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Enseigner la traduction juridique en contexte canadien :
les principaux outils

Lavoie JudithComme pour tout domaine très spécialisé, enseigner la traduction juridique n’est pas facile si l’on ne dispose pas d’outils variés et fiables. Judith Lavoie, professeure à l’Université de Montréal, a bien voulu partager ses principales ressources avec nos lecteurs.

par Judith Lavoie

Enseigner la traduction juridique, c’est d’abord enseigner le droit. Et ce n’est pas chose simple que de donner envie à des étudiants de découvrir ce monstre à quatre têtes qu’est le droit au Canada. Il est vrai qu’au départ, le sujet peut leur sembler rebutant de par ses ramifications historiques lointaines (il faut bien parler de Justinien 1er, de la bataille de Hastings, de l’Acte de Québec), ses fondements abstraits (il importe de distinguer le droit civil en tant que système juridique du droit civil en tant que branche du droit), son langage particulier (ne parle-t-on pas de legalese en anglais pour nommer cette réalité ?), sa polysémie (à lui seul, le terme anglais jurisdiction est un piège pour le traducteur débutant, car son quasi-homonyme « juridiction » n’est pas l’unique équivalent possible), son emploi singulier de certains termes (les aliments, en droit, ne se mangent pas !), son dualisme juridique (voilà deux des quatre têtes du monstre, droit civil et common law), ses deux langues (et les deux autres, français et anglais). Or, ce sont précisément ces particularités intrinsèques qui font du droit un défi pour la traduction. Un beau défi !

De nombreux outils lexicographiques

L’auteure de ces lignes ne prétend pas élucider les moindres pièges que pose la traduction du droit. C’est la tâche d’une vie ! La formation en traduction juridique à l’université consiste essentiellement à présenter, en un ou deux cours de 45 heures, les grandes lignes du domaine et
les principales difficultés liées à sa traduction. En ce qui concerne ce second volet, qui consiste à aborder le droit sous l’angle linguistique (terminologie, phraséologie), la tâche est facilitée par l’existence de nombreux outils lexicographiques qui abordent le domaine soit avec la volonté de couvrir une vaste étendue – je pense au Dictionnaire de droit québécois et canadien de Hubert Reid ou encore au Dictionnaire de droit privé de l’équipe de l’Université McGill –, soit dans le but de présenter les écueils spécifiques qui guettent le traducteur juridique, comme Les bons mots du civil et du pénal de Madeleine Mailhot ou Les expressions juridiques en un clin d’œil de Louis Beaudoin et Madeleine Mailhot. Ces deux derniers ouvrages, de concert avec les Difficultés du langage du droit au Canada de Jean-Claude Gémar et Vo Ho-Thuy et Les mots du droit de Louis Beaudoin, offrent un large éventail de termes juridiques à utiliser de façon correcte ; traquent les expressions fautives, les calques et les archaïsmes ; et expliquent, parfois de façon succincte, d’autres fois plus en détail, différentes notions importantes en droit.

Ressources en ligne

En plus de ces sources papier extrêmement utiles et riches, on trouve en ligne une multitude de ressources également pertinentes, tant pour la recherche terminologique que documentaire. À ce dernier titre, il importe de signaler d’entrée de jeu l’Institut canadien d’information juridique (en anglais, The Canadian Legal Information Institute, d’où son acronyme, utilisé dans les deux langues, de CanLII), qui recense les décisions judiciaires et la législation des autorités fédérale, provinciales et territoriales dans les deux langues officielles, le cas échéant. Lorsqu’on souhaite se familiariser avec une branche du droit (droit de la famille, par exemple, ou droit des sociétés), il convient, après avoir lu un ou deux traités de doctrine sur le sujet, de consulter les principales normes juridiques qui régissent ce domaine. Or, ces normes sont généralement créées par le législateur (il s’agit dès lors de lois et de règlements), mais elles peuvent aussi émaner des tribunaux. Il faut donc consulter la jurisprudence. Cette dernière occupe un rôle de premier plan au Canada puisque toutes les matières publiques au Québec ainsi que l’ensemble du droit au Canada sont façonnées par la common law qui, comme chacun sait, repose historiquement sur un corps de décisions judiciaires. Bien qu’il n’ait pas été conçu pour être consulté dans une perspective de traduction, le moteur de recherche de CanLII permet tout de même d’effectuer une recherche terminologique bilingue. En effet, il suffit d’entrer un terme, unique ou composé, dans la fenêtre de recherche, et tous les textes (législatifs, réglementaires, judiciaires) où le terme a été relevé sont extraits du corpus. Il faut ensuite sélectionner les occurrences puisées dans des sources relevant d’une autorité bilingue sur le plan législatif (par exemple, l’administration fédérale, le Québec, l’Ontario), et enfin consulter la version française (ou, inversement, anglaise, si l’on travaille dans l’autre combinaison) pour repérer un équivalent possible du terme recherché. Bien sûr, le corpus recensé dans CanLII n’est pas entièrement bilingue. À titre d’exemple, les jugements de la cour des petites créances de l’Ontario ne sont pas traduits en français. Il n’en demeure pas moins que les possibilités offertes par ce recueil sont innombrables.

D’autres sites offrent des ressources très intéressantes. Je pense au Guide fédéral de jurilinguistique législative française, accessible sur le site du ministère de la Justice fédéral et mis à jour régulièrement, qui propose une série d’articles traitant soit de difficultés de la langue générale (doit-on dire « consister à, dans ou en », par exemple ?), soit de difficultés de la langue juridique (quelle différence y a-t-il entre les frais de justice et les dépens ? ou encore, quelle est l’étendue sémantique du terme de « gouvernement » ?). 

On ne peut passer sous silence le Centre de traduction et de terminologie juridiques (CTTJ) de la Faculté de droit de l’Université de Moncton, reconnu pour avoir été un véritable phare dans l’entreprise de francisation de la common law au Canada. Formé d’une équipe de juristes traducteurs, le Centre propose une panoplie de ressources, dont le Juridictionnaire, un accès gratuit à une version abrégée de la banque terminologique de common law Juriterm, une bibliographie exhaustive sur la jurilinguistique et un répertoire des appellations en common law.

Pour sa part, le Centre de ressources en français juridique (ancien Institut Joseph-Dubuc) de l’Université de Saint-Boniface offre au traducteur juridique une foule de documents visant un meilleur usage de la langue et une meilleure compréhension des concepts de droit. Dans le premier cas, on consultera les capsules linguistiques préparées par le Centre, dans le second, les capsules juridiques.

Cette recension n’est bien sûr pas exhaustive, elle visait seulement à montrer à quel point l’enseignement de la traduction juridique est facilité par l’existence de ressources fiables et de grande qualité tant en format papier que numérique. Le seul outil encore à créer demeure un manuel de l’enseignement de la traduction juridique au Canada. L’appel est lancé !

Judith Lavoie est professeure agrégée au département de Linguistique et traduction de l’Université de Montréal.


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