Imprimer
Partage :

L’éthique dans l’enseignement de la traduction 

Les enseignantes* à qui on demande si elles ont été confrontées à des questions éthiques dans le cadre de leurs fonctions ont tendance à hésiter, ou à répondre par la négative. Cela donne à penser que les concepts d’« éthique » et d’« enjeu éthique » ne sont pas bien connus ou compris.

Par Alexandra Hillinger

Selon le Service de soutien à l’enseignement de l’Université Laval, l’éthique est « une réflexion critique sur des conduites, des valeurs et des normes que se donne une société ou un groupe pour guider et réguler ses actions [ainsi qu’un] processus réflexif exigeant une autonomie de jugement du sujet ». La réflexion éthique exige donc d’abord qu’on prenne du recul afin d’éviter les réactions spontanées, guidées par les automatismes et les normes intériorisées, de manière à cerner les règles, les obligations, les circonstances, les attentes et les acteurs en cause dans une situation donnée, puis qu’on établisse les risques et les conséquences des différentes options possibles; c’est ainsi qu’on sera en mesure de justifier les décisions en fonction de leur acceptabilité et de leur caractère raisonnable. En effet, agir de façon éthique ne signifie pas qu’on applique automatiquement des normes ou des règles, ni qu’on établisse ou mette en pratique des politiques qu’on croit valables dans tous les contextes. 

La même source précise qu’un enjeu éthique se manifeste dans toute situation concrète qui soulève un questionnement sur ce qui est bien ou mal, juste ou injuste, ou encore, ce qu’il est approprié ou non de faire. L’enjeu éthique ne se limite donc pas à un dilemme, à un conflit de valeurs ou à une lutte entre des personnes (même s’il peut en effet prendre cette forme). Lorsqu’une enseignante est confrontée à un enjeu éthique, elle se pose probablement les questions suivantes : dans cette situation quels sont les enjeux? quelle est la bonne chose à faire? comment être juste envers l’étudiante, mais également envers les autres étudiantes, les collègues et l’institution? 

L’éthique non pédagogique

Demandons-nous à présent quelles situations exigent des décisions éthiques. Il faut d’abord noter que certains événements susceptibles de créer un malaise sont de nature générale, alors que d’autres sont propres à l’enseignement de la traduction. Pour ce qui est des questions générales, il peut par exemple s’agir de répondre à une étudiante qui demande un délai pour la remise d’un travail, de décider s’il est pertinent de discuter avec les collègues des difficultés rencontrées avec certaines étudiantes, de savoir s’il est judicieux de côtoyer les étudiantes à l’extérieur de l’université ou de déterminer les critères d’attribution des contrats d’aide à la correction. 

En effet, doit-on attribuer un contrat de correction en fonction du niveau d’avancement dans le programme d’études ou en fonction des connaissances et compétences particulières de l’étudiante? Par exemple, laquelle des deux étudiantes suivantes devrait se voir offrir un contrat d’aide à la correction dans le cadre d’un cours de révision : une étudiante en troisième année de doctorat connue pour ses qualités de rédactrice ou une étudiante au mémoire ayant un travail à temps partiel comme correctrice d’épreuves dans une maison d’édition? Est-il plus juste de privilégier une étudiante au doctorat ou d’offrir le contrat à une personne à la maîtrise qui a une expérience professionnelle connexe? En fait, il n’y a ni bonne ni mauvaise réponse. Les compétences éthiques dans cette situation nous amèneront à prendre du recul afin de bien évaluer les particularités, les avantages et les inconvénients des différentes options et, à la lumière de cette réflexion, à prendre la décision avec laquelle on est le plus à l’aise et qu’on sera en mesure d’expliquer et de justifier.

Pour une éthique de l’évaluation

Les enseignantes de traduction sont également confrontées à des situations propres à ce domaine d’études. Le premier enjeu est probablement celui de l’objectivité de la correction. Il s’agit en effet d’un thème récurrent dans les échanges entre collègues. Il existe bien sûr de bonnes et de mauvaises traductions, mais la correction fait nécessairement intervenir la subjectivité et le jugement critique. Rares sont les questions précises sur le modèle « Nommer les types d’erreurs de sens ». On est confronté à des textes où il y a autant de manières de rendre le sens qu’il y a de personnes dans la classe. Comment par exemple décide-t-on si on est en présence d’un faux-sens ou d’un glissement de sens, le cas échéant? « Blackberry ice cream » traduit par « crème glacée aux bleuets » est-il un faux-sens ou un contresens? « Bleuets » n’est pas le contraire de « mûres », mais construit une image totalement différente. Il demeure malgré tout aisé de défendre l’identification d’un contresens et la perte de points associée, et beaucoup d’enseignantes conviendront que l’important, c’est la constance dans la correction. Cela dit, il est parfois plus délicat de traiter des questions de forme et de style. En effet, démontrer qu’une formulation est maladroite demande doigté, fermeté et arguments bien ficelés. La correction est sans contredit une tâche essentielle et l’éthique y occupe une place prépondérante. Prendre du recul pour évaluer si une proposition est fondée et pour trouver une bonne façon de l’expliquer sera toujours le gage d’un enseignement de qualité. 

* Comme les femmes sont très majoritaires dans le corps professoral et la population étudiante en traduction, le texte est rédigé au féminin.

Alexandra Hillinger est professeure adjointe au département de langues, linguistique et traduction de l’Université Laval. 


Partage :