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La « troisième » voix

Comme l’accessibilité à la télévision pour les personnes vivant avec un handicap est un service relativement nouveau qui a d’abord été mis en place en anglais, peu de recherches ont jusqu’à maintenant été menées sur la vidéodescription en français. Pour en savoir davantage sur le sujet, Circuit s’est entretenu avec Isabelle Federigi, Vice-présidente, programmation et production d’AMI-télé, diffuseur exploité par Accessibilité Média inc.

Par Louisane LeBlanc

La vidéodescription fait appel à une « troisième voix » pour « décrire les éléments visuels importants qui ne font pas partie du scénario parlé des films, documentaires ou émissions de télévision et qui ne peuvent être saisis s’ils ne sont pas entendus » (AMI-télé). La voix d’un narrateur hors champ se fait entendre lorsqu’il y a une pause dans les dialogues d’une émission.

La télévision est au cœur de nos foyers depuis plus de 60 ans. Elle est rassembleuse parce qu’elle est le reflet de notre culture, de nos valeurs, parce qu’elle parle de nous et qu’elle nous ressemble. Bien que la télévision soit un outil de communication très accessible, il ne faut pas oublier qu’elle était, jusqu’à il y a une quinzaine d’années, difficile d’accès pour les personnes aveugles et malvoyantes. C’est seulement en 2001 que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a demandé à certains télédiffuseurs de proposer la vidéodescription (VD) pour une partie de leur contenu. Depuis 2009, « tous les diffuseurs traditionnels doivent […] offrir quatre heures de VD par semaine » (CRTC). AMI-télé est la première chaîne de télévision de langue française qui diffuse tout son contenu avec vidéodescription ainsi qu’avec sous-titrage pour malentendants.

Circuit : La mission de la chaîne AMI-télé est d’être accessible à tous les Canadiens en offrant une programmation intégrale en VD. Comment cet organisme a-t-il vu le jour?

Isabelle Federigi : Il y a une vingtaine d’années, au Canada anglais, une équipe formée essentiellement de bénévoles s’employait à rendre accessibles différents documents, entre autres les journaux et les circulaires, aux personnes aveugles et malvoyantes; le contenu écrit était adapté en contenu audio. Au fil du temps, son mandat s’est transformé : les cassettes ont fait place à une station de radio. L’organisme a par la suite demandé au CRTC l’autorisation d’ouvrir une station de télévision destinée au public amblyope. Ainsi est né The Accessible Channel TV (TAC-TV), que les câblodistributeurs avaient l’obligation d’offrir au Canada anglais. Il y a sept ans, TAC-TV a cédé sa place à AMI-tv et AMI-audio. La nouvelle formule s’est révélée être un grand succès, même chez les francophones, puisque c’était la seule station à présenter une programmation intégrale en VD. Comme la demande était forte, nous avons demandé au CRTC de nous accorder une licence pour créer une station francophone dont le public cible serait les personnes aveugles et malvoyantes. Nous avons eu son aval en août 2013 et nous avons commencé à diffuser le 16 décembre 2014.

Circuit : Les caractéristiques de la langue française (élocution rapide, syntaxe, construction de phrases, etc.) représentent-elles des contraintes lorsque la « troisième voix » est ajoutée à la trame sonore d’un film?

Isabelle Federigi : Je ne crois pas. Évidemment, la concision est très importante, mais l’un des défis majeurs de la VD est plutôt d’ordre technique. Il est primordial de décrire les scènes et d’y ajouter des détails brefs et pertinents pour permettre aux personnes aveugles et malvoyantes de « voir » ce qui se déroule à l’écran. La VD se fait normalement entendre lors des silences, qui ne veulent rien dire pour notre public. La priorité doit parfois être donnée à l’action, par exemple « le personnage inerte se fait bousculer sur le coin d’une rue achalandée », et d’autres fois à des détails comme un costume ou une larme qui coule sur une joue. Par ailleurs, il peut arriver, dans les films d’action, que les scènes se déroulent trop rapidement pour que nous puissions les détailler. Il faut donc trouver des solutions adaptées à chaque situation.

Circuit : À la suite des audiences publiques Parlons télé : une conversation avec les Canadiens sur l’avenir de la télévision, les règles relatives à la VD changeront. Quels en seront les impacts pour AMI-télé?

Isabelle Federigi : À compter de septembre 2019, certains télédiffuseurs devront offrir la VD pour l’ensemble de leur programmation aux heures de grande écoute, soit entre 19 h et 23 h. Ce que ça veut dire pour la programmation d’AMI-télé? Nous allons nous concentrer sur les productions originales comme notre magazine télévisuel Ça me regarde. Nous voulons conserver notre rôle de leader en établissant une nouvelle façon de présenter la VD, soit de manière intégrée. C’est-à-dire que la description se fera pendant l’enregistrement, en temps réel. Par exemple, l’animateur décrira son invité : « Nous sommes en compagnie de M. Untel, la cinquantaine, complet veston-cravate, lunette et souriant. Il est ici pour nous parler de… » De plus, notre programmation est appelée à se transformer puisque nous souhaitons toucher un public plus large. Cette nouvelle stratégie a pour but de permettre à toutes les personnes en situation de handicap de se reconnaître dans nos émissions originales. Nous voulons leur donner de la visibilité afin de démontrer que chacun a un rôle à jouer au sein de notre société.

Ainsi, on peut prévoir que la demande d’experts en vidéodescription augmentera pour combler les besoins grandissants du marché des télécommunications. Nous devrons répondre à la demande et faire en sorte que la télévision au Québec et au Canada reflète la diversité de la société dans laquelle nous vivons.

Sources

Accessibilité Media inc. (AMI) (2016). À propos d’AMI. Foire aux questions.

Conseil de la radiodiffusion et des télécommunicatinos canadiennes  (CRTC) (2015). Accès à la télévision pour les personnes ayant une déficience visuelle : vidéodescription et description sonore.

Louisane LeBlanc (loulouleblanc@outlook.fr) est candidate à la maîtrise en traductologie au Département d’études françaises de l’Université Concordia. Elle s’intéresse à la localisation du web ainsi qu’à la notion d’accessibilité en traduction. Étant elle-même en situation de handicap moteur, elle est sensible aux problèmes des communautés qui sont exclues et qui pourraient s’émanciper grâce à la traduction.

louisane leblanc


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