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L’informatique au septième ciel : l’infonuagique


Le nuage informatique n’est pas signe de tempête, il cache tout simplement un système complexe éblouissant.

Différence culturelle

Au cours d’un voyage en France cet été, j’ai eu l’occasion de regarder de nombreux messages publicitaires télévisés vantant les mérites du Cloud et présentant l’expertise d’entreprises qui offraient leur savoir-faire informatique aux sociétés françaises. On ne parlait de nuage que pour expliquer le sens de Cloud aux chefs d’entreprises qui ne comprennent pas nécessairement tous l’anglais.

Bien entendu, on sait que l’emploi d’anglicismes est une pratique de marketing acceptée et reconnue dans l’hexagone : ne pas utiliser le bon anglicisme au bon moment et au bon endroit constitue un faux pas pouvant nuire considérablement à toute stratégie de commercialisation nationale – un fait que tout langagier qui désire se lancer sur le marché français doit savoir.

Le nuage, plus qu’un symbole

Le cloud, nuage ou nuage informatique en français, est un concept du XXIe siècle qui cristallise la dématérialisation croissante des produits et des
services informatiques et qui est devenu peu à peu un des symboles de la Toile mondiale et du réseau qui la soutient, Internet. Le Grand Dictionnaire Terminologique (GDT) le définit ainsi : « Infrastructure informatique accessible à distance par une ou plusieurs organisations sous la forme de services en ligne dispensés par un fournisseur de services. » Grâce au nuage, les promoteurs désirent accroître l’accessibilité des technologies de l’information et de la communication (TIC) et faire bénéficier leurs clients d’économies substantielles (diminution des coûts liés aux locaux, à l’électricité, voire au personnel). En effet, les ressources du nuage sont disponibles n’importe quand, et presque n’importe où, par l'intermédiaire de logiciels roulant aussi bien sur des ordinateurs que sur des tablettes électroniques et des téléphones intelligents. Cette omni-accessibilité provient d’un nouveau modèle de fonctionnement informatique nommé infonuagique.

Infonuagique… un équivalent fait au Québec !

Le terme même d’infonuagique est d’origine québécoise : c’est l'Office québécois de la langue française (OQLF) qui, en novembre 2009, propose cet équivalent à cloud computing. Depuis, le terme se répand allègrement et on peut qualifier son implantation de succès. Selon l’OQLF, « Le substantif infonuagique, [a été] créé sur le modèle d'infogérance (formé d'informatique et de gérance), à partir des mots informatique et nuagique (synonyme peu fréquent de nuageux) […] ». Il appert que les spécialistes québécois de la langue ont fait preuve de rigueur et d’inventivité pour créer ce terme et concevoir son dérivé adjectival, infonuagique, un an après.

Un terme, des termes

Bien entendu, il existe déjà plusieurs synonymes – signe que la langue française se porte bien du côté de la néologie. Ainsi, les sources font état des synonymes suivants : nuage informatique – le plus connu et répandu –, informatique dans le nuage et informatique dans les nuages – qui sont souvent utilisés par les rédacteurs techniques, même si l’OQLF leur préfère informatique intranuage –, informatique nuagière – dont l’adjectif provient de la météorologie –, informatique en nuage – préconisé par les terminologues du Bureau de la traduction dans Termium Plus – et informatique dématérialisée.

Notons toutefois, comme le fait si bien Wikipédia dans son article de langue française intitulé Cloud computing, que « [l’]anglicisme cloud computing est généralement utilisé en France (mais pas au Canada) ». Il est donc manifeste que les différences d’utilisation factuelle entre les deux pays sont connues et reconnues à l’international dans le domaine de l’informatique, du moins pour ces termes.

Un sens vraiment pas aussi simple qu’on le voudrait

Mais que signifie infonuagique ? Puisque les terminologues de l’OQLF ont travaillé d’arrache-pied sur le sujet, voyons ce qu’ils nous présentent comme définition : « Modèle informatique qui, par l'entremise de serveurs distants interconnectés par Internet, permet un accès réseau, à la demande, à un bassin partagé de ressources informatiques configurables, externalisées et non localisables, qui sont proposées sous forme de services, évolutifs, adaptables dynamiquement et facturés à l'utilisation ».

Les « ressources informatiques » dont il est question dans la définition du GDT forment la base des services offerts tant aux entreprises qu’aux particuliers. Elles sont au cœur de la nouvelle vague d’innovations technologiques – liée aux matériaux, au matériel et aux logiciels – ainsi qu’à la « virtualisation » des entreprises qui n’ont plus pignon sur rue mais qui sont présentes dans la Toile. En outre, comme l’observent les terminologues de Termium Plus : « […] l’emplacement et le fonctionnement du nuage ne sont pas portés à la connaissance des clients », ce qui rend l’image du nuage d’autant plus pertinente, du moins du point de vue du client.

Un modèle, des modèles

On s’y attend : l’infonuagique évolue rapidement selon les exigences d’une clientèle hétéroclite que s’arrachent les entreprises nationales et multinationales de l’informatique. C’est la raison pour laquelle elle compte déjà quatre modèles de services : l’infrastructure-service (infrastructure as a service – IaaS), la plateforme-service (platform as a service – PaaS), le logiciel-service (software as a service – SaaS) et le réseau-service (network as a service – NaaS) ainsi que quatre modèles d’utilisation : le nuage public (public cloud), le nuage communautaire (community cloud), le nuage hybride (hybrid cloud) et le nuage privé (private cloud). Tout laisse croire que d’autres modèles viendront vite s’ajouter à cette liste.

L’avenir dans le nuage…

La puissance de calcul et la capacité de stockage du nuage grandissent de façon exponentielle. Le nuage s’adapte au besoins de ses utilisateurs et se transforme au gré de l’imagination de ses concepteurs. Pour les terminologues, la situation est idéale : une pléthore de termes devra être créée et répertoriée. Pour les traducteurs, une myriade de textes inédits devra être traduite, et pour les interprètes, une foison de discours au vocabulaire original devra être interprétée pour un nombre croissant d’entrepreneurs industrieux et de chercheurs en quête de connaissances.

Le nuage… Une porte donnant sur le septième ciel professionnel des langagiers ?

Philippe Caignon, term. a, trad. a., est directeur du Département d’études françaises à l’université Concordia.


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