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Rémy Tremblay, traducteur officiel et écrivain engagé

Fils d’un Patriote de 1837, autodidacte, traducteur officiel au gouvernement fédéral, journaliste de combat et écrivain à l’avant-garde de l’évolution des idées, Rémy Tremblay a relevé les défis de son époque, n’hésitant pas à payer de sa personne le prix de ses engagements.

Par Denise Merkle

Traducteur officiel des débats à la Chambre des communes pendant plus de trente ans, Rémi Tremblay, né le 2 avril 1847 à Saint-Barnabé-Sud
et mort en 1926 à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, fut également un homme de lettres qui jouit d’une carrière littéraire et journalistique fort longue.
Si certains de ses écrits étaient relativement peu connus au Canada, ils ont été bien reçus par la critique française1. Ce fils d’un Patriote de 1837, autodidacte et assoiffé de justice, avait la passion des voyages et fit deux fois le tour du monde. Sa carrière journalistique fut également mouvementée : il fut tour à tour simple journaliste au Pionnier de Sherbrooke, par exemple, directeur (Les Laurentides), collaborateur (Canada-Revue) ou rédacteur en chef de diverses publications, dont Le Courrier de Montréal, où il s’insurge en 1880 contre l’anglomanie des « anglifiés »
et la francophobie de l’époque. Avant d’être nommé traducteur officiel, Rémi Tremblay se voit offrir, au début de 1877, un poste de traducteur remplaçant à La Minerve.

Engagement linguistique et politique

Remy-TremblayDéfenseur de la langue française toute sa vie durant et traducteur des débats de la Chambre des communes du Canada à Ottawa de 1880 à 1887, Tremblay fut en 1884 – l’année où il publie en feuilleton son roman autobiographique, Un revenant, dans La Patrie – le premier fonctionnaire à être reçu à un concours pour la traduction anglaise des débats de la Chambre, sa nomination étant décrétée par Sir John A. Macdonald – le premier Premier ministre du Canada –, qui comptait sur la traduction vers le français pour respecter l’obligation de produire les débats en français et sur la traduction vers l’anglais lorsqu’un député francophone s’obstinait à s’exprimer dans sa langue maternelle.

Lors de la prorogation du Parlement en 1885, Tremblay était rédacteur propriétaire de L’Indépendant à Fall-River, Massachusetts, d’où il passa à la direction de l’Opinion publique de Worcester2. La Rébellion du Nord-Ouest de 1885 ayant enflammé les sentiments francophobes, le Premier ministre et le parti conservateur – y compris vingt-trois députés canadiens-français – ne se souciaient guère d’apaiser
les francophones nationalistes ni de commuer la peine de Louis Riel. La pendaison de Riel en novembre 1885 contribua ainsi au renforcement du nationalisme canadien-français et au durcissement du positionnement linguistique du gouvernement fédéral et de certains gouvernements provinciaux, dont celui du Manitoba, province qui s’est jointe à la Confédération en 1870 en tant qu’entité bilingue, rappelons-le. Bon nombre de francophones, anciens conservateurs, se rallient au Parti libéral, dont le chef est Wilfrid Laurier. Rémi Tremblay est du nombre. Bouleversé et désillusionné par la conclusion de l’affaire Riel et par le comportement des députés conservateurs canadiens-français ayant soutenu le gouvernement Macdonald, il affirme en outre vouloir quitter le journalisme, mais continue d’exercer le métier de traducteur, vraisemblablement afin de suivre de près les débats parlementaires. Cet écrivain polyvalent ne quittera en fait jamais le journalisme. Au contraire, journaliste militant et intransigeant sur les principes, il deviendra l’un des doyens du journalisme canadien.

Trois traducteurs officiels destitués

Rémi Tremblay retourne ainsi à Ottawa le 25 février 1886 pour l’ouverture de la quatrième session du cinquième parlement, où il remplit pendant trois mois ses fonctions de traducteur, jusqu’à la prorogation – à nouveau – de la Chambre le 2 juin suivant. Le 15 janvier 1887, la Chambre est dissoute et une élection fédérale est annoncée pour le 22 février. Dans l’introduction à Aux chevaliers du nœud coulant : poèmes et chansons, de Rémi Tremblay, Jean Levasseur3 explique que l’auteur considère cette élection comme l’occasion de se débarrasser du gouvernement conservateur, tout comme deux de ses collègues traducteurs également partisans du parti libéral, Ernest Tremblay et Eudore Poirier. Tremblay multiplie les rencontres politiques et assemblées publiques dans les Cantons de l’Est, pendant qu’il participe à la campagne électorale du candidat libéral James Naismith Greenshields, conseiller de Louis Riel lors de son procès. De plus, il déclare publiquement et ouvertement son appui au leader métis et son opposition aux pendards. Le député William Bullock Ives réussit quand même à se faire réélire, tout comme le parti conservateur de Macdonald, avec une marge réduite toutefois.

Quatre jours après l’élection, Tremblay achève son poème polémique intitulé « Aux chevaliers du nœud coulant », dans lequel il honnit les députés canadiens-français qui n’ont pas appuyé Louis Riel. Le poème est publié dans Le Progrès de l’Est le 4 mars et dans La Patrie le 5 mars. Les ministres fédéraux et québécois qui y sont montrés du doigt tournent le dos à son auteur. Bien que le rapport de l’enquête – ouverte afin de déterminer la culpabilité des traducteurs – eût été favorable aux accusés du fait qu’ils n’avaient désobéi à aucune loi, Rémi Tremblay est destitué en 1888 de sa fonction de traducteur parlementaire, en même temps qu’Ernest Tremblay et Eudore Poirier. S’ensuit un long débat dans La Minerve et L’Étendard sur la légitimité de la révocation de Tremblay et de ses deux collègues.

Les Canadiens français, dont Rémi Tremblay, qui étaient inquiets pour l’avenir du français au Manitoba dans ce Canada post-Riel, ne s’étaient pas émus pour rien puisque, en 1890, l’Assemblée législative de la province adopte l’Official Language Act, qui fait de l’anglais la seule langue officielle. Le gouvernement de Thomas Greenway va jusqu’à abolir le système scolaire des Franco-Manitobains.

De nouveau traducteur officiel… et deux fils traducteurs

Le libéral Wilfrid Laurier est élu premier ministre en 1896 et, en 1897, Rémi Tremblay entre à la bibliothèque du Parlement, pour ensuite passer la même année au Hansard et, plus tard, à la traduction des Livres Bleus. De ses trois fils, deux exerceront aussi le métier de traducteur. Depuis un an traducteur officiel des Débats, Émile (1873-1901) succombera à une congestion cérébrale. Jules (1879-1927) sera, pour sa part auteur, conférencier, journaliste et traducteur officiel. Sous-chef de la traduction au moment de prendre sa retraite en 1923, Rémi Tremblay est, en outre,
le fondateur du Club littéraire canadien-français d’Ottawa et en devient le premier président. Jules en assumera la présidence de 1922 à 1927. 

1 Ses créations publiées en feuilleton ou sous forme de livre : Caprices poétiques et chansons satiriques (Montréal, Filiatreault, 1883), Un revenant (Montréal, Sénécal, 1884), Coups d’ailes et coups de bec (Montréal, Gebhart-Berthiaume, 1888), Boutades et rêveries (Fall-River, L’Indépendant, 1893), Vers l’Idéal (Ottawa, imprimerie commerciale, 1913), Pierre qui roule (Montréal, Beauchemin, 1923), Contre le courant, roman ( Fall-River, l’Indépendant, s.d.), Le pèlerinage canadien à Amsterdam (Montréal, Garand, 1935), Voyage autour du Monde (Montréal, Garand, s.d.).

2 Pour en savoir plus sur l’exode des Québécois aux États-Unis pendant la deuxième moitié du XIXe siècle et la Rébellion du Nord-Ouest : « Histoire du Québec 19 - La Crise Économique et les Métis » (vidéo).

3 Jean Levasseur, édition critique (2007), Rémi Tremblay, Aux chevaliers du nœud coulant : poèmes et chansons, Québec, Presses de l’Université Laval.

Denise Merkle est professeure de traduction à l’Université de Moncton. Son champ de recherche principal est le sujet traduisant et les contraintes avec lesquelles il doit composer. Denise.Merkle@umoncton.ca


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