre échelle salariale concurrentielle. En contrepartie, nous investissons dans leur formation en prenant un risque, celui qu’ils aillent voir ailleurs une fois formés (généralement au bout de trois ans).

L’investissement dans leur formation est en général un travail à long terme qui se concrétise principalement au moment de l’attribution des dossiers (explications, présentation), au moment des révisions, très pédagogiques, et lors de rencontres individuelles (évaluation générale et définition de nouveaux objectifs). Cette période de formation peut être jumelée à un mentorat en vue de l’agrément. Nous en couvrons les frais le cas échéant. L’encadrement est personnalisé en fonction des besoins de chacun, puisque les personnalités et les talents de nos recrues sont toujours très différents. Mais les thèmes abordés dans cette période de formation sont toujours à peu près les mêmes : apprentissage de nos processus et de nos outils, découverte de nos clients, de leurs activités, de leur terminologie et de leurs réalités linguistiques, qui ne sont pas nécessairement celles de l’université, sensibilisation au monde de l’entreprise, découverte de nos domaines de spécialité, développement de compétences générales comme l’analyse, le sens critique ou la polyvalence. L’objectif ultime est double : 1) leur apprendre à équilibrer l’impératif de qualité avec la nécessité du rendement; et 2) les aider à devenir le plus autonome possible.

Globalement, cet investissement supplémentaire en encadrement est productif, car le salaire du junior nous permet d’en absorber le coût et sa productivité croît théoriquement plus rapidement pendant les premières années de son apprentissage. Notons aussi que la formation des jeunes professionnels accroît la motivation des réviseurs, qui sont fiers de transmettre leur savoir et se sentent valorisés.

Cet encadrement, qui vise à rendre un langagier de plus en plus professionnel, ne se limite pas nécessairement aux recrues. Des traducteurs plus expérimentés ont parfois aussi besoin d’un petit rafraîchissement pédagogique et d’un suivi. Il est très important d’évaluer les besoins constamment à ce chapitre, pour éviter les baisses intempestives de qualité et de rendement.

Formation

Par ailleurs, pour les moins juniors comme les plus séniors, la formation est un impératif constant. Tout évolue et toujours plus vite, y compris la terminologie. Travailler à long terme pour un même client facilite l’acquisition des connaissances en continu. Internet nous facilite aussi beaucoup la tâche pour comprendre rapidement certains concepts ou trouver les bonnes ressources. La lecture d’ouvrages spécialisés ou des journaux, vivement conseillée, peut aussi nous aider. Mais il faut savoir prendre du recul pour mieux saisir le sens et donc mieux traduire. Il est par conséquent indispensable que nos employés participent régulièrement à des cours, des séminaires, des congrès ou des conférences, voire à des formations à plus long terme qui peuvent attester d’une spécialisation. Ces formations peuvent aussi porter sur des compétences générales ou des outils. En tout état de cause, elles génèrent de la valeur pour le traducteur, le cabinet et nos clients. Nous les considérons comme des investissements et défrayons les employés de leurs coûts. La seule difficulté est peut-être de trouver les formations adaptées, car certains de nos clients travaillent dans des secteurs pointus. 

Si des employés qualifiés et en mesure de se perfectionner constamment sont un premier pas vers l’optimisation de nos ressources humaines, l’autre grand facteur à gérer judicieusement est celui de la motivation, et donc des conditions et des relations de travail. La première chose qui vient à l’esprit généralement quand on parle des conditions de travail, c’est le salaire (et les avantages sociaux). Un salaire juste et concurrentiel, revu chaque année en fonction de l’évaluation de l’employé, est effectivement une source de motivation et de fidélisation, qui ont toutes les deux des conséquences notables sur la productivité. Mais il est loin d’être la seule.

Flexibilité

La flexibilité est le premier avantage non monétaire que plébiscitent les membres de notre équipe. Elle contribue pleinement à la maximisation de la conciliation travail/vie personnelle. Elle présente des avantages pour l’entreprise. Nous offrons ainsi un horaire flexible, ce qui permet, par exemple, à une lève-tard de commencer vers 11 h et de partir à 19 h, heures de la journée où elle est la plus productive. Si un employé a un rendez-vous chez le médecin, il peut prendre sa demi-journée et rattraper ses heures un autre jour. Évidemment, la flexibilité de l’horaire ne doit pas entrer en conflit avec les échéances. Nous avons aussi, depuis cinq ans, développé le télétravail. Télétravail ponctuel, à long terme, quelques jours par semaine, en urgence entre deux avions, à New York, en Italie, à Vancouver, à Paris… Nous avons presque tout essayé. Les possibilités sont infinies tant que les dossiers sont livrés à l’heure, dans le respect des processus et conformément aux normes de qualité et de rendement du cabinet. Par ailleurs, le télétravail permet une certaine continuité de la production, bénéfique à tous. Ainsi, un parent qui doit rester à la maison de manière imprévue parce que son enfant est malade pourra, pendant que le petit fait la sieste, faire une partie de ses heures. Le télétravail nous a également permis d’éviter de louer de nouveaux locaux à une période où l’effectif a grossi. Nous avons alors créé quelques bureaux partagés. Par ailleurs, le télétravail nous a permis de ne pas perdre des ressources précieuses, par exemple lorsqu’un employé est parti plusieurs mois à l’étranger pour suivre son conjoint. Sans le télétravail, il aurait dû démissionner, ce qui nous aurait obligés à embaucher quelqu’un d’autre et à le former. Depuis cinq ans, nos chiffres le disent : le télétravail n’a pas fait baisser notre productivité; et comme on l’a vu, il nous a permis de réaliser des économies.

D’autres facteurs de motivation tiennent nos forces vives en éveil. Citons d’abord l’intérêt pour le travail. Un langagier intéressé par ce qu’il fait est toujours plus motivé et donc plus productif. Et surtout, pour quelqu’un qui est à deux doigts du burnout parce qu’il a atteint ses limites avec tel dossier ou tel client, nous devons rapidement changer notre fusil d’épaule. Nous tenons donc compte, autant que faire se peut et en amont des crises de nerf, de ce paramètre dans la répartition du travail. Citons aussi la reconnaissance : remercier ou féliciter les employés qui se sont démarqués, qui ont dépassé les attentes ou qui ont tout simplement répondu rapidement à une de vos questions sont des marques d’attention qui comptent beaucoup plus qu’on pourrait le penser pour certaines personnes. Citons enfin le lien social et le sentiment d’appartenance à un groupe. Des activités hors bureau (soirée bowling, soirée hockey) ou autour du bureau (lunch d’anniversaire, culture du potager dans le jardin entretenu par l’équipe) peuvent aussi mettre de l’huile dans la machine.

Évaluation

Pour nous assurer que nos efforts visant à nous doter d’une main-d’œuvre qualifiée et motivée soient couronnés de succès et donc productifs, nous évaluons régulièrement nos employés. Nous procédons au moins une fois chaque année à une évaluation personnelle structurée, fondée notamment sur la qualité et la constance de la qualité de son travail, sur son rendement, sur son engagement dans l’entreprise, sur sa disposition à fournir un effort supplémentaire le cas échéant, sur sa capacité d’initiative, sur sa volonté de prendre davantage de responsabilités, sur son rôle dans l’équipe, etc. Cette évaluation, et l’augmentation de salaire qui en découle, font l’objet de discussions lors d’une rencontre en personne. Nos évaluations sont toutefois beaucoup plus fréquentes dans les faits. Souvent, les réviseurs sonnent l’alerte quand quelqu’un dérape de façon répétée ou, à l’inverse, quand quelqu’un se démarque. L’étape de l’approbation des factures nous permet aussi de constater des problèmes éventuels. On n’attend pas toujours non plus ces évaluations pour discuter de préoccupations. Le dialogue est continu. Cette évaluation régulière du respect de nos exigences par les employés nous permet de réagir vite et d’éviter que les problèmes s’enlisent. Très souvent, un entretien constructif permet de régler les problèmes. Rarement, nous utilisons des mesures coercitives.

Traducteur agréé, Antoine Raimbert est associé de Cartier et Lelarge, où il a commencé sa carrière il y a presque 15 ans. Il est titulaire d’une maîtrise et d’un DESS en droit public, des certificats en traduction I et II de l’Université de Montréal, et a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada de CSI. Son rôle au sein du cabinet consiste à garantir la qualité des traductions, particulièrement dans les domaines de la comptabilité, des finances, de l'économie, de la banque et de la fiscalité. Il joue aussi un rôle actif dans le recrutement, ainsi que dans la formation des plus jeunes membres de l'équipe. Il veille par ailleurs au développement stratégique des activités du cabinet et s'implique dans ses relations avec la profession.

Photo---Antoine-Raimbert


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