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Défis et contraintes du doublage

Le doublage, c’est l’art de créer l’illusion que les acteurs parlent la même langue que le spectateur, et d’amener le spectateur à croire en la réalité du film autant que s’il le regardait dans sa version originale. Pour ce faire, le traducteur doit tenir compte non seulement du contenu des dialogues, qu’on peut appeler synchronisme sémantique, mais aussi des mouvements de lèvres, le synchronisme labial, comme l’explique Robert Paquin. Avec plus de trente ans d’expérience en tant qu’adaptateur au cinéma et à la télévision, Robert Paquin connaît son métier en long et en large. Également sous-titreur, traducteur de romans et de pièces de théâtre, poète et écrivain accompli, Paquin s’est entretenu avec Circuit pour parler des contraintes du doublage et du recours au « français international » dans le doublage au Québec.

Propos recueillis par Quentin Poupon


Circuit
 : Comment en êtes-vous arrivé au doublage?

Robert Paquin : Mon intention était de devenir professeur de littérature anglaise dans une université du Québec, avec l’idée d’être écrivain dans mes temps libres. J’ai obtenu mon doctorat à l’université de Londres dans le but de pouvoir enseigner au Québec. Le problème était que l’on n’embauchait plus de professeurs à temps plein dans les universités; j’ai donc eu seulement des postes de chargé de cours. En parallèle, j’ai commencé à faire de la traduction commerciale à la Baie James, dans une société de construction de barrages. Je travaillais avec des Cris (peuple autochtone de la Baie James, NDLR) ainsi qu’avec des représentants d’Hydro-Québec, et mon travail était de traduire les résumés des études d’ingénierie, de biologie ou de sociologie, soit vers l’anglais, soit vers le français. Un jour, un de mes amis, Raymond Chamberlain (lauréat du prix du Conseil des Arts en Traduction, 1982, NDLR), m’a dit : « Tu pourrais faire de la traduction littéraire. » Trouvant cette idée intéressante, j’ai commencé à traduire des essais, de la poésie, du théâtre et des romans. En 1984, Raymond louait un appartement à Montréal dont le propriétaire était le directeur de la maison de doublage CinéGroupe. Ils avaient obtenu un contrat avec Télé-Québec pour faire la version française d’une série de dix documentaires. Pour ce faire, ils avaient embauché un traducteur anglophone sans aucune formation. En voyant les textes traduits, Télé-Québec refusa de les enregistrer en raison de leur piètre qualité et demanda si quelqu’un pouvait les réviser. Raymond cita mon nom, et c’est ainsi que je suis entré dans le monde du doublage.

Circuit : Quelles sont les contraintes du doublage (surimpression vocale, synchronisme…)?

Robert Paquin : L’ennui avec la surimpression vocale (on entend la personne interviewée dans sa langue natale ainsi qu’une seconde voix de manière superposée, traduisant les propos tenus, NDLR), c’est qu’on veut faire croire au spectateur que c’est de la traduction simultanée. Pour qu’il ait cette impression, on laisse la personne interviewée parler en anglais, par exemple, puis on baisse le son de sa voix afin de superposer la voix française d’un comédien qui lit le texte traduit, en studio. On va également privilégier l’utilisation des correspondances anglais-français dont la construction est similaire (ex. : independence = indépendance); c’est une preuve d’authenticité du processus de traduction. En revanche, lorsqu’une personne non anglophone parle en anglais durant une interview et fait des phrases agrammaticales, on ne traduit pas ses fautes, on les corrige. On s’arrange pour que la personne soit mise en valeur, car elle s’exprime dans une langue seconde, elle n’a pas forcément eu le temps d’écrire son texte et de l’apprendre par cœur.

Un autre type de contrainte concerne le synchronisme phonétique. On doit suivre les consonnes bilabiales (lorsque les deux lèvres se touchent, NDLR), qui sont M, B et P. Comme on voit l’acteur fermer la bouche, on doit trouver un mot français qui fait de même. Une fois encore, le but est de donner l’illusion au spectateur que le personnage parle dans la même langue que lui. On veut lui faire oublier qu’il ne fait pas partie de l’action et qu’il est assis dans une salle de cinéma, pour qu’il croie à ce qu’il voit. C’est pour cela qu’il est très important de respecter le synchronisme phonétique durant les premières minutes d’un film, car si le spectateur voit un comédien parler à l’écran, mais qu’il n’entend pas de son (ou inversement), son immersion ainsi que sa perception du film seront altérées. Pour rendre la tâche plus facile, on a la possibilité de jouer avec la mise en scène. Par exemple, si un personnage parle en étant dos à la caméra, on peut lui faire dire ce que l’on veut, car ses lèvres ne sont pas visibles. Ce qui se passe à l’écran nous guide dans notre traduction.

Circuit : Tenez-vous compte du marché québécois dans votre traduction pour le doublage?

Robert Paquin : Le doublage est fait en français international. On ne peut pas introduire de l’argot français ou québécois dans nos traductions, car le public réagirait mal. Par exemple, si l’on regarde un western et qu’un personnage braque une banque, lui faire dire « Tabarnak, t’ferais mieux d’payer ! » rendrait la scène ridicule. C’est pour cela que l’on est contraint d’employer le français international, c’est une langue soutenue, comprise par tous. Ainsi, une sorte de convention tacite s’établit entre le public et le cinéaste. Reprenons l’exemple du western. Le spectateur peut admettre que les personnages parlent français, même s’ils ont des prénoms à sonorité anglaise et que leurs péripéties se déroulent aux États-Unis, car cela ne brise pas son illusion d’être au cœur de l’action. Intégrer aux dialogues des termes propres au dialecte québécois ou français rendrait l’immersion impossible : le spectateur réaliserait alors qu’il ne fait pas partie de l’intrigue et qu’il est simplement en train de regarder un film avec une adaptation et un doublage de mauvaise qualité. Le défi du cinéaste est d’endormir le spectateur sans qu’il puisse se réveiller, pour le faire entrer dans son rêve.

Circuit : Un film étranger doublé en français au Québec peut-il être projeté en France, et inversement ?

Robert Paquin : Il faut savoir qu’il existe en France un règlement stipulant qu’un film étranger peut être projeté en salle avec un doublage français, uniquement si ce dernier a été produit dans la francophonie européenne (soit la France, la Belgique et la Suisse). Au Québec, pour qu’un film étranger soit projeté plus de trois semaines à l’écran, une version française doit être créée. Cependant, cette règle ne donne aucun impératif concernant la provenance du doublage ou du sous-titrage : le film peut être doublé dans n’importe quel pays francophone, ce qui facilite grandement sa distribution.

Circuit : Pourquoi, selon vous, la version française internationale est-elle nécessaire ou désirée par le public?

Robert Paquin : Il faut que les gens puissent comprendre les dialogues. Dans une adaptation française, pour désigner les services ambulancier, on parle du « SAMU » (Service d’Aide Médicale Urgente), qui est un acronyme local, alors qu’au Québec, on va préférer employer le terme « ambulance » qui se veut plus général. Le but du français international est de captiver un public francophone au-delà de la France.

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Originaire de la France, Quentin Poupon (poupon.quentin@gmail.com) a quitté son pays natal pour approfondir sa connaissance de l’anglais à l’ELS Language Center de Chicago avant de commencer son BA Spécialisation en traduction, programme coop, à l’Université Concordia de Montréal. En tant que cinéphile et amoureux des langues, il a choisi la voie de la traduction pour se spécialiser dans l’audiovisuel afin d’allier ses deux passions. LinkedIn: https://www.linkedin.com/in/quentin-poupon-069425114

quentin poupon


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