Imprimer
Partage :

Guy Bertrand : une carrière tout en synchronicité

par Caroline Mangerel, traductrice agréée

Derrière la voix familière qui livre quotidiennement les Capsules linguistiques sur les ondes de Radio-Canada apparaît un traducteur chevronné et un grand admirateur de la culture. Portrait d'un érudit et, surtout, d'un curieux invétéré.

Photo : © Éric Labonté
Photo-Guy-Bertrand

Portrait

Guy Bertrand travaille à Radio-Canada depuis 29 ans.

Originaire de Trois-Rivières, il est diplômé en Langues modernes – traduction, formation habituelle pour les aspirants traducteurs dans les années 1970. Pendant ses études, il devient membre adhérent de la Société des traducteurs du Québec (STQ) après avoir réussi du premier coup l’examen que fait passer la Société dans les universités — avec un taux de réussite de 11 %! Il obtient son agrément quelques années plus tard, à la suite d’un autre examen. En effet, le processus était à l’époque beaucoup plus complexe qu’il ne l’est aujourd’hui.

Traducteur technique à l'origine, il se retrouve à Radio-Canada, dit-il, par une suite d'heureuses circonstances lorsqu'on lui propose un remplacement. Formé en musique — chant classique et orgue —, amoureux des arts, il a toujours rêvé d'y travailler. Il prend immédiatement la décision d’abandonner sa substantielle clientèle et la vie de pigiste, avant même que le remplacement se transforme en permanence. Après quelque temps, il devient conseiller linguistique et acquiert ainsi une grande liberté quant à la façon de mener sa barque. Il élaborera la première politique linguistique du diffuseur public.

Guy Bertrand a souvent été impliqué dans l'administration de la STQ, puis de l'OTTIAQ, où il est aujourd'hui membre du comité de révision. Il admire le sérieux de l'Ordre et la qualité générale du travail de ses membres, tout en soulignant que, pour toutes sortes de raisons, on — les langagiers en particulier — accorde aujourd'hui moins d'importance qu'il y a vingt ou trente ans à la qualité de la langue.

Lorsqu'il parle du chemin qui l'a mené au poste de Premier conseiller linguistique à Radio-Canada, Guy Bertrand révèle un fil conducteur réjouissant pour une personnalité de son calibre : une gratitude émerveillée pour la chance qu'il a eue à chaque tournant, pour les personnes qui l'ont orienté et soutenu, pour l'à-propos impeccable qui a présidé aux phases successives et parallèles de sa carrière. D'autres parleraient de synchronicité. Cet enchantement s'étend à tout ce que son poste lui permet de découvrir et d'entreprendre, de la multitude de collaborations et d'étonnements dont son appartenance à Radio-Canada a pu le gratifier au cours des trois dernières décennies.

Notes professionnelles

Guy Bertrand consacre ses talents de conseiller linguistique à la radio et la télévision générales, laissant l'actualité à sa collègue Nathalie Bonsaint. La voix joviale qu'on entend dans les Capsules linguistiques, c'est lui. Il reprend celles-ci tous les quatre ans, les remet au goût du jour parce que, dit-il, « qui se souvient de ce qu'on a dit il y a quatre ans? ». Certaines choses ont évolué, il existe de nouvelles solutions de rechange. 

Le public connaît bien également ses Chroniques linguistiques, diffusées dans le cadre de certaines émissions de la programmation régulière de Radio-Canada, dans lesquelles il relève les fautes qu'il entend en ondes et les corrige avec humour et bonne humeur. Il fait ce type d’interventions tant sur les ondes régionales que sur la chaîne nationale. Selon lui, les francophones hors-Québec aiment entendre parler de langue, recevoir des conseils, être rassurés sur le plan linguistique : ses Chroniques sur Ici Windsor ou Ici Saskatchewan, par exemple, attirent nettement moins de commentaires et d'appels téléphoniques mécontents que celles entendues sur Ici Grand Montréal! 

De son expérience sur les ondes régionales partout au Canada, il tire une réflexion approfondie sur la francophonie hors-Québec, depuis le bouillonnement de culture des communautés francophones ontariennes jusqu'aux accents de l'Ouest canadien en passant par les particularités des néo-Canadiens venant des quatre coins de la francophonie internationale. Radio-Canada, dit-il, est parfois perçue comme une bouée de sauvetage pour les francophones hors-Québec. Constatant la relative isolation des communautés en dehors du Québec, ainsi que le « Québec-centrisme » (voire le Montréalocentrisme) propre à la culture médiatique francophone au Canada, il souhaiterait établir des liens, des échanges permettant aux francophones du pays de se découvrir mutuellement. Il croit que le diffuseur national possède les outils pour réaliser ce type de projet.

Guy Bertrand a par ailleurs une influence non négligeable sur la francophonie internationale. En effet, il est conseiller pour la maison Robert, chargé notamment de suggérer des québécismes et des canadianismes au dictionnaire, ainsi que de rectifier les définitions qui lui sont proposées.

Quant au métier de traducteur, Guy Bertrand reconnaît à quel point il est exigeant et difficile à porter sur une longue période. Il aime citer un de ses professeurs d'université selon lequel un traducteur restait en moyenne onze ans dans le métier. Visiblement préoccupé, il précise qu'il s'est lassé non pas du travail proprement dit, mais bien du contexte entourant ce travail : les traducteurs perçus comme un mal nécessaire, leur statut médiocre, la précarité, entre autres choses. 

Bien qu'il n'exerce plus depuis un certain temps, il manifeste encore beaucoup d’intérêt pour certains aspects de la profession. Par exemple, il considère qu'un traducteur devrait idéalement travailler non pas vers sa langue maternelle mais à partir de celle-ci. On comprend bien mieux les subtilités de notre propre langue, sans parler des références culturelles. Il imagine un cabinet de traduction basé sur ce principe, avec des réviseurs chevronnés qui, eux, travailleraient dans leur langue maternelle. Et se reconnaît volontiers minoritaire dans cette façon de penser!

Entretien

Circuit : Pouvez-vous me parler du Comité de terminologie de Radio-Canada? Quels sont vos liens avec l'OQLF et le Bureau de la traduction?
Guy Bertrand : Je dirige le comité de terminologie, ce que je trouve fascinant parce qu'on est constamment dans la néologie, dans la fine pointe, on voit tout ce qui vient d'arriver dans la langue. Nos liens avec l'Office et le Bureau sont assez serrés. Je fais moins de consultation en ce moment, mais par le passé j'ai eu de nombreuses recherches à faire sur les nouveaux termes : niveaux de langage, prononciation, etc., et je travaillais de très près avec l'Office. Radio-Canada est considéré comme un rouage important dans l’évolution de la langue au Québec, parce que nous diffusons abondamment, souvent dans l'immédiat, et que nous avons un lien direct et constant avec la population. Si un terme est entériné par l'Office et que Radio-Canada l'utilise fréquemment, il a de bonnes chances d'être accepté largement. 

C. : Avez-vous un exemple de terme qui a été accepté par le public de cette façon?
G. B. :
Oui, le terme vendredi fou! On utilisait déjà vendredi noir depuis plusieurs années pour parler du Black Friday, cette journée de soldes qui suit immédiatement l’Action de grâce étatsunienne. Or vendredi noir, ça ne voulait rien dire, ça n'évoquait rien. L'Office a fait une grosse campagne pour promouvoir l’usage de vendredi fou; de mon côté, j'en ai parlé dans toutes mes chroniques. Et les gens ont aimé! C'est un bon exemple de ce que notre collaboration peut donner de positif.

C. : La vulgarisation est-elle un des aspects de votre travail? Si oui, quelles formes prend-elle? 
G. B. :
Il y a quelques années, un scientifique connu m’a dit que j’étais un excellent vulgarisateur. Ça m’a fait sourire! Évidemment, la science, la technologie, la linguistique et beaucoup d’autres spécialités peuvent parfois exiger une certaine vulgarisation. Lorsqu’un scientifique, un ingénieur ou un linguiste s’adresse au grand public, il ne peut pas toujours s’exprimer comme s’il s’adressait à ses pairs, avec qui il doit employer un vocabulaire très pointu. Cela dit, je doute que la simple correction linguistique nécessite quelque vulgarisation que ce soit. Mon rôle consiste simplement à informer notre personnel à l’antenne et le grand public en ce qui a trait à la norme actuelle. Toutefois, il m’arrive de proposer à nos animateurs et à nos chroniqueurs, ainsi qu’aux auditeurs et aux téléspectateurs, des trucs pour retenir certaines règles. De même, j’aime bien accompagner mes propos d’anecdotes. Sans être nécessairement complexe, la correction langagière peut être aride et même ennuyeuse. C’est pour cette raison que j’essaie de présenter mes chroniques avec une pointe d'humour!

C. : Recevez-vous beaucoup de commentaires du public au sujet de vos interventions en ondes? Ceux-ci influencent-ils parfois vos décisions? Y répondez-vous?
G. B. :
Je reçois régulièrement des questions et des commentaires du public, mais surtout pour ce qui touche la qualité de la langue à l’antenne de Radio-Canada. Évidemment, il arrive aussi que je reçoive des messages à propos de mes interventions en ondes. Dans la mesure du possible, je réponds à toutes les questions qu’on m’adresse. Il m’arrive même d’avoir des conversations téléphoniques avec des auditeurs ou des téléspectateurs. Comme la majeure partie de mes commentaires à l’antenne sont appuyés par les fiches de l’OQLF et du Bureau de la traduction, et aussi par l’information puisée dans les articles des plus récentes éditions des dictionnaires courants (USITO, Le Petit Robert, etc.), il est rare que je ne puisse pas justifier mes dires. Toutefois, il m’est quelquefois arrivé de rajuster le tir sur certains points de nature technique, particulièrement dans les domaines de la météorologie, de la technologie et des sciences en général. On peut aisément comprendre que les banques de terminologie et les dictionnaires généraux ne soient pas rigoureusement à jour dans ces domaines, surtout lorsqu’il est question de technologie de pointe. En outre, je n’ai absolument aucune honte à adoucir ou même à changer complètement certains avis linguistiques que j’ai présentés par le passé. La langue est en constante évolution et il faut tenir compte de l’usage.

C. : Comment souhaitez-vous que le public se souvienne de vous? 
G. B. :
Je vais répéter ce que j'ai dit lorsque j'ai reçu en 2017 le Prix Georges-Émile-Lapalme1: je voudrais être reconnu comme ayant fait la promotion de l'efficacité langagière.

On m'a toujours taxé de père Fouettard et d'Ayatollah de la langue parce que je disais aux gens comment bien parler. En effet, certains se demandent pourquoi respecter des règles qui, dans l'absolu, n'ont aucun sens… Eh bien, le fait de s'exprimer de façon correcte, en plus d'être une marque de respect, est avant tout une question d'efficacité. Si, après avoir parlé, on se fait demander « Qu'as-tu voulu dire? », il faut reformuler, reprendre son idée. Si on s'exprime clairement, on gagne donc du temps. Avoir le mot juste permet par ailleurs de se démarquer et d'aller encore plus loin : inspirer, convaincre, séduire! 

  1. Prix du Québec, volet culturel, attribué à une personne qui contribue ou a contribué de façon exceptionnelle à la qualité et au rayonnement de la langue française.

 


Partage :