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Le sentiment de solitude en famille

Par Philippe Caignon, terminologue agréé et traducteur agréé

Annus miserabilis est sans conteste l’une des expressions les plus appropriées qu’il soit pour décrire l’an 2020. En effet, au cours de cette année, 15 600 personnes sont mortes de façon prématurée au Canada, dont environ 8000 au Québec seulement1. Au 31 décembre, 1 834 443 décès causés par la COVID-19 étaient dénombrés dans le monde2.

La COVID-19, maladie qui s’est hissée au troisième rang des causes de décès au pays, s’inscrira dans les livres d’histoire comme un fléau annoncé dont l’éventualité fut repoussée, car même si plusieurs grandes figures publiques internationales et organisations gouvernementales ont régulièrement lancé des cris d’alarme depuis plus d’une décennie, elles n’ont jamais été prises au sérieux par les autorités nationales et mondiales3. Quelle erreur!

De l’impact universel…

L’impact de la pandémie a été ressenti dans tous les pays et territoires du monde. On peut assumer qu’il a entraîné une prise de conscience planétaire de la fragilité humaine. Doit-on pour autant comprendre que la planification de réponses rapides et efficaces aux catastrophes globales anticipées n’est plus perçue comme secondaire? On peut l’espérer, mais seul l’avenir le dira. Tout ce dont on peut être sûr, c’est que ce qui était qualifié d’improbable il y a quelques années est désormais perçu comme vraisemblable, car on en a fait la pénible expérience. 

Ainsi, la pandémie a non seulement déstabilisé le système de santé, perturbé le milieu de l’éducation, compromis l’économie, polarisé les médias sociaux et refaçonné le monde politique, elle a également exacerbé de nombreuses situations sociales, communautaires, familiales et individuelles déjà difficiles pour les porter à leur paroxysme. Une onde de choc générale qui perdurera pendant des années.

… au ricochet individuel

Bien entendu, il est impossible ici de traiter avec justesse de toutes les épreuves auxquelles nous avons été collectivement confrontés ou de faire justice aux multiples réponses et solutions qu’elles ont inspirées. Je ne m’en tiendrai ainsi qu’à l’une d’entre elles, car selon les témoignages que j’ai reçus, elle touche un grand nombre de langagières et langagiers : la solitude en famille.

Oxymore d’apparence, l’expression est pourtant plus riche en nuances qu’elle ne le paraît. Lorsqu’on est forcé de demeurer avec les mêmes personnes dans un endroit restreint, sans pouvoir s’échapper, on peut finir par découvrir des aspects pour le moins surprenants, voire dérangeants, de sa personnalité, aspects qui ne se seraient pas autrement dévoilés. C’est un peu comme voyager sur un petit bateau pendant des mois, avec sa famille, sans pouvoir accoster. Une vague impression de vide à combler émerge tranquillement de l’abysse mental, et des pensées qui semblent a priori incompatibles avec l’état d’esprit habituel qu’on croit être sien surgissent dans la conscience.

Un choix qui n’est plus

Certes, de nombreuses langagières et langagiers travaillent de leur domicile. Pour plusieurs, il s’agit d’un choix, pour d’autres c’est une obligation déterminée par des facteurs contraignants, comme une santé chancelante ou un déménagement forcé. Mais depuis peu, c’est l’impératif du confinement qui a préséance. Il n’y a plus de choix, et un facteur hasardeux s’est ajouté au lot.

Travail en famille

Les liens familiaux sont différents des liens sociaux et ne les remplacent pas. En effet, ces rapports humains se complètent. L’isolement social peut entraîner un sentiment de solitude, même chez les personnes qui se définissent comme introverties, même chez celles qui vivent dans un milieu familiale « sain et équilibré ». Ce sentiment peut s’aggraver si elles ont l’impression de ne plus maîtriser le cours de leur vie, si elles se sentent emprisonnées et si elles ne perçoivent pas la fin d’une épreuve.

Travailler du jour au lendemain chez soi en devant surveiller ses enfants, partager son bureau avec son conjoint ou sa conjointe et prendre soin de ses parents qui ont temporairement emménagé depuis plus d’un an exige une force de caractère non négligeable. En outre, ne plus pouvoir rendre visite à sa famille, sortir avec ses amies, manger au restaurant en groupe, ou encore aller au cinéma est tout autant taxant pour le moral. Lorsque ces éléments perturbateurs sont réunis, on peut alors se trouver en détresse psychologique.

Les professions langagières nécessitent un effort de concentration continu, un travail d’imagination constant et un souci du détail sans faille. En d’autres termes, le calme et la tranquillité sont de mise, ce qui n’est pas nécessairement possible de nos jours. Par conséquent, au fil du temps, la cellule familiale se transforme en une cellule de prison. On se sent alors seul∙e, mais encerclé∙e de toute part, sans contrôle... Et on ne veut pas toujours exprimer ce sentiment par peur de blesser les personnes qu’on aime ou même de paraître faible aux yeux de nos collègues et de nos employeurs.

Alors, que faire? 

Tous les conseils qui sont mis en avant dans les médias ont démontré leur efficacité. Ainsi, la méditation, la marche en solitaire, le bain chaud, la douche prolongée, les programmes télévisés ou radiophoniques marrants, le sommeil accru, le travail sur la perception de la vie et des événements qui la jalonnent ainsi que les confidences à une amie ou à un parent constituent des stratégies pouvant être combinées et fonctionnant à merveille. De plus, les consultations psychologiques ou psychiatriques et la prise de médicaments prescrits aident de nombreuses personnes à surmonter des périodes difficiles de leur existence.

Ces stratégies sont propres à chaque individu. Même si quelques-unes peuvent faire l’objet de tabous sociaux, elles marchent très bien. De fait, elles ne peuvent que rendre la santé, la paix et l’espoir. 

Il y a de quoi avoir de l’espoir : la vaccination avance d’un pas constant, les mesures de sécurité sanitaire sont respectées par la majorité des gens et l’été, propice à de longues randonnées, est à nos portes. Espérons que 2021 sera qualifiée d’annus mirabilis.


1. Gobeil, Mathieu. « La COVID-19 a été la 3e cause de décès au pays en 2020 », Ici Radio-Canada, Société Radio-Canada. Article publiée le 9 janvier 2021. Page consultée le 10 mars 2021. [En ligne]. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1761825/covid-19-cause-deces-canada-quebec-troisieme-cancer-maladie-coeur-mortalite-2020

2. Worldometer. Coronavirus. Page consultée le 11 mars 2021. [En ligne]. https://www.worldometers.info/coronavirus/coronavirus-death-toll/

3. Kabbaj, Rabéa. « On a prédit la pandémie? Vrai », Détecteur de rumeurs, en partenariat avec le Fonds de recherche du Québec et le Bureau de coopération interuniversitaire. Agence Science Presse. Article publié le 19 août 2020. Page consultée le 10 mars 2021. [En ligne]. http://www.scientifique-en-chef.gouv.qc.ca/impacts/ddr-on-a-predit-la-pandemie-vrai/


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