Il y a un demi-siècle, l’établissement de la première Loi sur les langues officielles changeait à jamais le visage du Canada. Elle s’inscrit, jusqu’à ce jour, dans un vaste mouvement, celui de la reconnaissance des droits des Canadiens et des Canadiennes.
Avant même de devenir commissaire aux langues officielles du Canada, j’ai longtemps étudié et défendu la dualité linguistique. Certains diront que c’est le combat d’une vie. Je pense plutôt que c’est la passion de ma vie.
J’ai grandi à Sainte-Anne-des-Chênes, un tout petit village du Manitoba situé non loin de Winnipeg. Ce patelin était entièrement composé de Canadiens français et de Canadiennes françaises et, pourtant, je n’avais pas accès à l’école française. Mes parents et bien d’autres ont revendiqué leurs droits linguistiques et mes frères, eux, ont eu la chance d’être scolarisés dans leur langue maternelle en plein Manitoba rural.
Je suis de ceux qui ont vu naître la Loi sur les langues officielles. Adoptée en 1969, elle était le fruit de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme de 1963. Comme tous ceux de ma génération, j’y ai versé mes espoirs et l’image du pays dont je rêvais. L’adoption de cette loi confirmait pour moi, jeune francophone du Manitoba, que j’existais dans mon identité propre, aux yeux de tous les Canadiens et de toutes les Canadiennes.
En effet, il y a 50 ans, par l’adoption de la Loi sur les langues officielles, nous avons décidé, comme pays, de reconnaître l’égalité de statut du français et de l’anglais au sein de la société canadienne. Nous avons décidé que les francophones et les anglophones avaient le droit d’accéder à des services fédéraux de qualité égale dans la langue officielle de leur choix.
La décision d’appuyer deux groupes linguistiques différents a également permis de comprendre qu’il est effectivement possible ‒ et bénéfique ‒ pour différents peuples de coexister à l’intérieur d’une même communauté politique.
D’énormes progrès ont été réalisés depuis son entrée en vigueur. Les Canadiens et les Canadiennes peuvent accéder beaucoup plus facilement à des services dans les deux langues officielles et nos communautés de langue officielle en situation minoritaire jouissent d’une plus grande reconnaissance et d’un soutien accru. Nous pouvons affirmer que nous avons parcouru un long chemin depuis 1969!
Ces progrès ont été possibles grâce à 50 ans d’application de la Loi ainsi qu’à la défense des droits linguistiques par de nombreux intervenants. L’appui de la population canadienne au bilinguisme, comme en témoignent les multiples inscriptions dans les programmes d’éducation en français langue seconde, y a également contribué. D’ailleurs, l’apprentissage de la seconde langue officielle est maintenant perçu comme souhaitable et même essentiel pour assurer l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. Grâce à nos deux langues officielles, nos enfants sont exposés à une autre langue et à une autre façon de penser et ils profitent ainsi de différentes possibilités d’apprentissage et de croissance.
Il va sans dire que le travail du Commissariat aux langues officielles a aussi contribué à ces avancées. Au fil des enquêtes et des causes défendues devant les tribunaux, le Commissariat cumule maintenant 50 ans d’expérience et d’expertise en matière de défense des droits linguistiques et de promotion de la dualité linguistique au Canada.
Il est vrai que beaucoup de choses ont été accomplies au cours du dernier demi-siècle, mais certains problèmes se sont quand même révélés plus tenaces. À ses tout débuts, le premier commissaire aux langues officielles, M. Keith Spicer, préconisait l’accroissement massif des échanges de jeunes et un enseignement de la langue seconde davantage adapté aux réalités canadiennes. Cinquante ans plus tard, je constate que nos défis sont semblables. Je reconnais qu’afin que les jeunes d’aujourd’hui, ceux qui seront nos dirigeants de demain, développent et maintiennent leurs compétences en seconde langue officielle, les provinces et les territoires doivent investir davantage dans les programmes d’enseignement de la langue seconde, les programmes d’immersion et les programmes d’échange de qualité. Elles doivent aussi leur fournir davantage d’occasions d’utiliser leur seconde langue officielle à l’extérieur de la salle de classe.
Or, si les propos de M. Spicer sont toujours actuels, la Loi, elle, ne l’est plus. En partie grâce aux progrès qui ont été accomplis, mais aussi parce que le Canada d’aujourd’hui n’est plus celui de l’époque, il faut revoir certains concepts de base d’un point de vue actuel. Il est par ailleurs important de souligner que la Loi existante est fondée sur le contexte, les aspirations et les espoirs des années 1960 et que le poids des 50 dernières années se fait de plus en plus sentir sur ses épaules. La Loi doit être modernisée pour devenir actuelle, dynamique et robuste : elle doit refléter la société canadienne moderne, évoluer au même rythme que la société et la technologie et prévoir des outils adéquats pour son application. J’attends donc avec impatience le dépôt du projet de loi qui viendra concrétiser une réforme en profondeur de la Loi.
Le respect continu de nos langues officielles et le renforcement de notre Loi dépendent grandement de notre capacité à favoriser la promotion des deux langues et le développement de communautés fortes et engagées. En investissant dans l’avenir, dans les jeunes, dans l’éducation et dans les communautés, nous assurons la pérennité et la vitalité des langues officielles au Canada.
Au-delà des défis persistants et des discussions sur la modernisation de la Loi, un point important demeure inchangé, soit que les deux langues officielles, le français et l’anglais, sont au cœur de qui nous sommes en tant que Canadiens et Canadiennes. Elles représentent les fondements de la diversité linguistique de notre société. D’ailleurs, le Canada est un chef de file à l’échelle internationale en ce qui concerne la protection des droits des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Nous avons démontré que notre diversité et nos différences sont des atouts sur lesquels s’appuyer.
Les traducteurs professionnels du Canada contribuent directement à ce tableau. Leur travail permet d’ouvrir des espaces de rencontre et de communication. Ils encouragent le développement d'une approche constructive, d’une communication qui reconnaît une pluralité d'identités. Ils sont les architectes de notre dialogue national.
En me tournant vers l’avenir, je souhaite que nous continuions de travailler tous ensemble pour garantir que le français et l’anglais coexistent de façon harmonieuse partout au Canada. Nos communautés de langue officielle sont vibrantes, mais pour assurer leur vitalité, elles doivent pouvoir compter sur des gouvernements qui font et feront assidûment preuve de leadership en matière de langues officielles.