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L’accent de la gravité


L’important, c’est l’accent, assurait naguère un slogan créé pour une sauce en boîte ou en bocal, il me semble. Même Google, qui se « souvient » de Jato et de la mère Denis, a oublié cette publicité. Si moi je l’ai retenue, c’est sans doute parce que, depuis les années 1980, on m’adresse questions et reproches sur la séquestration de l’accent qui devrait, dit-on, coiffer ma première initiale.

Je date d’avant l’ordinateur grand public. Je remonte à une époque où l’on utilisait une Remington – on ne parlait même pas encore de « vieille Remington », c’est dire – sorte d’appareil de torture en fer forgé, qui exigeait des efforts surhumains pour la moindre lettre. Le doigt que la maladresse faisait glisser entre deux touches était condamné à l’écorchement. Bien entendu, il fallait littéralement redoubler d’effort pour frapper les deux touches nécessaires à la production d’une minuscule accentuée. Par ailleurs, les touches de l’accent grave et de l’accent circonflexe plaçaient l’accent tout juste assez haut pour coiffer une minuscule. Par conséquent, aucune majuscule accentuée n’était possible, outre le « É » qui disposait d’une touche réservée. Je connais pourtant des Elizabeth et des Elise de mon âge qui ne s’en sont jamais prévalues.

Puis advinrent l’ordinateur et les claviers qui permettaient les majuscules accentuées, après quelques années de valeureux efforts pour mémoriser les codes ASCII permettant de produire des majuscules avec tildes, umlaute, ogoneks et pontets, soukoun, esprits rudes et crampons, qu’ils fussent souscrits, suscrits ou adscrits. Certes, les majuscules accentuées sont très utiles pour clarifier les classiques du genre IL EST INTERNE A L’ASILE, et je vous fais grâce des exemples de confusions cocasses qu’entraîne l’omission d’un fatha, d’un candrabindu ou d’une mouette basse (qui sont aussi, comme chacun sait, des diacritiques).

Fort des progrès de l’informatique, l’OLF, qui se contentait alors de trois lettres (je le précise à l’intention de nos jeunes lecteurs qui risqueraient autrement de me reprocher cette autre prétendue omission), décida donc, en 1980, de recommander, sinon normaliser, l’ornementation diacritique des majuscules. La recommandation figurait sans doute sur La Disquette linguistique, offerte en formats 3½ et 5½, mais vous n’avez peut-être plus votre exemplaire.

Je me suis volontiers pliée à cette recommandation partout où moi aussi je la jugeais nécessaire. Toutefois, j’ai divergé et je diverge encore obstinément sur une seule lettre : ma première initiale. En 1980, j’écrivais déjà mon prénom sans accent depuis nombre d’années et j’ai donc décidé de m’opposer à cet OLF qui me débaptisait d’office. Je suis devenue résolument critique plus que diacritique. J’ai poussé la résistance jusqu’à l’héroïsme : j’ai supporté la perte d’un point par travail et par examen infligée par un professeur d’université qui s’entêtait grave à propos de l’accent du même nom sur le mien et soulignait chaque fois ce dernier de trois traits rouges. Il m’accusait de dénaturer un prénom aussi primordial. Preuve de mon stoïcisme : lui s’appelait Joly et je ne lui ai jamais rien reproché à cet égard.

J’ajouterai que mon abnégation diacritique est également teintée d’écocivisme : vous imaginez la quantité d’encre dont j’ai évité le gaspillage depuis toutes ces années ? Je sacrifie volontiers un accent qui n’est pas tonique pour que la Terre le devienne chaque fois davantage. Je m’écrirai et m’écrierai toujours de même : sans accent !

Mais pourquoi diable vous raconté-je tout ça… ? Ah, oui : je voulais vous inviter à profiter du fait qu’Internet accepte désormais « les noms de domaine qui contiennent un ou plusieurs caractères non-ASCII, comme les caractères accentués du français ». Bon ben, il ne me reste plus qu’à vous aiguiller vers l’intéressant billet de La Boîte à mots qui traite de la question.


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