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Pour une écriture vraiment inclusive

Par Philippe Caignon, terminologue agréé et traducteur agréé

En 2016, le film L’arrivée de Denis Villeneuve s’est rapidement imposé comme un classique du cinéma de science-fiction mondial. Ce film, tiré de la nouvelle L’Histoire de ta vie (Story of Your Life) de l’auteur états-unien Ted Chiang, décrit la façon dont une experte en linguistique comparée (et en traduction!) réussit à décoder et à interpréter un langage écrit extraterrestre aux qualités cyclomorphes exceptionnelles. En effet, comprendre et utiliser ce langage transforme la pensée des gens qui s’ouvrent alors à une perception différente du temps. Ces personnes découvrent ainsi qu’elles peuvent percevoir l’avenir comme un souvenir et qu’elles ont dès lors le pouvoir de le modifier dans le présent.

Le pouvoir du langage

L’idée selon laquelle le langage modifie la perception de la réalité peut sembler anodine aux non-spécialistes de la langue, mais toute personne dont l’outil de travail est la langue connaît ce pouvoir d’influence puissant qui peut aussi bien promouvoir l’encouragement individuel que la manipulation des masses. Entre les mains de gens mal avisés ou mal intentionnés, le langage devient une arme redoutable. C’est la raison pour laquelle il est impératif de faire preuve de vigilance dans la façon dont il est employé. En contrepartie, le langage peut se révéler être un outil d’épanouissement et d’émancipation efficace pour stimuler l’évolution constructive des mentalités. Voilà pourquoi nos sociétés humaines ont besoin de visionnaires salutaires pour faire entendre raison aux réactionnaires linguistiques.

De la représentation des femmes…

De nos jours, nombre de sociétés s’interrogent sur la place qu’elles font aux femmes. Parmi les questions qui se posent, figure la représentation des femmes dans la langue commune où, comme dans le cas du français, le masculin bénéficie d’un statut orthographique et grammatical privilégié. À cet égard, la locution « les droits de l’Homme » fait figure de proue. Ainsi, non seulement le mot « Homme » (masculin générique) englobe-t-il les femmes, mais il est également rédigé avec une majuscule de prestige.

Bien entendu, on pourrait argumenter qu’historiquement, le masculin est la forme neutre par défaut de la langue française et que, lorsqu’on connaît cette règle grammaticale, on peut jauger sa portée et la juger parfaitement acceptable, surtout si l’on sait que le français n’a pas le genre neutre de l’anglais ou de l’allemand. Or, comme le note Éliane Viennot, professeure émérite de littérature française, la règle grammaticale selon laquelle le masculin l’emporte sur le féminin est récente dans l’histoire de la langue française puisqu’elle ne remonte qu’au XVIIe siècle et a été imposée pour des raisons idéologiques1.

À cette déclaration non équivoque, on peut ajouter celle de l’Office québécois de la langue française affirmant que l’emploi d’une note préliminaire comme « dans ce texte, le masculin englobe les deux genres et est utilisé pour alléger le texte » est loin « d’assurer une égale représentation des femmes et des hommes dans le texte. Ce type de note est désuet puisque la féminisation linguistique est de nos jours bien présente dans l’usage2. »

Si l’on croit toujours que le masculin générique ne relève pas de la discrimination, on pourra alors proposer l’adoption du féminin générique… On peut déjà entrevoir une polémique houleuse et un acharnement épique évoquant la tradition.

… et de celle des personnes non binaires

Il va de soi que cette situation de sous-représentation chronique s’applique également aux personnes non binaires, qui ne se reconnaissent ni dans le féminin, ni dans le masculin. Même si leur représentation textuelle ne fait l’objet d’une véritable réflexion que depuis trop peu de temps, la réflexion linguistique avance et donne quelques premiers résultats. Les pronoms neutres iel et iels en français ou they et them utilisés au singulier en anglais en sont de bons exemples. Ces pronoms, parmi d’autres propositions telles i ou y en français, commencent d’ailleurs à s’implanter dans le discours linguistique et traductologique.

En conséquence, au cours des prochaines années, les lexicographes et les terminologues devront se pencher sur des questions auxquelles personne n’avait pensé auparavant, ou n’avait encore osé poser, pour trouver des réponses justes et facilement applicables. Une telle démarche n’est pas qu’intellectuelle de nature : avoir un mot pour décrire une personne, c’est déclarer « je sais que tu existes », « je te reconnais », « je te vois », « je t’écoute », « je t’apprécie »… et plus encore!

Une stratégie simple, juste et efficace

L’écriture inclusive n’est pas affaire de magie, ni blanche, ni noire, ni même grise. Elle est le reflet de l’observation de la nature et de la société. Elle est le fruit d’une prise de conscience objective qui remet en cause les classifications passées pour transformer les catégories conceptuelles et grammaticales présentes selon ce que nos outils matériels et mentaux nous révèlent de l’univers dans lequel nous vivons.

L’écriture inclusive consiste à faire attention à ce qu’on écrit, car les mots et la grammaire véhiculent autant de sens linguistique que de sens social. Elle fournit aux autrices et aux auteurs une stratégie efficace pour que les femmes et les personnes non binaires soient réellement visibles dans leurs textes et, par conséquent, dans la société.

L’écriture inclusive est un instrument linguistique que les traductrices et les traducteurs présents peuvent utiliser pour changer l’avenir et le rendre un peu plus lumineux, joyeux et heureux pour tout le monde.


1) Brut. C'est quoi l'écriture inclusive? [En ligne] Vidéo publiée le 27 septembre 2017 et visionnée le 14 septembre 2019. https://www.youtube.com/watch?v=n2ORvgdnO68

2) Office québécois de la langue française. Principes généraux de la rédaction épicène.  [En ligne] Article mis à jour en 2018 et consulté le 14 septembre 2019. http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?id=3912


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