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L’encadrement en cabinet ou en entreprise

Pour passer de la formation universitaire à l’exercice de la profession, les traductrices et traducteurs en herbe ont besoin d’un coup de pouce professionnel, d’où la pertinence des stages en milieu de travail.

Par Isabelle Lafrenière, traductrice agréée

Quel plaisir d’accueillir temporairement dans son équipe des traductrices et traducteurs de la relève! Souvent, ces jeunes et moins jeunes auront choisi ce champ d’étude en raison de leur amour des langues en général et de la langue française en particulier. D’autres aspects de la profession exercent aussi un attrait certain, comme la souplesse des horaires qu’offrent certains employeurs, le nomadisme potentiel et les différentes formules d’exercice, que ce soit en pratique privée, en cabinet ou en entreprise.

Si la formation universitaire constitue un bon point de départ pour l’apprentissage du transfert linguistique et l’initiation à divers domaines de spécialité, une expérience en contexte de travail réelle reste incontournable, que ce soit en cours de formation ou après la diplomation. Comme le soulignait Álvaro Echeverri dans sa thèse intitulée Métacognition, apprentissage actif et traduction : l’apprenant de traduction, agent de sa propre formation, déposée à l’Université de Montréal en 2008 : « […] les avantages des stages sur les cours normaux en tant que formule pédagogique se trouvent dans la prédominance des relations interpersonnelles, l’augmentation des activités d’auto-évaluation, la réalisation d’activités authentiques, la valeur formative de la rétroaction émanant des pratiques de révision et la responsabilisation des apprenants face aux activités d’apprentissage, entre autres. »

Encadrer l’intégration à la réalité professionnelle 

En s’intégrant dans un véritable environnement de travail, une personne en stage ou en début de carrière découvre les nombreuses réalités de la profession. S’il en est une qui frappe l’imaginaire, c’est bien le respect des échéances. Plus question de passer deux semaines sur un travail pratique! Un texte de longueur équivalente pourrait être à livrer dans l’heure qui suit. Mais est-ce une bonne idée de soumettre d’emblée une recrue aux impératifs de productivité? Ne vaut-il pas mieux consolider les acquis et apprendre à marcher avant de courir? C’est là qu’intervient la ou le responsable de l’encadrement, qui doit accueillir la personne et la mettre en confiance. Bien accompagnée, celle-ci saura tirer avantage de la collaboration avec les collègues pour découvrir graduellement les exigences terminologiques propres à chaque client et mettre en pratique des stratégies afin de respecter la mise en page du texte de départ, ainsi que l’uniformité entre les documents d’un même dossier, voire entre divers dossiers connexes, pour ne nommer que ces exemples. Le volet interpersonnel est donc un facteur déterminant du processus.

L’accompagnement dans l’exécution de toutes les tâches connexes au transfert linguistique n’est pas à négliger dans le cadre d’un stage ou de l’intégration d’une recrue. Chaque milieu de travail ayant ses propres systèmes et méthodes de gestion, il faut accorder le temps nécessaire à l’apprentissage des processus internes, de l’utilisation des outils d’aide à la traduction, des modes de communication avec les clients et l’équipe de coordination, etc. Aussi occupée soit-elle, l’équipe d’accueil ne doit pas laisser la recrue à elle-même.

On prendra soin de confier à la recrue des traductions à sa mesure, c’est-à-dire assez générales, mais tout de même intéressantes. On en fera ensuite une révision pédagogique en prenant le temps de justifier les interventions et de fournir les explications qui s’imposent. Lors d’un atelier donné en janvier 2023 sur les principes et pratiques de la révision, la professeure Louise Brunette a souligné l’importance d’établir une distinction claire entre les corrections et les suggestions. Les premières viennent corriger des infractions au code grammatical, orthographique ou syntaxique, tandis que les deuxièmes ont souvent pour objectif d’améliorer le style. D’ailleurs, on ne saurait trop insister sur l’importance de la qualité rédactionnelle du texte d’arrivée. En début de carrière, on n’ose pas trop s’éloigner de la langue de départ, de crainte d’oublier des éléments du message. On se croit à la merci des segments puisés dans les mémoires ou les bitextes internes. Pire encore, on se laisse influencer par les outils de traduction automatique, pourtant loin d’être infaillibles. Or, une bonne relecture unilingue après l’étape du transfert linguistique sera d’un grand secours pour rendre une traduction fidèle et idiomatique.

Enfin, offrir une révision pédagogique, c’est aussi souligner les bons coups de la personne révisée. Chaque texte comporte son lot de difficultés à surmonter, et quand la recrue propose une bonne solution, il faut le lui faire remarquer. Au fil du temps, la personne mettra en place ses propres stratégies. Une acquisition progressive de confiance et de compétence mènera en temps et lieu à des gains de productivité.

Établir une relation de confiance

Pour encadrer convenablement une recrue en stage ou en début de carrière, il faut évidemment posséder soi-même une bonne expérience de travail, mais il faut aussi savoir faire preuve de patience et d’humilité. Pourquoi ne pas montrer ses propres textes révisés? Même après de longues années d’exercice, on ne produit pas nécessairement un texte parfait à tout coup. Qui n’a jamais laissé passer une coquille, malgré l’utilisation d’un correcteur orthographique, ou mal interprété un passage, malgré une recherche approfondie? En reconnaissant ses propres erreurs, on facilite l’établissement d’une relation de confiance. Bien que cette relation soit d’abord et avant tout professionnelle, elle comporte forcément une dimension personnelle où la bienveillance est de mise. Pour aller bien professionnellement, il faut d’abord aller bien personnellement. Aussi, les conseils offerts à la personne encadrée peuvent aller au-delà du volet linguistique, ne serait-ce qu’en invitant la personne à prendre soin d’elle, à rester active et à ne pas sombrer dans un zèle risquant de compromettre le délicat équilibre travail-vie. Bon encadrement!


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