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Le mentorat dans tous ses états

Par Isabelle Veilleux, traductrice agréée
Les membres de l’OTTIAQ qui ont obtenu leur agrément au siècle dernier connaissent-ils le programme de mentorat tel qu’il existe aujourd’hui? Il faut dire que le programme a bien changé récemment. En effet, jusqu’en 1998, pour devenir traducteur ou traductrice agréée, il fallait réussir un examen, mais cette année-là, l’Office des professions du Québec, qui chapeaute les ordres professionnels québécois, a exigé le retrait de l’examen, lequel devait être remplacé par une étude de dossier. Dans la foulée de cette nouvelle méthode d’agrément, l’Ordre a ajouté un programme de mentorat de six mois à l’exigence d’un diplôme reconnu. Ainsi, toute personne qui souhaitait obtenir l’agrément devait soit être diplômée en traduction et suivre un mentorat de six mois, soit faire la preuve de deux années d’expérience pertinente (équivalence du mentorat). Le programme s’adressait alors uniquement aux travailleuses et travailleurs autonomes, mais une dizaine d’années plus tard, le mentorat a été élargi pour englober les langagières et langagiers travaillant en entreprise. Comme, dans leur cas, certains aspects du travail global étaient exclusivement du ressort de l’employeur (gestion des projets et des dossiers, conservation des dossiers, notamment), il a fallu adapter les activités examinées jusque-là dans le cadre du mentorat et restreindre ce cadre aux activités de traduction dans l’entreprise. 

Le mentorat se diversifie

En 2023, le mentorat est-il encore obligatoire? Non, car depuis 2020, toute personne peut adhérer à l’Ordre en présentant un diplôme universitaire d’un programme de traduction (baccalauréat, majeure, baccalauréat par cumul de certificats ou maîtrise). Le mentorat n’est plus une condition essentielle à l’agrément, mais l’Ordre a conclu des ententes avec les universités pour qu’elles intègrent un stage pratique obligatoire dans leur cursus – et ce stage peut en fait prendre la forme d’un mentorat pour les étudiantes et étudiants qui ne souhaitent pas faire un stage en entreprise. Il existe aussi des mentorats en entreprise, des mentorats pour travailleurs autonomes et même des mentorats offerts dans le cadre d’une entente avec le Bureau de la traduction, mais en réalité, la grande majorité des mentorats qui sont offerts depuis 2020 sont de type universitaire. L’Ordre fait environ une centaine de jumelages par année. Dans le cas des programmes coop, le mentorat peut être intégré au troisième et dernier stage pour les personnes qui souhaitent être mentorées dans le cadre de leur stage.

Mentorat ou stage?

Aux yeux de l’Ordre y a-t-il encore une différence entre un stage et un mentorat? Plus vraiment. Comme le mentorat n’est plus une condition pour obtenir l’agrément, les deux sont dorénavant considérés comme équivalents. La principale différence est que, bien que le mentorat se fasse dans le cadre du programme universitaire, il relève de l’Ordre. Les mentors et mentores, qui sont obligatoirement traducteurs ou traductrices agréées, font leur évaluation en appliquant le référentiel des compétences (qui a remplacé en 2020 la grille des compétences créée au début du programme), c’est-à-dire les normes d’évaluation pensées et produites par l’Ordre, pour rendre compte des progrès de la personne mentorée. L’évaluation des personnes mentorées, comme celle des stagiaires, porte sur neuf éléments : 1) opérer le transfert linguistique, 2) communiquer par écrit, 3) maîtriser les techniques de recherche, 4) actualiser ses connaissances, 5) exercer son rôle conseil, 6) utiliser les techniques informatiques et de communication, 7) gérer un dossier ou un projet, 8) gérer son bureau ou aire de travail et 9) faire la promotion de sa profession.

Mentorat 101

Concrètement, à quoi ressemble un mentorat en 2023? Premièrement, il dure à peu près trois mois. Pour une session universitaire, l’OTTIAQ jumelle chaque personne qui souhaite être mentorée avec une ou un de ses membres qui a obtenu l’agrément il y a un certain temps. Pendant cette session, les personnes mentorées en traduction (qui représentent la majorité des mentorats bien qu’il en existe dans toutes nos professions) doivent produire en moyenne 1 000 mots de traduction par semaine pour un minimum total de 12 000 mots. De leur côté, les mentores et mentors s’engagent à réviser un échantillon d’environ 400 mots chaque semaine. En plus du référentiel de compétences, diverses ressources les aident dans leur travail, dont un tableau de typologie des fautes et un document de situations fictives qui leur permet d’évaluer les éléments qui ne sont pas strictement de la traduction, comme la gestion des dossiers ou le rôle conseil. L’OTTIAQ leur fournit aussi un corpus de textes qui peuvent être utilisés pour les évaluations hebdomadaires. Enfin, les parties communiquent régulièrement d’une façon établie en début de parcours, et se rencontrent (virtuellement ou en personne) trois fois pendant la période du mentorat. 

Une expérience gratifiante

Comment devient-on mentore ou mentor? Tout d’abord, il faut être membre en règle de l’Ordre et postuler. Après acceptation de la candidature, il faut suivre deux formations : l’une sur le mentorat et l’autre sur l’éthique, la déontologie et les normes de pratique professionnelle. Pendant les trois mois que dure le mentorat, la mentore ou le mentor doit consacrer du temps à la transmission de son savoir et de son expérience. Ce travail est rémunéré, mais il va sans dire que la raison première pour se lancer dans l’aventure, c’est la passion pour la profession. C’est du moins ce qui a motivé Sophie Côté, traductrice autonome, agréée depuis 2015, à donner son nom pour devenir mentore cette année : « J’aime parler de mon métier et transmettre les connaissances que j’ai acquises au fil des ans, alors c’est naturellement quelque chose qui m’intéressait, mais je ne savais pas à quel point les échanges avec ma mentorée seraient riches. Elle est fantastique! Elle se passionne pour la traduction et pose un tas de questions pertinentes. Son talent et son intelligence me donnent beaucoup d’espoir pour l’avenir de la profession. » Mais les incorrigibles perfectionnistes que sont les traductrices et les traducteurs finissent par y investir beaucoup de temps. Pour sa part, Carole Carrière, traductrice agréée au sein d’un organisme gouvernemental, avoue avoir eu un peu de mal à concilier mentorat et travail à temps plein. « J’accompagne mes révisions ou interventions d’explications, ce qui exige beaucoup de temps », explique-t-elle. Par contre, elle ajoute : « J’ai tiré une grande fierté de constater que j’aidais réellement la personne mentorée à progresser, bien souvent de façon impressionnante, en raison de l’encadrement personnalisé que j’apportais. D’avoir cet impact m’a apporté beaucoup de satisfaction. »  

Bref, bien qu’il soit somme toute assez exigeant, le mentorat est une expérience humaine et professionnelle formidable. Il est formateur tant pour les personnes mentorées que pour celles qui choisissent de devenir mentores. Les traducteurs et traductrices débutantes tirent profit de l’expérience de personnes chevronnées, tandis que les personnes d’expérience ont la satisfaction de transmettre leur savoir-faire et de faire profiter leur mentorée ou mentoré de leurs conseils pour l’aider à développer son autonomie. Bref, de donner au suivant.

Vous avez envie de vous lancer dans l’aventure du mentorat? Communiquez avec Bénédicte Assogba, directrice des Affaires professionnelles à l’OTTIAQ, au 514 845-4411 ou 1 800 265-4815, poste 1224.


L’autrice remercie Hélène Gauthier, directrice générale et secrétaire de l’OTTIAQ, pour ses précieux renseignements sur le programme de mentorat de même que les mentores Sophie Côté et Carole Carrière pour leur témoignage sur leur expérience. 
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