Entrevue avec Réal Paquette, trad. a., président de l’OTTIAQ
Propos recueillis par Manon Laganière, trad. a.
Le conseil d’administration a adopté un nouveau plan stratégique, intitulé Agir pour influencer 2014‑2017, qu’il a présenté à l’assemblée générale annuelle du 19 juin 2014. Réal Paquette, trad. a., président de l’Ordre, nous parle du plan et de ce qu’il signifie pour l’OTTIAQ et ses membres.
Pourquoi un plan stratégique ?
La planification stratégique sert à provoquer la remise en question, à favoriser l’émergence d’idées et la mobilisation des forces vives. Elle amène
à prendre du recul pour définir une vision globale et se positionner avantageusement face aux nouvelles réalités. Concrètement, le plan permet de savoir où nous allons, de quoi vont être faites les trois prochaines années, tout cela dans un continuum, de façon à suivre le même fil conducteur et à ne jamais le perdre de vue.
Que prévoit le plan 2014-2017 ?
Il s’inscrit dans la continuité du plan stratégique Prendre sa place, qui couvrait les années 2009 à 2012 et qui a été prolongé jusqu’en 2014. Si l’Ordre a, dans une certaine mesure, pris sa place, tout n’est pas fini, d’où Agir pour influencer. Nous avons d’abord voulu redéfinir clairement nos bases, soit notre raison d’être, notre mission, notre vision et nos valeurs, qui sont au cœur même de notre existence et nous permettent d’agir. De
là vient l’orientation générale, soit l’intensification de l’influence de l’Ordre et de ses membres, et non pas de l’un ou de l’autre ; car c’est la synergie entre les deux qui nous permettra d’atteindre nos objectifs.
On peut penser que le premier axe, « Agir pour influencer par la mise en valeur de la pertinence de l’encadrement de la pratique professionnelle », se rattache à la notion de protection…
En effet, le premier axe touche directement notre raison d’être, c’est-à-dire la protection du public. Comment protège-t-on le public ? En encadrant
la pratique professionnelle en traduction, en terminologie et en interprétation. Nous avons quelques projets sur le feu : d’abord, celui de la réserve d’actes parce que, faut-il le rappeler, nous sommes un ordre à titre réservé et non un ordre à exercice exclusif. Dans un premier temps, nous voudrions faire réserver des actes en traduction, c’est-à-dire demander que certaines traductions ou révisions soient obligatoirement faites par des traducteurs agréés. On peut, par exemple, penser au traitement de documents officiels (actes de naissance, de mariage, permis de conduire, etc.) ou de documents dont les originaux doivent être signés par un membre d’un ordre professionnel. Si on exige que l’original soit signé par un membre d’un ordre professionnel pour motif de protection du public, sa traduction, nous semble-t-il, devrait être signée par un traducteur agréé de façon à maintenir la protection du public. À partir du moment où la traduction n’est pas signée par un traducteur agréé, le public n’est plus protégé.
Obtiendrons-nous la réserve d’actes d’ici trois ans ?
Nous l’espérons bien. Le mémoire est presque prêt, et nous comptons le déposer à l’Office des professions du Québec (OPQ) dès cet automne. La suite dépendra surtout de l’OPQ, du gouvernement et de leurs priorités respectives. Nous comptons aussi mener des actions parallèles pour faire savoir que nous avons déposé un mémoire en vue d’obtenir la réserve d’actes.
Et les autres projets sur le feu ?
Notre deuxième projet est de faire reconnaître la distinction entre les trois titres d’interprètes, soit « interprète juridique », « interprète de conférence » et « interprète en milieu social », car le travail et l’incidence sur le public ne sont pas du tout les mêmes. Dans les faits, nous encadrons déjà la pratique des interprètes de conférence et celle des interprètes judiciaires de manière différente. Par ailleurs, nous devons convaincre l’OPQ et le gouvernement de nous donner les moyens de travailler à l’offre de formation et d’encadrement pour les interprètes qui exercent en milieu social, et cela commencera par la distinction des champs d’exercice et des titres.
Il y a un troisième projet : nous voulons pouvoir reconnaître les diplômes de deuxième cycle en traduction professionnelle. Actuellement, en vertu du Règlement sur les diplômes délivrés par les établissements d’enseignement désignés qui donnent droit aux permis et aux certificats de spécialistes des ordres professionnels, l’Ordre n’admet que le baccalauréat, donc un diplôme de premier cycle. Toutefois, de plus en plus d’universités offrent une maîtrise professionnelle parce que de plus en plus d’étudiants ayant un baccalauréat dans un domaine autre que la traduction veulent
acquérir les compétences nécessaires pour pouvoir traduire dans leur domaine de spécialité. À l’heure actuelle, l’Ordre ne peut pas reconnaître
leur baccalauréat, qui n’est pas en traduction, ni leur maîtrise, car le règlement ne le permet pas. Au moins deux universités proposent déjà
des maîtrises professionnelles en traduction qui respectent tout à fait les critères de l’Ordre en termes de crédits de transfert linguistique et de crédits connexes.
Donc, il faut là aussi s’adresser au gouvernement ?
Il faut en effet demander la modification du règlement. La tâche revient au Comité de la formation, un comité statutaire composé de la directrice générale, qui le préside, de moi-même comme vice-président, de deux représentants du Bureau de coopération interuniversitaire et d’un représentant du ministère de l’Éducation. Ce comité devrait se pencher sur le dossier dès cet automne et faire une recommandation au CA.
Si notre demande est acceptée par le gouvernement, elle sera très bien accueillie par un certain nombre d’universités et d’universitaires.
La protection du public passe aussi par l’encadrement de la pratique professionnelle…
Dans un monde idéal, tous les traducteurs seraient membres de l’Ordre. Pour tendre vers ce but, il faudrait démystifier la réglementation, souvent perçue comme une contrainte ou comme quelque chose de très compliqué. Pourtant, ce n’est pas le cas. Que je sois membre de l’Ordre ou non,
si je suis un professionnel qui se respecte, je vais tenir des dossiers dignes de ce nom, par exemple. La seule différence, c’est que c’est écrit, qu’il
y a un protocole. C’est tout. Pour ce qui est du Code de déontologie, il contient des règles évidentes, fondamentales, que tout professionnel devrait appliquer.
L’encadrement de la pratique professionnelle passe aussi par l’inspection professionnelle. Elle fait peur à certains. Pourquoi ? Parce qu’on la perçoit sinon comme une coercition, du moins comme une contrainte désagréable. Pourtant, la plupart des commentaires que nous recevons chaque année sur l’inspection sont positifs. Les membres inspectés nous remercient très souvent de leur avoir fait des observations pertinentes, de leur avoir indiqué ce qui pourrait être amélioré. C’est de l’accompagnement, et non de la coercition.
Le deuxième axe est « Agir pour influencer par l’accentuation de la présence de l’Ordre et de celle de ses membres ». Il est beaucoup question de valorisation, dont on parle en fait depuis longtemps.
Nous voulons par cet axe accroître la présence de l’Ordre et de ses membres sur tous les fronts. Nous avons déterminé dans le précédent plan stratégique quelle était notre place, nous avons commencé à la prendre. Maintenant, au cours des trois prochaines années, nous voudrions occuper tout l’espace possible, dans les activités que nous organisons et dans celles que d’autres tiennent. Nous serons présents dans les médias, mais aussi dans les réseaux sociaux, sur notre fil Twitter, sur notre page Facebook, sur notre site Web. Tout cela va être complémentaire.
Pourquoi insister autant sur ce point ?
Il faut persuader nos membres. Oserai-je le dire ? Je ne suis pas certain que tous les traducteurs, terminologues et interprètes agréés sont personnellement convaincus de leur valeur. Beaucoup n’utilisent même pas leur titre. La mention « agréé » est pourtant importante, c’est ce qui nous distingue des autres ! Cela ne veut pas dire que nous sommes meilleurs, cela veut dire que nous offrons plus. Parce que nous acceptons d’être régis par le Code des professions et par une série de règlements, dont le Code de déontologie. Nous offrons une plus-value à nos clients, qu’il s’agisse du professionnalisme ou de la protection.
On entend souvent les traducteurs se plaindre de la conjoncture, notamment de la baisse des tarifs. Y a-t-il un lien avec la valorisation,
la perception de la valeur de nos professions ?
Nous mettons le pied sur un terrain glissant… Je pourrais m’en tirer en disant que cela ne fait pas partie de la raison d’être de l’Ordre, mais ce serait trop facile ! Évidemment, je ne suis pas dans le bureau de chacun des membres, je ne sais pas comment ils négocient avec leurs clients. Bien sûr,
il y a la concurrence mondiale, phénomène que nous ne connaissions pas il y a quelques années. Les cabinets d’ici sont en concurrence très vive avec les cabinets étrangers, américains notamment, qui exercent de fortes pressions à la baisse. Et si les cabinets d’ici obtiennent des tarifs moins élevés, cela se répercute sur les tarifs des pigistes !
Pour obtenir plus que son concurrent, il faut sortir du lot. J’ai moi-même, il y a quelques années, commencé à explorer la voie du rôle-conseil. Si
je résume grossièrement, il s’agit de devenir le partenaire de ses clients plutôt qu’un simple exécutant. Cela passe donc par la valorisation : être conscient de sa valeur comme partenaire d’affaires. Pourquoi ne serait-on pas les conseillers linguistiques de nos clients, par exemple ? À cet égard, l’Ordre publie, sur son site Web, des capsules destinées aux clients et au grand public afin de les renseigner sur nos rôles, pour qu’ils jettent un regard différent sur les traducteurs, les terminologues et les interprètes agréés.
J’aimerais aussi parler de notre présence accrue dans le système professionnel. La directrice générale et moi assistons à toutes les réunions du Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ) et, avec les membres de la permanence, nous participons à des forums et à des groupes de travail de cet organisme. Nous voulons intensifier notre présence là aussi, pour bien faire sentir notre influence. Quand j’entends d’autres professionnels dire qu’ils ne savaient pas qu’il existait un ordre réunissant les traducteurs, terminologues et interprètes agréés, ça me dérange. Nous allons donc faire en sorte d’être plus présents non seulement dans ce système, dont nous faisons partie, mais aussi à l’échelle locale, nationale et mondiale.
Le troisième axe est « Agir pour influencer par l’établissement d’une structure de gouvernance optimale ». Quel objectif cherche-t-on
à atteindre ici ?
La structure actuelle est lourde pour un petit ordre comme le nôtre. Nous comptons quelque 2 000 membres et avons un CA de 17 personnes. En raison du nombre d’administrateurs, nous sommes obligés de doubler le CA d’un comité exécutif, le CE, auquel la plupart des pouvoirs du CA sont délégués et qui prend des décisions entre les réunions du CA. D’une part, c’est très lourd. D’autre part, je pense que les membres du CA ont parfois l’impression de ne pas avoir de pouvoir décisionnel ou de manquer d’influence.
Ce que nous voulons faire, et c’est tout à fait dans la mouvance des ordres professionnels et encouragé par l’Office de professions du Québec, c’est réduire la taille du CA et apporter divers autres changements pour obtenir une structure à la fois transparente, efficace et efficiente. Nous voulons que les membres du CA se sentent concernés, sentent qu’ils ont une responsabilité et de l’influence.
Les membres ont-ils un rôle à jouer dans la mise en œuvre de ce plan stratégique ?
Tout à fait ! Comme je l’ai dit tout à l’heure, il faut une synergie si nous voulons atteindre nos objectifs. Nos membres doivent d’abord et avant tout
être conscients de leur valeur et influencer leur entourage, leurs clients, leur monde à eux. Et évidemment, tout cela – le plan stratégique, les plans d’action annuels – ne se met pas en place tout seul. Ça se fait avec des membres, dans des comités et des groupes de travail, d’où l’importance du bénévolat.
Un souhait pour 2017, quelque chose de concret, « la » chose à réaliser ?
Des souhaits, j’en ai plein ! Mais le plus grand, et je pense que c’est réalisable, c’est que l’OTTIAQ devienne, pour ses 25 ans, un incontournable pour le système professionnel, pour le monde des affaires, pour les médias. Nous pourrons alors dire que non seulement nous avons pris notre place, mais que nous avons de l’influence.