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Travailler dans le jeu : la relève en localisation vidéoludique

Quelques entreprises de localisation vidéoludique se répartissent les contrats de traduction de jeu vidéo au Québec. Circuit a eu l’occasion de discuter avec Mathilde Beaudin, spécialiste linguistique aux Keywords Studios Montréal. Diplômée d’une maîtrise en traduction de l’Université Concordia depuis 2020, Mathilde nous décrit son parcours et son quotidien en tant que professionnelle. 

Propos recueillis par Ugo Ellefsen

Circuit : Tout d’abord, quel est votre parcours, quelle formation avez-vous reçue? 

Mathilde Baudin : Je suis traductrice dans le domaine des jeux vidéo depuis maintenant deux ans, plus précisément en tant que Spécialiste linguistique de la langue française. Depuis très jeune, je suis fascinée par les langues et l’échange entre les cultures rendu possible par la traduction. J’ai fait un baccalauréat littéraire et une licence d’anglais en France (équivalents à un DEC et à un baccalauréat au Québec) où j’ai pris goût à la traduction entre l’anglais et le français. Après avoir obtenu ma licence, j’ai décidé de poursuivre mes études en traduction à l’Université Concordia, à Montréal. On y proposait une maîtrise professionnelle où aucun mémoire de recherche n’était requis, ce qui me correspondait tout à fait, car je préférais conclure mon diplôme par des stages et une découverte du monde professionnel plutôt que par la production d’un travail de recherche.

C. : Quel est votre rapport avec la traduction dans le domaine des jeux vidéo ou du divertissement en général ?

M. B. : J’ai pu toucher à un peu tous les formats de traduction possibles au cours de ma formation universitaire (sous-titres de films, textes littéraires, documents économiques et techniques, etc.). Je me suis rendu compte que la traduction qui m’intéressait le plus était la traduction dans le domaine du multimédia (sous-titrage vidéo et légendes d’images marketing, notamment). Étant avide de jeux vidéo depuis toute petite, j’ai naturellement choisi de traduire du contenu vidéoludique.

C. : Comment avez-vous intégré l’industrie de la localisation vidéoludique ?

M. B. : Au cours de ma maîtrise à l’Université Concordia, j’ai obtenu un stage où l’objectif était de traduire un jeu vidéo pour une compagnie indépendante. Cela m’a confirmé que ce secteur était celui dans lequel je m’épanouissais le plus. 

Par la suite, mon directeur de stage m’a parlé d’un poste de spécialiste en localisation disponible aux Keywords Studios Montréal. J’ai envoyé mon CV, et on m’a renvoyé un test que je devais faire dans les plus brefs délais, test qui touchait plusieurs aspects de la traduction et de la terminologie que je devais maîtriser. J’ai réussi ce test, on m’a contactée pour une entrevue, et j’ai décroché le poste.

C. : Parlez-nous d’une journée de travail typique dans votre rôle de localisatrice de jeu vidéo.

M. B. : Je travaille huit heures par jour, de 9 h à 17 h 30 en incluant ma pause déjeuner, à domicile depuis le début de la pandémie. Bien que le contenu varie, chaque journée est structurée de la même manière. Nous recevons chaque matin un courriel de nos directeurs de projet avec le détail de nos tâches quotidiennes : type de tâche (traduction, révision, etc.), projet concerné, nombre de mots nouveaux à traduire, date ou heure limite à laquelle on doit remettre le projet. En ce qui me concerne, je travaille pour un seul client de l’entreprise et je traite beaucoup de contenu différent pour lui (les jeux en tant que tels, le marketing, la communication client, le site web, etc.). En moyenne, je traduis entre 300 et 400 mots ou révise à peu près 800 mots par heure, selon la complexité du projet. Les tâches que nous recevons sont très variées, allant de 8-10 mots à parfois plus de 9000, avec bien évidemment un délai adapté. Tout ce qui concernera les jeux en tant que tels sera plus poussé, avec une date limite en conséquence.

Je fais partie d’une équipe multilingue assez nombreuse où chaque personne s’occupe d’une langue en particulier. Pour plusieurs projets, je traduis et révise seule, mais il arrive aussi que je travaille en binôme avec des traducteurs indépendants, des testeurs et d’autres linguistes pour certains gros projets.

C. : Selon vous,  votre formation a-t-elle été adéquate pour exercer votre métier actuel?

M. B. : Dans l’ensemble, je trouve que ma formation était adaptée à mon emploi actuel. Dans le cadre de mes cours universitaires, j’ai appris à traduire, à faire des recherches terminologiques et à adapter le ton et le niveau de traduction pour le public cible. Lorsque j’ai reçu le test d’entrée pour mon poste, j’ai été agréablement surprise de constater que je connaissais tous les exercices que l’on me demandait de faire, car je les avais déjà vus dans mes divers cours.

Ma seule réserve est que j’aurais aimé une utilisation plus poussée des logiciels de traduction tout au long du parcours. Nous avions un cours spécialisé pour découvrir quelques-uns des logiciels parmi les plus connus, mais dans la majorité des cours pratiques, le travail se faisait sur Word, voire sur papier pour les examens. Cela ne reflète pas la réalité du monde professionnel, où on doit utiliser un outil de traduction pour absolument tous les projets. J’aurais aimé passer tous mes cours pratiques de traduction sur des outils de ce genre.

C. : Quels conseils donneriez-vous à une jeune langagière ou un jeune langagier qui voudrait travailler dans l’industrie de la traduction vidéoludique?

M. B. : Premièrement, il ne faut pas avoir peur de faire de longues journées intenses. Le monde des jeux vidéo ne dort jamais, et il en va de même pour le travail qui y est associé. Si on travaille en tant qu’indépendant, certaines semaines seront tranquilles, mais on peut soudainement recevoir énormément de contenu à traduire dans des délais serrés. Il est donc important de connaître ses capacités, la quantité de mots qu’on peut fournir, et de bien savoir gérer son temps.

Ensuite, il faut être curieux. Aimer les jeux est évidemment un premier pas, mais comprendre le vocabulaire de base est un atout pour se démarquer. Même sans forcément en connaître la traduction, savoir expliquer ce qu’est un buff ou du loot, et comprendre comment fonctionne un FPS ou un MMORPG ne peut qu’être bénéfique. Vous serez probablement amenés à travailler à un type de jeu que vous n’affectionnez pas particulièrement, où que vous ne maîtrisez pas vraiment, au cours de votre carrière, alors mieux vaut être préparé. Et qui sait, vous pourriez peut-être y prendre goût.

En parallèle, ne négligez pas les langues autres que vos langues premières et saisissez toute les occasions de vous améliorer. Vous n’imaginez pas le nombre d’offres que je vois passer pour des langues autres que l’anglais et le français! Alors si vous parlez espagnol, chinois, russe, arabe… améliorez-vous au maximum, cela pourrait vous ouvrir des portes. 

Enfin, portez une attention particulière aux annonces, sur le site même des entreprises de localisation ou tout simplement sur LinkedIn. Je sais qu’à Montréal, beaucoup d’offres sont disponibles directement sur ces plateformes pour des entreprises clés du domaine. Soyez à l’affût!


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