L’expérience […] m’a depuis longtemps convaincu
que c’est dans la centralisation qu’est le vice du système.
Achille Fréchette
Né à Lévis le 13 octobre 1847, Achille Fréchette fait ses études primaires chez les Frères des écoles chrétiennes. À la faveur de changements passagers dans l’enseignement – jusque-là, l’accent était mis sur le grec et le latin –, il étudie l’anglais. Il fait même de la traduction : faut-il y voir les racines de sa future carrière? Après le passage obligé par les études classiques, au Séminaire de Québec, il entre à la Faculté de droit de l’Université Laval en 1865 et est admis au Barreau de Québec le 14 juillet 1869.
Achille Fréchette restera insensible à l’appel de Thémis. La veille de ses 22 ans, il part pour Chicago rejoindre son frère Louis, qui y publie un journal : L’Amérique. Il travaille dans cette ville jusqu’à ce que le grand incendie du début de 1871 le force à se réorienter. Il s’installe alors au Nebraska, où il acquiert une ferme de 160 acres, et est embauché au Platte Valley Independent, à Grand Island. Il y travaille de 1872 jusqu’au printemps de 1874. Alors qu’il est sur le point d’obtenir la citoyenneté américaine, il reçoit une offre du Courrier d’Outaouais, qui vient de changer de mains, et de couleur!
Achille Fréchette (1847-1927)
Source: Bibliothèque et Archives Canada/Annie Howells and Achille Fréchette/No AMICUS 895672
En mars 1874, Achille Fréchette rentre donc au Canada. Les Libéraux, qui viennent d’être portés au pouvoir, placent leurs pions. Fréchette ne fera qu’un bref séjour au Courrier. Grâce à l’appui d’amis près des milieux politiques, il entre à la Chambre des communes le 18 avril à titre de greffier du comité de l’agriculture. En février 1875, il sera traducteur. Jusque-là employé sessionnel, il obtient en avril de la même année la permanence au bureau des traducteurs français, où il restera jusqu’à la retraite.
Le bureau, dirigé par Toussaint Gédéon Coursolles, compte cinq employés permanents. L’un d’eux, Blain de Saint-Aubin, sera démis de ses fonctions fin juin 1875, favoritisme politique oblige… Les Conservateurs sont de retour au pouvoir en 1878 et Fréchette craint, un temps, de subir le même sort. Il songe à tout abandonner et à tenter de nouveau sa chance aux États-Unis, comme artiste dessinateur. Il n’en fait rien.
L’avancement ne s’obtenant que par promotion, Achille Fréchette rongera longtemps son frein dans son poste de traducteur adjoint. Il se perfectionnera en dessin et publiera des poèmes à l’occasion. Dans les années 1890, il tentera une incursion en politique scolaire à Ottawa, expérience qui ne sera pas très heureuse. Dépité, il se cantonnera dans ses fonctions de traducteur.
Fin 1902, après le départ de son chef, qui sera resté trente ans en poste, Fréchette obtient la promotion espérée. Si le bureau des traducteurs a peu changé depuis son arrivée, la charge de travail n’a cessé d’y augmenter. Le traducteur en chef est de facto traducteur des lois, et un adjoint est chargé des documents parlementaires, traduits avec le concours d’une armée de pigistes. Fréchette est à même de constater que la centralisation aux Communes ne peut fournir un cadre propice au travail bien fait.
La traduction des lois s’améliorera considérablement sous sa gouverne. Jusqu’alors, celles-ci étaient traduites le plus littéralement possible, afin que les avocats et les juges qui devaient en faire l’interprétation puissent plus facilement se retrouver dans le texte traduit! En 1907, on abandonne le terme « acte » au profit de « loi ». Le changement ne se fait pas sans heurts. Par ailleurs, Fréchette décide de laisser en anglais le nom des personnes morales, contrairement à ce qui avait toujours été fait, de manière peu élégante parfois. Le député Horace Bergeron, qui n'appuie manifestement pas l'initiative, s'en plaint en Chambre en 1908, déplorant ce laisser-aller qui « dégénère en un véritable abus ».
Vers 1908, Achille Fréchette connaît des ennuis de santé et songe à la retraite. Une occasion en or se présente : la Commission de l’économie interne des Communes cherche des solutions à l’explosion de la demande en traduction et réclame une étude sur ce qui se fait en Belgique et en Suisse. Il s’en voit confier la responsabilité et, en janvier 1910, part pour l’Europe.
Son enquête terminée, il présente, le 30 septembre suivant, un long rapport dans lequel il recommande d’importants changements à la traduction aux Communes, dont la spécialisation des services plutôt que leur centralisation, que semblent favoriser plusieurs administrateurs. Son rapport est mis au placard et ne refera surface que bien des années plus tard, lorsqu’il faudra une fois de plus combattre les velléités centralisatrices de certains.
Fréchette fait valoir son droit à la retraite. Le 1er octobre 1910, il reçoit l’Imperial Service Order en reconnaissance de ses trente-cinq années de loyaux services, dont sept à titre de traducteur en chef. Il s’installe à Lausanne et y coule des jours paisibles en dépit de ses ennuis de santé, puis il retourne en Amérique en 1919. Comme il cherche à fuir les hivers rigoureux, il s’installe à Victoria, puis à San Diego, où il meurt le 15 novembre 1927, à l’âge de 80 ans.
Achille Fréchette est un des grands oubliés de l’histoire de la traduction. Aux yeux de ses contemporains, il était consciencieux et industrieux. Il a été relecteur-réviseur de textes pour la Société royale du Canada et membre du Cercle des dix, petit cercle littéraire fondé en 1884 à l'image du Club des dix de Québec. Il n’a malheureusement pas écrit sur la traduction. Son titre de gloire – son rapport sur l’état de la traduction en Suisse et en Belgique – est oublié depuis longtemps. Il y recommandait notamment qu’on ne traduise pas in extenso, dans les Débats, les discours prononcés en Chambre. Il réclamait aussi que le service de traduction des Communes se spécialise en traduction parlementaire et que les ministères soient responsables de leurs propres publications, ce qui garantirait, selon lui, la qualité du produit. La spécialisation est la norme encore aujourd’hui.
Alain Otis est chargé de cours au Département de traduction et des langues de l’Université de Moncton depuis septembre 2015.
Notes
Il existe une biographie sommaire d’Achille Fréchette, Annie Howells and Achille Fréchette, de James Doyle, publiée en 1979. Le rapport Fréchette, Rapport sur l’étude faite par M. Fréchette, I.S.O., en Belgique et en Suisse, à la demande de la Commission de l’économie interne de la Chambre des communes du Canada, est reproduit in extenso dans J. Delisle et A. Otis, Les douaniers des langues. Grandeur et misère de la traduction à Ottawa, 1867-1967, Québec, PUL, 2016, 491 p.
Je remercie Jean Delisle pour ses commentaires.