Imprimer
Partage :

Quand la traduction et la localisation évoluent ensemble

Philippe Caignon, terminologue agréé et traducteur agréé

À la fin des années 1990 et au début des années 2000, la localisation avait le vent dans les voiles et semblait naviguer vers les lointains rivages de presque toutes les langues et cultures du monde, afin de promouvoir des produits et des services adaptés aux besoins d’une clientèle internationale hétérogène. Comme jeune professionnel, je me posais la question suivante : n’est-ce pas ce qu’a toujours fait la traduction? En fait, je me demandais qu’elle était la véritable différence entre localisation et traduction.

C’est ainsi que j’ai découvert le nouveau paradigme que la technologie commençait à imposer aux langagiers. L’avènement de l’internet, l’engouement des adolescents pour les jeux vidéo, les balbutiements du commerce en ligne, l’apparition des sites web d’entreprises, les attentes envers les téléphones portatifs, entre autres choses, allaient exiger non seulement la traduction de nombreux documents mais aussi leur adaptation aux cultures locales. Finis le français, l’espagnol et l’anglais internationaux! Une langue uniformisée ne convenait plus. Bienvenue, français du Québec, espagnol du Mexique, anglais de la Nouvelle-Zélande! Les langues-cultures exprimées dans toute leur diversité « prenaient du galon ». Le marché de la traduction allait croître de façon substantielle, car les traductrices et les traducteurs étaient appelés à se spécialiser dans des niches linguistiques et culturelles spécifiques.

Bien entendu, la technologie influait également sur l’exercice de la traduction. En effet, les outils d’aide à la traduction devenaient de plus en plus séduisants pour répondre à la demande mondiale croissante. En plus de garantir une productivité accrue, la technologie donnait l’occasion aux langagiers de participer à la conception d’un produit ou d’un service dès le départ. La place des langagiers dans le processus de création et de promotion allait ainsi bouger de l’aval vers l’amont, rendant possible la résolution des problèmes d’espace trop court ou de présentation figée. Enfin, c’est ce qui se serait passé dans un monde idéal…

Notre monde n’est toutefois pas idéal. Je me souviens des nombreuses plaintes contre les premiers gestionnaires de projets de traduction. Ces personnes qui avaient fait des études en comptabilité, en informatique ou encore en marketing n’avaient souvent aucune formation en traduction. Elles ne connaissaient pas les types de difficulté auxquels leurs langagiers devaient faire face, elles ignoraient qu’il fallait effectuer des travaux terminologiques de pointe pour traduire un document, elles ne savaient pas qu’il fallait entreprendre des recherches culturelles poussées et validées pour garantir l’acceptabilité locale d’un texte. En conséquence, elles sous-estimaient le temps devant être alloué à un projet. Combien de mes collègues m’ont confessé leurs angoisses! Avec le temps, la situation s’est améliorée, et de très nombreux gestionnaires ont à présent des diplômes reconnus en traduction. Ces administratrices connaissent la nature des obstacles qui doivent être franchis avant de parvenir au but : une traduction, une localisation de qualité. Par conséquent, elles savent s’adapter aux situations délicates et répondre aux imprévus; mais surtout, elles comprennent le vécu professionnel de celles et de ceux qu’elles gèrent.

La localisation a transformé la traduction en profondeur. À mesure que les outils qui lui étaient associés ont été adoptés par les entreprises, les cabinets et les travailleurs autonomes, que les marchés mondiaux se sont ouverts et que la concurrence s’est internationalisée, la frontière entre la localisation et la traduction s’est effacée. Les deux disciplines ont alors fusionné. En fait, l’avènement de la localisation a marqué le début de la traduction 2.0 : mondialisée, informatisée, expéditive et productive. A posteriori, il s’agissait d’un phénomène professionnel important pour les langagières et langagiers, mais personne n’en avait encore conscience.

Et c’est justement dans le but de nous faire prendre conscience de l’évolution de la traduction, évolution influencée par la localisation, que Stéphan Gervais et ses auteurs nous présentent la transcréation! S’agira-t-il de la traduction 3.0?


Partage :