Dans leur présentation du dossier de ce numéro de Circuit, Maria Ortiz Takacs, traductrice agréée, et Julian Zapata, traducteur agréé, proposent aux lectrices et aux lecteurs un voyage exploratoire de la traduction, et plus particulièrement de la formation en traduction dans différents pays.
Quelle idée merveilleuse que d’accomplir un tel voyage de par le monde pour découvrir des horizons uniques et de revenir enrichi∙e∙s de connaissances et d’expériences inestimables! Ainsi, comme l’exprime si bien Joachim du Bellay dans son sonnet1 :
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme celui-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d'usage et raison
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
On peut en effet apprendre tellement de leçons en observant, en communiquant et en interagissant avec des personnes provenant d’autres lieux ou ayant des points de vue différents des nôtres.
D’ailleurs, les langagières et langagiers devraient voyager régulièrement pour s’initier aux moultes réalités qui façonnent l’expérience humaine. Rien de mieux que le contact direct avec l’Autre pour apprécier sa langue, sa culture et ses valeurs. Ennobli de respect et d’humilité, le cheminement devient alors un moyen essentiel pour se ressourcer en connaissances indispensables dans le but d’exercer la traduction, l’interprétation, la terminologie, la rédaction technique et la révision avec une compétence accrue.
Bien entendu, on parle ici de compétence par apprentissage expérientiel. Il ne s’agit pas d’un apprentissage acquis sur les bancs d’école, mais bien d’un apprentissage dont on ne parle que rarement : l’apprentissage par le vécu. Plus le vécu est constitué d’expériences diverses, plus il est riche de renseignements et d’enseignements. Le proverbe le dit : « les voyages forment la jeunesse »… En fait, ils forment toute personne, jeune ou mûre, qui avance hors des frontières qui lui sont familières.
Voyager, c’est aller à la rencontre de l’Autre, c’est chercher à connaître et à reconnaître l’Autre, autant qu’on cherche à se connaître et à se reconnaître. Dans ce cheminement, on est appelé à s’interroger sur ses valeurs, à revoir ses intérêts, à forger son discernement, à développer un esprit critique ouvert au monde et non pas refermé sur soi. On est alors en mesure de distinguer ses propres pensées de celles qui nous sont inculquées par la société dans laquelle on vit, de dépasser les préjugés que l’on a acquis sans s’en rendre compte et de percevoir chaque personne, chaque nation, comme un joyau fabuleux et inestimable.
En explorant le monde pour sciemment goûter à tout ce qu’il offre, on perfectionne ses outils mentaux et on en acquiert de nouveaux. Ces outils peuvent se révéler fort utiles pour les professions langagières. Ils permettent de relayer avec davantage de précision, de conviction et de justesse les messages que l’on doit transférer ou rédiger dans une langue-culture autre. En effet, lorsqu’on comprend non seulement le texte mais aussi les subtilités du contexte dans lequel un document a été rédigé, on peut le rendre avec une justesse remarquable.
Aller vers l’Autre est donc autant une source de plaisirs personnels qu’un investissement essentiel rapportant de nombreux bénéfices. D’ailleurs plusieurs entreprises de localisation ont déjà envoyé une partie de leur personnel en voyage de formation à l’étranger pour des fins de mise à jour de leurs connaissances linguistiques et culturelles.
Pour ce qui est des pigistes et autre travailleuses et travailleurs autonomes, on est en droit de se poser la question suivante : les frais liés à tous leurs déplacements à l’étranger ou vers une autre province devraient-ils être déductibles de leurs revenus, et ce même si les voyages en question se déroulent pendant la période de vacances officielle? Si la pertinence de ces déplacements pour l’exercice de leur profession est démontrée sans conteste, cela devrait aller de soi. Visiter un territoire dont l’une des langues parlées correspond à une langue qu’on maîtrise et qui fait partie des langues de travail régulièrement utilisées dans le cadre de ses fonctions langagières peut révéler la volonté de mettre à jour ses compétences linguistiques et culturelles professionnelles. Il s’agit alors d’une formation professionnelle différente, mais importante et justifiable.
1) Du Bellay, J. (1558) Les regrets. Imprimé par Fédéric Morel, Paris, France.