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Témoignage

Une vie guidée par quatre grandes langagières

Par Philippe Caignon, terminologue agréé et traducteur agréé

Nous avons toutes et tous connu de ces personnes qui ont marqué notre vie, certaines ont eu une influence constructive sur nous, d’autres moins. Au cours de mes études universitaires et de ma carrière, j’ai eu la chance de croiser le chemin de quatre langagières exceptionnelles qui ont aussi bien contribué à mon épanouissement professionnel qu’à mon développement personnel.

Louise LeBlanc : disponibilité pédagogique

Chargée de cours à l’Université de Montréal, Mme Louise LeBlanc m’a appris l’écoute et la disponibilité pédagogique. Je me souviens du premier cours de traduction médicale et pharmaceutique que cette grande pédagogue donnait : les objectifs étaient clairs et les attentes précises. Mais, dans le cadre de ce cours, se familiariser avec les myriades de sources spécialisées constituait un défi de taille… Surtout dans les années 1980, avant l’avènement de l’internet. En conséquence, le lendemain, soucieux de bien connaître ces sources, je me précipitais à la bibliothèque des sciences de la santé où je rencontrais par hasard Mme Leblanc entre deux rangées de livres. Après des salutations courtoises, je prévoyais explorer la bibliothèque en laissant ma professeure tranquille. Or, tel ne fut pas le cas. En effet, dans un élan de générosité et de disponibilité pédagogiques sans précédent, Mme Leblanc me proposa de me faire visiter la bibliothèque et de me faire connaître chaque revue, livre, dictionnaire et encyclopédie que recelait ce lieu. La visite dura trois heures. Trois heures qui changèrent mon existence : j’avais eu l’insigne honneur d’être guidé par l’une des personnes les plus compétentes, ouverte d’esprit et patiente que j’avais connue. J’en fis un exemple à suivre et me dis que si un jour j’étais appelé à enseigner, je lui ressemblerais.

Amal Jammal : grandeur et humilité

Professeure à l’Université de Montréal et directrice de mon mémoire de maîtrise en terminologie, Mme Amal Jammal s’est révélée être un modèle de grandeur et d’humilité professionnelles à toute épreuve, et ce, même si la réputation phénoménale de cette universitaire aurait pu alimenter chez elle un orgueil sans pareil. En effet, la réputation de Mme Jammal était phénoménale. Selon la rumeur qui circulait dans les milieux étudiants, toute personne ayant suivi un cours de traduction médicale et pharmaceutique donné par Mme Jammal se voyait offrir un emploi sans examen par les entreprises pharmaceutiques, le nom Jammal garantissant la compétence de la postulante. Mme Jammal rayonnait de connaissances. L’écouter enseigner en classe était une expérience unique : la précision de ses énoncés et la clarté de ses explications engendraient en moi un émerveillement scientifique continu et nourrissaient mon cerveau de moult concepts nouveaux. C’est ainsi que Mme Jammal m’a inspiré à rester à jour en pédagogie et en terminologie. Mais surtout, elle est la personne qui m’a invité à m’inscrire aux études doctorales pour devenir professeur d’université, ce à quoi je n’avais jamais pensé auparavant. Elle est la raison même de ma carrière universitaire, et je lui voue un respect absolu.

Louise Brunette : persévérance et résilience

Dans les années 1980, Mme Louise Brunette était chargée de cours à l’Université de Montréal. Elle enseignait la révision anglais-français. Il s’agissait d’une matière peu appréciée des étudiants d’alors, car elle était difficile à maîtriser. En outre, Louise – je l’appelle Louise puisque nous avons été collègues dans la même université – avait la réputation d’être une professeure très sévère, mais juste – deux qualités que je recherchais en priorité chez mes enseignants. En plus de m’apprendre la révision, discipline fort utile quand on est éducateur, cette formidable traductrice, réviseure et terminologue m’a montré à faire face aux aléas de la vie professionnelle et personnelle avec dignité. La démarche intellectuelle que m’a présentée Louise et le souci du détail linguistique qui en découle me guident chaque jour dans l’exercice de ma profession. Par ailleurs, la force de caractère et la recherche de justice permanente qui définissent la personnalité de Louise m’inspirent à aller au fond des choses, à ne pas me laisser démoraliser par les événements difficiles et à rester optimiste en tout temps. Bien sûr, je me dois de mentionner que, sans Louise, je n’aurais jamais postulé à l’Université Concordia, où je travaille actuellement depuis presque 21 ans. C’est Louise en effet qui m’a fait connaître cette institution et qui m’a expliqué en détail ses rouages administratifs… Comme quoi l’adage universitaire est vrai : professeure un jour, professeure toujours.

Betty Cohen : inspiration professionnelle

J’ai d’abord connu Betty par ses écrits. En effet, durant mes études au baccalauréat en traduction, j’ai dû acheter son Lexique de cooccurrents bourse – conjoncture pour réussir un cours de traduction économique. L’anecdote peut sembler anodine, mais il n’en est rien. Elle est d’une importance capitale dans ma vie : ce livre est la raison pour laquelle j’ai poursuivi mes études en maîtrise, car sa consultation régulière m’a dévoilé le caractère essentiel de la terminologie dans l’exercice de la traduction. J’ai ainsi voulu être terminologue et effectuer des recherches terminologiques servant les traductrices et traducteurs, tout comme Betty l’avait fait avant moi. Betty était devenue le modèle professionnel que je devais suivre. À mes yeux, elle était un monstre sacré, une sommité de la traduction et de la terminologie. De fait, quand je l’ai vue la première fois, j’étais tellement ému que mes paroles incohérentes de salutation n’ont pas dû l’impressionner. Plus tard, quand Betty a accepté de prendre la direction du magazine Circuit, ma joie de la voir régulièrement n’avait d’égale que ma terreur de lui parler… régulièrement. Par bonheur, la simplicité et la bonté de Betty ont réussi à apaiser mes angoisses. Quelques années plus tard, lorsque Betty m’a invité à suivre ses traces comme rédacteur en chef de Circuit, tâche qu’elle accomplissait avec brio, je me suis posé une seule question : comment peut-on succéder à Betty Cohen? Par chance, les nombreux conseils prodigués par cette extraordinaire traductrice et l’appui indéfectible du comité de rédaction du magazine m’ont conforté dans mes fonctions.

En fin de compte, je ne peux exprimer avec justesse toute l’admiration et la reconnaissance que j’éprouve pour ces quatre femmes exceptionnelles qui ont non seulement changé le cours de ma vie de manière prodigieuse et inattendue, mais qui ont aussi guidé mes pensées ainsi que mes actions en me démontrant hors de tout doute que les véritables grandes personnes de ce monde sont intelligentes, compétentes, travaillantes, résilientes, compréhensives, simples et humbles.

 


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