Dans Le Bruissement des matins clairs, recueil thématique de méditations autobiographiques sur le métier, André Senécal, auteur de Traduire pour l’aviation civile et militaire (Linguatech, 2012), brosse un tableau de son parcours de traducteur-réviseur dans le domaine de l’aviation.
Frais émoulu de l’université, chercheur d’emploi, vous passez un test d’aptitude pour entrer au cénacle du Bureau de la traduction. Hélas, vous êtes recalé. Votre réaction? Faire contre mauvaise fortune bon cœur? Eh bien non! Surtout pas si vous vous nommez André Senécal.
Plein de ferveur, voire de culot, le jeune homme décide de faire appel. Voilà que le comité de sélection revoit sa copie. Il brille en entrevue (savoureuse description de la galerie de personnages), on le recrute. C’est le début d’une fructueuse carrière au Bureau de la traduction. Il s’en est fallu de peu.
Commence alors une carrière où on ne lésine pas sur la formation. André Senécal sera invité à passer plusieurs jours avec des ingénieurs et pilotes dans différentes bases aériennes canadiennes.
Loin de ses dictionnaires, le jeune homme se réveille un matin en sursaut : la détonation provient de réacteurs en postcombustion. Plus tard, il examine, ébahi, le tableau de bord éventré d’un gros porteur Hercules en remontage intégral. Enfin, on lui met entre les mains les manettes d’un simulateur de vol. Son cœur bat la chamade, mais il fait atterrir sans encombre le mastodonte.
Le traducteur bénéficie d’une équivalence de grade militaire et il est accueilli comme un collègue. Parfois avec méfiance, certes, mais bien vite les barrières tombent, si bien qu’on voit en lui un partenaire, et non un empêcheur de tourner en rond. La validation que lui accorderont différents corps de métiers marque le parcours d’André Senécal, jalonné de plusieurs étapes décisives, dont le stage en cours d’emploi.
À l’époque, au Bureau de la traduction, tout traducteur suit un stage d’orientation de trois semaines après quelques années. Un stage où ce qui compte, c’est de faire le point sur son activité, de la repenser.
André Senécal constate qu’à l’issue de ce temps d’arrêt, remis en question, voire ébranlés, certains traducteurs abandonnent le métier, convaincus que ce n’est pas leur voie. Ces départs restent tout de même l’exception. Pour ceux qui tiennent, le stage sera un tremplin, un encouragement à aborder le travail avec une assurance raffermie.
Dans Le Bruissement des matins clairs, l’auteur nous livre une réflexion sur diverses dimensions de la profession : heurs et malheurs de la terminologie technique, correction du code linguistique, rapports complexes entre le français hexagonal et celui du Québec, irruption des mémoires de traduction dans la sphère traductionnelle (précieux outils ou contraintes aliénantes, c’est selon). Des points de vue qui témoignent d’une longue pratique du métier, métier où il faut parfois s’incliner devant l’usage ou les préférences du client, quitte à oublier une norme qui pourtant sert de boussole aux traducteurs.
Amoureux de la langue, l’auteur plaide pour un ressourcement renouvelé du traducteur-réviseur, qui étanchera sa soif aux sources françaises de bonne tenue, histoire de devenir celui qui réécrit au lieu de traduire. On sent le plaisir de la langue : il cite poètes, essayistes, romanciers.
Un style enlevé, un portrait nuancé et lucide de la profession, un narrateur qui frappe par son mélange d’humilité et d’aplomb. Car le traducteur vacille sur la corde raide : prendre position, trancher, mais aussi douter, craindre d’avoir trahi l’auteur. Aux certitudes hardies succèdent les inquiétudes chancelantes. Et malgré tout, se faire confiance.
Traducteur-réviseur à CPA Canada, Marc Lambert intervient également comme formateur (Magistrad) et conférencier (colloques On traduit à…). Il a exercé en services linguistiques, en agence de traduction et comme indépendant.