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Traduire les émotions : mission impossible?

Par Isabelle Lafrenière, traductrice agréée, et Maria Ortiz Takacs, traductrice agréée

En 2020, la pandémie de COVID-19 a été une grande surprise. En quelques mois à peine, nous avons changé notre façon de vivre au quotidien. Les vagues successives ont suscité de fortes émotions collectives : inquiétude pour les proches, fierté envers les travailleurs de première ligne, empathie et solidarité pour les personnes les plus touchées. Nous avons dû faire face à de telles émotions, souvent dans la solitude. 

Ce contexte où les émotions sont au premier plan est l’occasion idéale pour Circuit de proposer à ses lectrices un dossier sur la place et le traitement des émotions dans la traduction. Les personnes qui ont collaboré à ce numéro abordent le sujet sous différents angles. Toutefois, elles s'accordent sur un point : traduire les émotions n'est pas une mission facile.

Sans perdre de vue la tâche objective et professionnelle que la langagière doit accomplir, Ann Marie Boulanger nous parle de l’exposition de la traductrice littéraire aux émotions de l’autrice, ainsi que de l’intensité potentielle de ces émotions. 

Pour passer du papier au grand écran, Robert Paquin, poète et traducteur québécois, nous explique l’importance de découvrir l’illusion cachée derrière l’image afin de la préserver dans la traduction, et ce, dans le respect des règles de la traduction audiovisuelle.

Sans aucun doute, l’empathie joue un rôle essentiel dans la capacité de la traductrice à conserver dans sa traduction la valeur émotionnelle de l’original. Cependant, se laisser trop fortement emporter par un texte chargé d’émotions peut être préjudiciable. Isabelle Lafrenière et Maria Ortiz Takacs nous suggèrent le recours à l’empathie cognitive pour maintenir une saine distance sans perdre de vue le texte original. Cette approche a toutefois ses limites. Il existe des contextes où d’autres méthodes seront préférables : comme on peut le constater dans un autre article de Maria Ortiz Takacs, les personnes affectées à la traduction de documents liés à des dossiers criminels sont confrontées à des contenus violents dont elles ne peuvent faire abstraction. L'autrice aborde différentes techniques de régulation des émotions qui peuvent s’avérer efficaces dans cette situation.

Les émotions ne sont bien sûr pas toujours négatives, alors pour faire contrepoids à celles qui envahissent l’air ambiant depuis plus de deux ans ans, la traductrice britanno-colombienne Nathalie Thompson et Valérie Thirkettle, attachée linguistique de Translators Without Borders, évoquent les émotions qu’elles ressentent lorsqu’elles traduisent bénévolement pour une bonne cause, et la camaraderie qui existe entre les collègues de l’organisation.

Si l’acte traductionnel peut se dérouler dans divers contextes, Mélina Lau, traductrice en cabinet, nous offre une incursion privilégiée dans la relation entre une traductrice et sa réviseure, en évoquant la dimension émotive de cette dynamique, dont on parle peu en contexte de travail. 

Ce numéro ne serait pas complet sans un article sur la façon dont les machines traduisent les émotions humaines. Sebastian Padó, Enrica Troiano et Roman Klinger, de l’Université de Stuttgart, en Allemagne, nous donnent une vision pragmatique de la traduction des émotions en nous expliquant comment les machines sélectionnent les émotions qu’elles jugent les plus appropriées au contexte.

En complément à ce dossier, la chronique La esfera hispánica propose un article de Luisa María Batista Espinosa, de l’Université de Las Palmas de Gran Canaria, Konstantina Konstantinidi, également de l’Université de Las Palmas de Gran Canaria, et Francisco Javier Batista Espinosa, de l’Université de La Laguna, en Espagne, qui nous livrent les résultats d’une étude visant à détecter les modifications de l’humeur des traductrices face à des textes chargés d’émotions. 

Nous vous souhaitons une lecture agréable.


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