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Notes et contrenotes

Un catalan collègue

Eve Renaud, trad. a.

C’est fou ce que le Québec et la Catalogne ont en commun ! Une volonté (ou velléité) d’indépendance, un artiste appelé Jordi Bonet (celui de la murale du Grand Théâtre de Québec et d’autres sculptures-murales du métro de Montréal d’une part, et l’actuel architecte de l’éternel chantier de la Sagrada Familia d’autre part). Les deux langues ont un paquet de lettres muettes (le « t » de setmana et le « c » de doncs, à l’instar du premier « e » de « s’maine » et du « c » de « donc », dans « t’es donc ben fine ») et des lettres qui ne se prononcent pas du tout comme on s’y attend, dont la liste me ferait dépasser l’espace dont je dispose pour ce billet. Nous partageons également la manière de râler contre le temps inclément : fa fred ! et ’fa frette ! se prononcent en effet exactement de la même façon. Nous veillons à la défense d’une langue assiégée par un géant multinational et, vu la proximité de l’assiégé et de l’assiégeant, nous vivons dans un monde de traductions.

Justement, dans l’édition du 17 avril 2014 d’el Periódico, je suis tombée sur un article d’Enrique De Hériz, auteur, chroniqueur et traducteur catalan, qui parlait… de traduction.

Voici d’ailleurs l’occasion de souligner une chose fascinante : on trouve dans la province de Barcelone au moins deux quotidiens publiés en versions parallèles, l’une en castillan et l’autre en catalan. Il s’agit de La Vanguardia et d’el Periódico, qui comptent chacun une bonne soixantaine de pages.

De Hériz, donc, écrit que le traducteur, connaissant au moins une langue étrangère, lit moins de traductions que le lecteur qu’il dit normal.
Il attribue à ce paradoxe la survivance d’une vision surannée de ce que signifie bien écrire. C’est un peu raccourci, mais je suppose qu’à ses yeux, le traducteur, lisant moins de traductions, n’a pas conscience des travers qu’on y trouve. Si l’on n’y prend garde, prévient-il, le lecteur « [traduction] qui passe des heures plongé dans des traductions se trouvera enfermé dans un monde à part, totalement coupé de la langue réelle, un univers où tout un chacun dévale les escaliers au lieu de les descendre […] et où les choses produisent des résultats quand, tout simplement, elles fonctionnent ; un territoire fantastique où, après avoir placé tous ses adjectifs devant le nom, le traducteur, j’imagine, sourit intérieurement et jette des regards à la dérobée1 ».

Je ne sais pas si de Hériz a traduit son propre article et, le cas échéant, dans quelle langue il l’a d’abord écrit. Selon Wikipédia, en tout cas, le journal est traduit du castillan au catalan. Je note toutefois que, dans l’une et l’autre versions de l’article, il est question de « notre langue ». On ne sait donc pas de laquelle des deux il s’agit et on peut supposer que les deux souffrent de cette même emphase qu’il impute aux traducteurs. Quitte à invoquer comme circonstance atténuante, avec une certaine amertume précise-t-il, le salaire de misère que le traducteur tire de son travail et qui conditionne la rigueur dont il fait preuve… ou non.

Sur le plan du salaire et de ses effets, en tout cas, j’espère que nous sommes résolument différents !

  1. http://www.elperiodico.cat/ca/noticias/oci-i-cultura/abstrets-regne-part-3251948
    et
    http://www.elperiodico.com/es/noticias/opinion/enfrascados-en-un-reino-aparte-3251948

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