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La gestion de projets en équipe – gérer des gestionnaires

En traduction, le gestionnaire de projets est un jongleur qui doit lancer des anneaux, des quilles et des balles, tout à la fois. Pour que rien ne tombe, il doit pouvoir compter sur ses collègues.

Par Betty Cohen, trad. a.

Bien que la gestion de projets en traduction se résume partout sensiblement à la même chose – assurer la relation client, trouver les ressources, assurer la qualité et livrer à temps –, chaque service ou entreprise de traduction a ses réalités, ses contraintes et sa façon de faire. Dans certaines entreprises, la relation avec la clientèle est assurée par une seule personne, la coordination des ressources et du projet revenant à une autre personne, et l'assurance qualité relevant du réviseur. Dans d'autres, c'est le réviseur qui assure la relation avec le client en même temps que la qualité et c'est le traducteur qui livre. Dans d'autres encore, le gestionnaire ou directeur de projets est responsable de l'ensemble : de la relation client à la rentabilité du projet. Quoi qu'il en soit, cette gestion se fait généralement dans l'urgence, du fait de la nature même de notre métier qui, comme chacun sait, ne nous donne pas souvent le luxe de négocier les délais et de planifier à l'avance. Par ailleurs, chaque gestionnaire est responsable de plusieurs projets à la fois, souvent avec les mêmes échéances et avec des ressources limitées. Comment, dans de telles circonstances, assurer une gestion de projets uniforme sur l'ensemble d'une équipe et, surtout, s'assurer que le travail se fait dans l'harmonie,
sans accrocs trop importants et avec comme objectif premier la satisfaction du client et celle du personnel ?

Le facteur humain d'abord

Si l’on part du principe qu’un gestionnaire de projets doit se concentrer sur sa gestion, celui-ci doit pouvoir disposer d’un bassin de traducteurs sur lesquels il peut compter. Il est donc important de bien suivre le volume de travail afin, d’une part, de l’équilibrer convenablement et, d’autre part,
de pourvoir l’équipe en personnel au besoin. Notre profession offre pour cela une certaine souplesse puisqu’elle permet de faire appel à des collaborateurs externes. Encore faut-il repérer et tester ces personnes en dehors des périodes occupées, afin de pouvoir y faire appel en temps
et lieu. C’est un exercice difficile étant donné le caractère souvent imprévisible de la demande en traduction. Ces collaborateurs doivent impérativement avoir les qualités requises, de façon à ne pas alourdir le processus par la suite. Une mauvaise traduction prend plus de temps
à réviser et nuit à la bonne réalisation du projet ainsi qu'à sa rentabilité, on le sait. Ce dont on parle moins, c’est du fait que l’absence d’employés ou de pigistes fiables a une incidence directe sur la qualité de vie du gestionnaire de projets qui doit composer avec les problèmes et réclamations, et donc sur la qualité de son travail.

L’autre difficulté à surmonter est la concurrence des gestionnaires de l’équipe pour les employés ou les pigistes. Un système « premier arrivé, premier servi » ne suffit pas, et laisser les traducteurs gérer les attentes des gestionnaires de projets ne fait que créer un stress supplémentaire.
Il faut donc prévoir des réunions, parfois quotidiennes, d’établissement des priorités et de partage des ressources disponibles. Cela ne peut se faire que dans un climat de confiance et de collaboration.

L’une des fonctions premières du responsable d’une équipe de gestionnaires est donc de se doter d’employés et de pigistes de qualité, et surtout d’instaurer ce climat d’échange, de confiance et de collaboration pour lisser les aspérités.

Les outils ensuite

Mémoires de traduction, bases terminologiques, documentation et autres outils vont de soi. Mais une bonne gestion de projets en équipe ne saurait se faire sans un bon logiciel de gestion de projets. Il en existe plusieurs sur le marché, mais étant donné que chaque équipe a ses propres méthodes, habitudes et contraintes, il est important de bien le choisir.

Les grands fournisseurs se targuent tous d’offrir le meilleur outil de gestion. Ces outils sont cependant mieux adaptés aux grands projets de localisation et beaucoup moins à ceux, plus petits et plus nombreux, que nous gérons sur un marché où tout se traduit. Plus les projets sont spécialisés, plus le logiciel de gestion doit être adapté. Un bon logiciel auquel on aura fait ajouter des fonctions sur mesure est probablement le meilleur investissement que l’on puisse faire.

Que doit offrir ce logiciel ? Tout d’abord de la clarté et de la convivialité. Il est indispensable qu’en ouvrant son logiciel, le gestionnaire sache immédiatement quels sont ses projets en cours, qui fait quoi dans chacun d’eux, quels fichiers il reste à recevoir, quels fichiers sont en attente, lesquels sont en retard, etc. Cela est primordial lorsque l’on doit gérer plusieurs projets à la fois et que chacun d’eux comporte parfois une centaine de fichiers en deux ou trois versions. L’heure juste à toute heure, telle est la qualité première d’un bon logiciel de gestion !

Ce logiciel doit aussi prévoir des fonctions automatiques. Analyse par la mémoire de traduction, compte de mots, changements globaux, suivi des fichiers, tout cela doit être aussi automatisé que possible, tout en laissant au gestionnaire la capacité d’intervenir si la situation l’exige. Cela signifie que le logiciel doit aussi offrir une certaine souplesse et ne pas empêcher de gérer les imprévus. À cet égard, le logiciel idéal n’existe pas, mais en avoir un ajusté sur mesure permet de surmonter bien des difficultés.

Clarté, souplesse et convivialité donc, mais aussi fiabilité des données et du traitement, et – fonction primordiale entre toutes – la possibilité de générer divers rapports, selon les besoins de gestion de l’équipe. De la rentabilité de chaque dossier à la facturation des pigistes jusqu’à la productivité, un bon logiciel doit permettre au responsable du groupe de suivre l’ensemble facilement.

Encore faut-il que les personnes qui se trouvent à 40 centimètres de l’écran – à savoir nos gestionnaires de projets eux-mêmes – fassent leur
part. On peut avoir le meilleur logiciel du monde, il ne sert à rien s’il n’est pas utilisé correctement. Et là est tout le défi pour un gestionnaire de gestionnaires. Si les données sont mal saisies, si le suivi n’est pas fait, ou si chaque gestionnaire de projets utilise le logiciel à sa manière, l’objectif n’est pas atteint et c’est toute l’équipe qui en souffre. Car comment savoir qu’un collaborateur est déjà occupé si celui qui l’occupe ne l’a pas inscrit, par exemple, et surtout, comment un gestionnaire peut-il se faire remplacer si sa gestion n’est pas claire. C’est là l’argument de base qui généralement convainc : nous avons tous le droit de nous absenter, nous n’avons pas le droit de décevoir un client. Pour cela il faut travailler
en équipe.

Gérer des gestionnaires

Qui dit gestionnaire dit a priori personne organisée et expérimentée, capable de faire face aux nombreux aléas de la gestion de projets, y compris les exigences des clients et des exécutants. Qui dit gestionnaire dit par conséquent personne forte, sûre d'elle-même, qui a son mot à dire dans sa façon de travailler. Gérer des gestionnaires consiste donc d'abord et avant tout à composer avec les personnalités diverses et à les faire évoluer dans le même sens. Cela exige, de la part du gestionnaire en chef, humilité, souplesse et ouverture d'esprit. Être responsable d’une équipe ne signifie pas que l’on a la science infuse. Et si un minimum de compétences est nécessaire pour assurer son leadership, il reste que les gestionnaires de projets, plus proches du travail quotidien, savent souvent mieux ce qui leur convient. Il est donc indispensable d’être à l’écoute
et de répondre aux demandes quand cela est justifié et possible, et surtout de donner des raisons valables quand il faut refuser. Des réunions périodiques sur les méthodes et façons de faire permettent également un échange d’expériences et d’idées qui nourrit les esprits et fait avancer
le groupe.

Il faut aussi responsabiliser. Car une personne du calibre exigé ne souffrira pas qu’on lui « souffle dans le cou ». Loin de la microgestion, la relation doit être fondée sur la confiance et le respect mutuel, et aussi sur l’assurance que l’on sera là en cas de problème ou si un soutien est nécessaire. Au responsable de trouver le bon dosage selon la personnalité de chacun de ses gestionnaires.

Responsabiliser, c’est aussi accorder une certaine souplesse dans les horaires. La mode est à la conciliation travail-famille dans nos grandes entreprises et il ne faut pas hésiter à y recourir si cela peut aider les personnes à mieux gérer leur temps. Horaires variables, télétravail, etc. sont autant d’accommodements qu’il est possible d’accorder facilement dans notre métier, pourvu que la confiance soit là. Ils permettent d’alléger le stress quand les délais sont serrés et les projets, difficiles.

Bref, gérer une équipe de gestionnaires, c’est assurer une gestion de personnel classique, mais avec un supplément de motivation, de compréhension et d’écoute, car l’ennemi numéro un de notre métier est le stress. Et s’il est impossible d’atténuer le stress inhérent aux exigences des clients, il faut tout faire pour atténuer les irritants qui compliquent les tâches.

Betty Cohen est associée responsable des Services linguistiques chez PwC Canada.


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