On parle depuis toujours de la nécessité de mieux faire connaître la valeur de la traduction et la profession de traducteur (ainsi que celles d’interprète et de terminologue, bien sûr). C’est en effet par cette reconnaissance que passe l’amélioration des conditions de travail de ceux et celles qui exercent cette profession. Et la mobilisation de toutes les forces en présence est essentielle.
En juin 1983, dans le premier numéro de Circuit, on pouvait lire ceci, tiré de l’allocution de clôture de Michel Plourde, président du Conseil de la langue française, au colloque intitulé Traduction et qualité de langue : « […] il faut souhaiter […] la reconnaissance et l’acceptation par tous du caractère professionnel de la traduction ».
Il est passé de l’eau sous les ponts depuis, et bien des progrès ont été réalisés. Cela dit, il reste beaucoup à faire.
Parmi les moyens envisagés pour accroître le caractère professionnel de la traduction, il y a, à une extrémité du spectre, la réserve d’actes, sujet de cette chronique dans le numéro précédent. Betty Cohen nous rappelait un illogisme déconcertant, soit que le public client des membres des autres professions, protégé tant qu’il travaille dans la même langue que le professionnel qui le sert, ne l’est plus dès qu’un acte de traduction entre en jeu.
À l’autre extrémité du spectre, à une étape de la vie du futur traducteur où il apprend à traduire, mais aussi à réfléchir au métier qu’il a choisi, un moyen de favoriser la reconnaissance ayant fait ses preuves fait défaut : l’émulation.
L’émulation est un sentiment qui porte à égaler ou à surpasser une personne en vertu, en mérite, en savoir ou en travail, notamment. Comme nous le savons, les professeurs ont souvent une grande influence sur la carrière de leurs étudiants. Au-delà des connaissances, ils transmettent bien souvent une passion du métier qui stimulera leurs étudiants et les portera tout au long de leur vie professionnelle.
Or, étrangement, très peu de professeurs et de chargés de cours qui enseignent dans les universités dont l’Ordre reconnaît officiellement les programmes de traduction en sont membres. Réal Paquette, trad. a., président de l’Ordre, a soulevé cet enjeu à plusieurs reprises, notamment dans Circuit à l’automne de 2012 puis à une réunion de l’Association canadienne des écoles de traduction en 2013. Selon lui, ce manque de mobilisation mine l’intérêt des étudiants envers l’Ordre alors que « [faire] partie de l’OTTIAQ, c’est se positionner comme un professionnel à part entière reconnu par ses pairs et par le public, et donc valoriser son titre, ce qui permet d’exiger des conditions d’exercice dignes d’un professionnel, qu’on soit travailleur autonome ou salarié, débutant ou chevronné, et ça doit commencer quand on est jeune1 ».
Les finissants en traduction devraient être fiers d’entrer dans la grande famille des traducteurs au sein de l’Ordre. C’est quand on est fier de ce qu’on fait qu’on comprend toute l’importance de faire reconnaître sa valeur, et c’est par le regroupement qu’on peut mener ce combat pour nous-mêmes et pour ceux et celles qui nous suivent. Avec tous les avantages que cela comporte : faire partie du regroupement de langagiers le plus nombreux au Canada et pouvoir profiter de l’expérience de traducteurs, de terminologues et d’interprètes chevronnés, notamment par le mentorat et la formation. Qui peut douter de la « force de frappe », « du poids » ou « de l’influence » des comptables professionnels agréés du Québec, dont le tout nouvel ordre compte 36 000 membres (ils seront sous peu 180 000 membres et 36 000 candidats à la profession sous le titre CPA et au sein de CPA Canada) ?
S’il est un lieu où théoriciens et praticiens de la traduction peuvent se réunir autour de leur intérêt pour leur profession, c’est bien l’Ordre. Cette fierté que ressentent les professeurs et chargés de cours à faire partie de la grande communauté universitaire, ils doivent la faire partager à ceux à qui ils dispensent leur savoir. Les universités, de leur côté, doivent être fières de décerner un diplôme à de futurs membres d’un ordre professionnel. Ne devraient-elles pas, d’ailleurs, encourager le personnel enseignant en traduction à y adhérer ?
On parle depuis toujours de la nécessité de mieux faire connaître la valeur de la traduction, et depuis longtemps de l’espoir de voir les professeurs et les chargés de cours y contribuer davantage en montrant l’exemple. Chaque année, de jeunes traducteurs et de nombreux finissants soutenus par des mentors franchissent les portes de l’Ordre. Rappelons que celles-ci sont aussi ouvertes à ceux qui les ont formés.
Ne sous-estimons pas l’influence de l’union et de l’inspiration dans la reconnaissance.
1 OTTIAQ, Circuit, numéro 117, automne 2012, p. 7